1. Anonyme flamand

Saint Augustin, vers 1530-1540

Saint Augustin (354–430) est représenté ici dans son cabinet d’étude. Il est considéré comme l’un des quatre Pères canoniques de l’Église, au cœur de la théologie chrétienne1. Plongé dans un moment de contemplation, il regarde le paysage à l’extérieur de sa grande fenêtre. La source de ses réflexions est suggérée par les deux livres qui sont activement tenus ouverts par les mains du saint : sous celle de gauche, un grand tome appuyé contre un autre sur un coffre bas au premier plan à droite, et sous celle de droite, un livre plus petit reposant sur un lutrin. La présence dans sa main droite d’un cœur, principal attribut de saint Augustin, ajoute un détail amusant : l’auriculaire du saint sert à marquer sa place dans le livre.

Fin 2013, cette œuvre inédite est apparue sur le marché d’art comme une étude d’évêque attribué à Maerten de Vos (1532–1603). Elle fut achetée par Ger Luijten pour la Fondation Custodia et vint s’ajouter à un dessin de saint Jérôme acquis par Frits Lugt dès 19202. Les deux œuvres appartenaient vraisemblablement à une série des quatre Pères de l’Église. Un troisième dessin, représentant saint Ambroise, a été acquis par le Metropolitan Museum of Art de New York en 20123. La localisation du quatrième, qui doit certainement figurer saint Grégoire, est inconnue.

Les versos des trois dessins présentent une attribution ancienne, possiblement du XIXe siècle, à l’artiste anversois de la fin du XVIe siècle Maerten de Vos, ce qui explique le nom sous lequel le présent dessin a été vendu en 2013. Dans la littérature consacrée au dessin de Saint Jérôme – seule œuvre publiée de la série – cette attribution n’a, à juste titre, jamais été retenue. Paul Wescher, en 1938, et Georges Marlier, en 1966, considéraient que le Saint Jérôme était l’œuvre de Pieter Coecke van Aelst (1502–1550)4. En 1992, Karel Boon s’est montré plus hésitant, déclarant qu’il était impossible de dire s’il s’agissait d’une œuvre de Coecke lui-même ou d’un assistant5. Aujourd’hui, l’attribution à Coecke ou à son atelier n’est plus retenue6. En effet, la comparaison avec le dessin de Coecke de 1529 réalisé dans une technique similaire, Scène d’auberge avec un jeu de société, montre que le travail à la plume de Coecke et ses lavis de différentes teintes sont plus subtils et complexes7. Dans notre dessin, la manche gauche du manteau de saint Augustin, relevée d’une manière artificiellement rigide, se distingue particulièrement du style de Coecke.

L’artiste inconnu, sans doute flamand, exécuta cette œuvre probablement vers 1530-1540, en tant que modèle pour un rondel de vitrail8. Avec une économie de moyens remarquable, il créa une image lumineuse. Sur une feuille de papier brun préparé, qui servit de ton moyen, il utilisa la plume et l’encre noire pour les contours et les rehauts de blanc uniquement pour les reflets de lumière créés par la fenêtre ouverte à gauche.

Ilona van Tuinen

1Sur l’histoire et l’iconographie des quatre Pères de l’Église, voir Engelbert Kirschbaum (éd.), Lexikon der Christlichen Ikonographie, Rome etc., 1970, vol. II, p. 529-538. Sur saint Augustin d’Hippone en particulier, voir ibid., 1973, vol. V, p. 278-289.

2Plume et encre brune, lavis brun, rehauts de gouache blanche, sur papier préparé brun, 216 mm de diamètre, inv. 429. Voir Karel G. Boon, The Netherlandish and German Drawings of the XVth and XVIth Centuries of the Frits Lugt Collection, Paris, 1992, vol. I, n° 57, vol. III, pl. 39.

3Vente, Kiel (Schramm Auktionshaus), 12 mai 2012, n° 396  ; New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 2013.218.

4Paul Wescher, «  Pieter Coecke van Aelst  », Old Master Drawings, n° 48, mars 1938, p. 58-59  ; Georges Marlier, La Renaissance flamande : Pierre Coeck d’Alost, Bruxelles, 1966, p. 367-368. Le verso de l’ancien support du dessin de Saint Jérôme présente également une attribution à Coecke par Max J. Friedländer, écrite de la main de Lugt, probablement déjà avant la publication de Wescher.

5Boon 1992, op. cit. (note 2), vol. I, p. 97.

6Les œuvres ne figurent pas dans le récent catalogue des dessins de Coecke publié par Stijn Alsteens : «  The Drawings of Pieter Coecke van Aelst  », Master Drawings, vol. LII, n° 3, automne 2014, p. 275-362.

7Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen, inv. MB 330 (PK)  ; Peter van der Coelen dans Yvonne Bleyerveld, Albert J. Elen, Judith Niessen et al., Nederlandse tekeningen uit de vijftiende en zestiende eeuw in Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Kunstenaars geboren voor 1581, Rotterdam, 2012  ; Peter van der Coelen dans Yvonne Bleyerveld, Albert J. Elen et Judith Niessen, Bosch to Bloemaert. Early Netherlandish Drawings in Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam, cat. exp. Paris, (Fondation Custodia), Rotterdam (Museum Boijmans Van Beuningen), Washington (National Gallery of Art), 2014-2015, n° 17.

8Pour une discussion récente sur quelques modèles de rondel utilisant des techniques de clair-obscur similaires et créés dans les Pays-Bas au cours des premières décennies du XVIe siècle, voir Hans Buijs dans Hans Buijs et Ger Luijten (dir.), Goltzius to Van Gogh. Drawings and Paintings from the P. & N. de Boer Foundation, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2014-2015, n° 22, et Yvonne Bleyerveld dans Virginie D’haene (dir.), From Scribble to Cartoon. Drawings from Bruegel to Rubens in Flemish Collections, cat. exp. Anvers (Museum Plantin-Moretus), Oxford (Ashmolean Museum), 2023-2024, n° 50.