Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 100. Anne Louis Girodet Montargis 1767 – 1824 Paris Autoportrait au papillon, vers 1790 On reconnait dans le visage délicat de ce jeune homme les traits d’Anne Louis Girodet, élève de Jacques-Louis David (1748–1825). Célébré pour ses tableaux mythologiques ou historiques monumentaux, l’artiste a également livré plusieurs autoportraits dessinés1 et peints2. Au sein de ce corpus, ce portrait en miniature récemment redécouvert3 se singularise par la virtuosité de sa touche et son caractère intime. Girodet, encore jeune homme, se dépeint de profil gauche, vêtu d’une lourde cape retenue sur l’épaule à l’aide d’une luxueuse agrafe ouvragée. L’artiste semble examiner avec une attention amusée un papillon. Cette occupation conjuguée à l’inscription « Frivolité » qui se lit au verso du cadre pourrait indiquer une aimable fantaisie, simple divertissement d’artiste. Il n’en est rien. Girodet se plaît, comme à son habitude, à manier avec habileté évocations symboliques et références antiques qui donnent à sa composition une tout autre saveur. En effet, une observation attentive permet de reconnaître dans la bague qui orne l’index droit du modèle un scarabée égyptien, emblème de renaissance. À l’extrémité de ce doigt, qui semble désigner le peintre aux spectateurs, est venu se poser un papillon. L’animal, allégorie grecque de Psyché et évocation de l’âme, est un puissant contrepoint au symbole égyptien. Quelques années plus tard, cette même association symbolique se retrouve sous le pinceau de l’artiste : dans le portrait aussi tendre que mélancolique que l’artiste dresse de son frère adoptif Benoît-Agnès Trioson (vers 1789–1804)4. Nous ignorons la destination de cet Autoportrait au papillon ainsi que celle d’un autre de Girodet, peint en miniature sur ivoire, vu de face et portant un bonnet phrygien, redécouvert il y a une vingtaine d’années seulement5. Ces deux autoportraits, d’une technique analogue, semblent dater de la même période. L’un d’entre eux est vraisemblablement l’œuvre mentionnée par Girodet à deux reprises en 1790 dans sa correspondance avec François Gérard (1770–1837)6. L’artiste y écrit le 5 mai : « Sais-tu si Isabey a fini mon portrait dessiné […] Ne parle pas à M. Trioson [son père adoptif] de mon portrait en miniature » et, en septembre suivant : « As-tu pensé […] de redemander à Isabey mon portrait en miniature et à me l’apporter ?7 ». La feuille de Jean-Baptiste Isabey (1767–1855) mentionnée dans la première lettre a été identifiée comme le Portrait de Girodet, de profil droit, aujourd’hui conservé aux Beaux-Arts de Paris8. Que cette feuille et notre miniature, à la composition théâtrale et détaillée, aient un lien direct nous semble être une hypothèse très fragile. Outre que la correspondance ne l’indique pas clairement, notons que les deux œuvres ne représentent pas le même profil et sont d’un esprit bien différent. Marie-Liesse Choueiry 1Autoportrait en buste de profil gauche, fusain et estompe sur papier, 250 × 200 mm, Paris, musée du Louvre, inv. RF 36152. 2Portrait de l’artiste, 1795, huile sur toile, 49 × 37 cm, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 4642. On lira avec profit : Jean-Loup Champion, « Un théâtre de miroirs, les autoportraits de Girodet » dans Sylvain Bellenger (dir.), Girodet 1767-1824, cat. exp. Paris (musée du Louvre), Chicago (The Art Institute), New York (The Metropolitan Museum of Art), Montréal (Musée des Beaux-Arts), 2005-2007, p. 97-107. 3L’œuvre est publiée pour la première fois par Sylvain Bellenger en 2017. 4Portrait de Benoît-Agnès Trioson dit autrefois Portrait du jeune Romainville Trioson, 1800, huile sur toile, 73 × 98 cm, Paris, musée du Louvre, inv. RF 199113 (Bellenger 2005-2007, op. cit. (note 2), p. 377, n° 78, repr.). Un papillon aux ailes jaunes est épinglé au fauteuil sur lequel s’appuie le jeune homme et un fil enchevêtré le relie à la patte d’un scarabée. 5Autoportrait au bonnet phrygien, gouache sur ivoire, diamètre 60 mm, Royaume-Uni, collection particulière ; l’inscription suivante se lit au verso de cette œuvre redécouverte en 2002 : « portrait de Girodet fait à Rome par lui-même ». 6Lettres adressées au baron François Gérard, peintre d’histoire, par les artistes et les personnages célèbres de son temps, deuxième édition publiée par le Baron Gérard, son neveu, vol. 1, Paris, 1886, p. 137-138, lettre IV, datée du 5 mai 1790 : « Sais-tu si Isabey a fini mon portrait dessiné, l’as-tu fait coller et encadrer, l’as-tu donné à M. Trioson ? Je te rembourserai quand tu viendras. Fais mille amitiés à Pajou. Ne parle pas à M. Trioson de mon portrait en miniature ». Puis lettre IX, p. 156-161, datée de septembre 1790 : « As-tu pensé, comme je t’en avais prié il y a quelques temps, de redemander à Isabey mon portrait en miniature et à me l’apporter ? ». 7Lettres adressées au baron François Gérard, op. cit. (note 8), p. 160, lettre IX. 8Jean-Baptiste Isabey, Portrait de Girodet, crayon noir et estompe, diamètre 117 mm, Paris, Beaux-Arts de Paris, inv. MU 8645.
On reconnait dans le visage délicat de ce jeune homme les traits d’Anne Louis Girodet, élève de Jacques-Louis David (1748–1825). Célébré pour ses tableaux mythologiques ou historiques monumentaux, l’artiste a également livré plusieurs autoportraits dessinés1 et peints2. Au sein de ce corpus, ce portrait en miniature récemment redécouvert3 se singularise par la virtuosité de sa touche et son caractère intime. Girodet, encore jeune homme, se dépeint de profil gauche, vêtu d’une lourde cape retenue sur l’épaule à l’aide d’une luxueuse agrafe ouvragée. L’artiste semble examiner avec une attention amusée un papillon. Cette occupation conjuguée à l’inscription « Frivolité » qui se lit au verso du cadre pourrait indiquer une aimable fantaisie, simple divertissement d’artiste. Il n’en est rien. Girodet se plaît, comme à son habitude, à manier avec habileté évocations symboliques et références antiques qui donnent à sa composition une tout autre saveur. En effet, une observation attentive permet de reconnaître dans la bague qui orne l’index droit du modèle un scarabée égyptien, emblème de renaissance. À l’extrémité de ce doigt, qui semble désigner le peintre aux spectateurs, est venu se poser un papillon. L’animal, allégorie grecque de Psyché et évocation de l’âme, est un puissant contrepoint au symbole égyptien. Quelques années plus tard, cette même association symbolique se retrouve sous le pinceau de l’artiste : dans le portrait aussi tendre que mélancolique que l’artiste dresse de son frère adoptif Benoît-Agnès Trioson (vers 1789–1804)4. Nous ignorons la destination de cet Autoportrait au papillon ainsi que celle d’un autre de Girodet, peint en miniature sur ivoire, vu de face et portant un bonnet phrygien, redécouvert il y a une vingtaine d’années seulement5. Ces deux autoportraits, d’une technique analogue, semblent dater de la même période. L’un d’entre eux est vraisemblablement l’œuvre mentionnée par Girodet à deux reprises en 1790 dans sa correspondance avec François Gérard (1770–1837)6. L’artiste y écrit le 5 mai : « Sais-tu si Isabey a fini mon portrait dessiné […] Ne parle pas à M. Trioson [son père adoptif] de mon portrait en miniature » et, en septembre suivant : « As-tu pensé […] de redemander à Isabey mon portrait en miniature et à me l’apporter ?7 ». La feuille de Jean-Baptiste Isabey (1767–1855) mentionnée dans la première lettre a été identifiée comme le Portrait de Girodet, de profil droit, aujourd’hui conservé aux Beaux-Arts de Paris8. Que cette feuille et notre miniature, à la composition théâtrale et détaillée, aient un lien direct nous semble être une hypothèse très fragile. Outre que la correspondance ne l’indique pas clairement, notons que les deux œuvres ne représentent pas le même profil et sont d’un esprit bien différent. Marie-Liesse Choueiry 1Autoportrait en buste de profil gauche, fusain et estompe sur papier, 250 × 200 mm, Paris, musée du Louvre, inv. RF 36152. 2Portrait de l’artiste, 1795, huile sur toile, 49 × 37 cm, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 4642. On lira avec profit : Jean-Loup Champion, « Un théâtre de miroirs, les autoportraits de Girodet » dans Sylvain Bellenger (dir.), Girodet 1767-1824, cat. exp. Paris (musée du Louvre), Chicago (The Art Institute), New York (The Metropolitan Museum of Art), Montréal (Musée des Beaux-Arts), 2005-2007, p. 97-107. 3L’œuvre est publiée pour la première fois par Sylvain Bellenger en 2017. 4Portrait de Benoît-Agnès Trioson dit autrefois Portrait du jeune Romainville Trioson, 1800, huile sur toile, 73 × 98 cm, Paris, musée du Louvre, inv. RF 199113 (Bellenger 2005-2007, op. cit. (note 2), p. 377, n° 78, repr.). Un papillon aux ailes jaunes est épinglé au fauteuil sur lequel s’appuie le jeune homme et un fil enchevêtré le relie à la patte d’un scarabée. 5Autoportrait au bonnet phrygien, gouache sur ivoire, diamètre 60 mm, Royaume-Uni, collection particulière ; l’inscription suivante se lit au verso de cette œuvre redécouverte en 2002 : « portrait de Girodet fait à Rome par lui-même ». 6Lettres adressées au baron François Gérard, peintre d’histoire, par les artistes et les personnages célèbres de son temps, deuxième édition publiée par le Baron Gérard, son neveu, vol. 1, Paris, 1886, p. 137-138, lettre IV, datée du 5 mai 1790 : « Sais-tu si Isabey a fini mon portrait dessiné, l’as-tu fait coller et encadrer, l’as-tu donné à M. Trioson ? Je te rembourserai quand tu viendras. Fais mille amitiés à Pajou. Ne parle pas à M. Trioson de mon portrait en miniature ». Puis lettre IX, p. 156-161, datée de septembre 1790 : « As-tu pensé, comme je t’en avais prié il y a quelques temps, de redemander à Isabey mon portrait en miniature et à me l’apporter ? ». 7Lettres adressées au baron François Gérard, op. cit. (note 8), p. 160, lettre IX. 8Jean-Baptiste Isabey, Portrait de Girodet, crayon noir et estompe, diamètre 117 mm, Paris, Beaux-Arts de Paris, inv. MU 8645.