102. Henri-François Riesener

Paris 1767 – 1828 Paris

Portrait de Charles-Henry Delacroix, vers 1799-1800

Ce portrait en buste du jeune Charles-Henry (1779–1845), frère aîné du peintre Eugène Delacroix (1798–1863), est signé de la main de leur oncle : Henri-François Riesener. Le peintre et miniaturiste, fils de l’ébéniste Jean-Henri Riesener (1734–1806) et père du peintre romantique Léon Riesener (1808–1878), nous offre ainsi un précieux témoignage des liens familiaux qui unirent les Riesener et les Delacroix, formant une importante dynastie d’artistes aux XVIIIe et XIXe siècles.

Charles-Henry Delacroix, loin d’embrasser la tradition artistique familiale, s’illustra par une brillante carrière militaire dans l’armée révolutionnaire puis impériale. Il est ici représenté âgé d’une vingtaine d’années, vêtu de l’uniforme bleu marine gansé de rouge, à col rouge et cravate noire, de lieutenant des chasseurs à cheval. Ce grade lui fut octroyé le 26 thermidor de l’an VII1. Grâce à cet élément chronologique, nous pouvons dater le portrait assez précisément, entre le 13 août 1799 et le 26 octobre 1800, date à laquelle il fut promu capitaine2. La suite prestigieuse de sa carrière est marquée par ses faits d’armes lors de la campagne de Russie. Baron d’Empire, il fut nommé commandant de l’ordre de la Légion d’Honneur et fait chevalier de l’ordre de Saint-Louis et de l’ordre de la Couronne de fer.

Nous ignorons la raison d’être de ce portrait de jeunesse, peut-être destiné à célébrer l’accession de Charles-Henry Delacroix au grade de lieutenant. Plus probablement, cette miniature serait un témoignage amoureux offert en souvenir alors que le jeune militaire servait l’armée impériale engagée dans la deuxième campagne d’Italie3. En effet, au verso du portrait se voit une petite miniature rectangulaire sur carton, tracée d’une autre main, représentant un œil féminin à demi dissimulé par des nuées. Ce motif, préservant l’anonymat du modèle, fait écho à l’engouement né à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre pour les miniatures représentant l’œil de l’être aimé ou « lover’s eye »4. Richard Cosway (1742–1821) en créa le premier exemple connu, à la demande du futur roi George IV. Le monarque avait commandé une miniature de son œil afin de l’offrir à Maria Fitzherbert, qu’il allait épouser en secret en 1785. En retour, la jeune femme lui fit cadeau d’une miniature de son œil et de sa bouche, qui ne devaient jamais le quitter. Ici, contrairement à l’usage anglais, où le motif de l’œil en lui-même fait l’objet d’une miniature autonome, les deux motifs sont associés au recto et au verso du même cadre.

Une dernière hypothèse doit être mentionnée. Cette miniature pourrait représenter un autre membre de la fratrie Delacroix : Henri (1784–1807), capitaine en 1804 et mort à Friedland, sur lequel peu d’éléments subsistent5.

Marie-Liesse Choueiry

1L’ensemble des grades auxquels accéda Charles-Henry Delacroix, ainsi que les dates auxquelles ils lui furent octroyés sont détaillés dans la notice qui lui est consacrée dans A. Lyévins, Jean Marice Verdot, Pierre Bégat, Fastes de la Légion-d’Honneur : biographie de tous les décorés accompagnés de l’histoire législative et réglementaire de l’ordre, Paris, 1847, vol. V, p. 169.

2Ibid.

3Lors de la bataille de Marengo dans le Piémont, le 14 juin 1800, Charles-Henry Delacroix mérita «  les éloges de ses chefs  » (ibid.).

4La Fondation Custodia conserve dans ses collections une miniature représentant un œil émergeant d’un nuage bleu-gris, autrefois attribuée à Richard Cosway, qui témoigne de ce phénomène (vers 1790-1800, aquarelle sur ivoire, 38 × 23 mm, inv. 7247  ; Karen Schaffers-Bodenhausen, Portrait Miniatures in the Frits Lugt Collection, Paris, 2018, n° 38, repr.). Voir également Elle Shushan, Lover’s eyes. Eye miniatures from the Skier Collection, Lewes, 2021.

5Cette hypothèse a été proposée par Philippe Nusbaumer (comm. écrite, 2 février 2018).