Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 103. Jean-Baptiste Thévenet La Rochelle 1800 – 1867 La Rochelle Portrait d’Eugène Fromentin Jean-Baptiste Thévenet, peintre spécialisé dans les portraits en miniature, exposa ce portrait d’Eugène Fromentin (1820–1876) au Salon de 1841, en même temps que trois autres portraits1. Fromentin était originaire comme lui de La Rochelle. Il était encore un étudiant en droit à la vocation artistique contrariée lorsqu’il posa pour Thévenet2, qui donna une image pénétrante d’un artiste romantique à l’expression mélancolique et songeuse. La sensibilité et la délicatesse de Thévenet, tout comme celles du modèle, se distinguent par-dessus tout dans le rendu du regard. Les yeux aux iris noisette, translucides, sont cernés, soulignés par deux infimes points bleus et rougis. Les sourcils fournis sont reproduits par l’extrême finesse du pinceau. Son ami Émile Beltrémieux (1819–1848) a relevé « une vérité singulière dans l’expression du regard3 ». Eugène Fromentin, nonchalamment adossé sur une chaise, nous regarde sans nous voir, les yeux tournés vers la droite, même si l’on détecte comme un reste de présence presque imperceptible. Ce portrait en miniature, qui se rapproche par son introspection de bien des portraits sur toile, a été réalisé à la demande de Fromentin afin d’en faire présent à sa mère. Cette destination nous éclaire sur la volonté de l’artiste de donner une image si intime de son modèle. L’exiguïté du format n’empêche pas Thévenet de dépeindre le jeune artiste avec une grande précision et un luxe de détails. L’arête du nez très droite accroche la lumière, de même que le front bombé. Sa petite bouche charnue est surmontée d’une moustache au même accent que les sourcils. Les cheveux légèrement bouclés avec des reflets plus clairs sont séparés par une raie bien nette. La fidélité de l’artiste au réel se retrouve également dans le rendu des vêtements et du vernis de la chaise aussi précis que celui de la texture de la peau et des cheveux. Il en va de même pour la cravate décrite jusqu’au moindre pli et le contour du col du manteau très marqué tout comme la couture de la manche. Un liseré blanc très prononcé laisse deviner la blancheur immaculée de la chemise. Le fond sombre en aplat brun fait par ailleurs ressortir la pâleur du modèle. Cette vision un rien naïve n’est plus perceptible dans le daguerréotype réalisé par Louis-Auguste Bisson (1814–1876) en 18414, où Fromentin affiche un air plus résolu. Thévenet nous donne donc à voir l’incertitude bientôt dissipée d’un artiste romantique en devenir. Anaïs Chombar 1Voir James Thompson et Barbara Wright, Eugène Fromentin 1820-1876. Visions d’Algérie et d’Egypte. Monographie révisée et catalogue de dessins, Courbevoie, 2008, p. 30. 2James Thompson, « Un autre Fromentin », Revue de l’Art, n° 74, septembre-décembre 1986, p. 29. 3Lettre non datée de Beltrémieux à Fromentin, citée dans Thompson et Wright 2008, op. cit. (note 1), p. 30. 4Daguerréotype conservé en collection particulière, reproduit par Karen Schaffers-Bodenhausen, Portrait Miniatures in the Frits Lugt Collection, Paris, 2018, vol. I, p. 214, fig. 29.
Jean-Baptiste Thévenet, peintre spécialisé dans les portraits en miniature, exposa ce portrait d’Eugène Fromentin (1820–1876) au Salon de 1841, en même temps que trois autres portraits1. Fromentin était originaire comme lui de La Rochelle. Il était encore un étudiant en droit à la vocation artistique contrariée lorsqu’il posa pour Thévenet2, qui donna une image pénétrante d’un artiste romantique à l’expression mélancolique et songeuse. La sensibilité et la délicatesse de Thévenet, tout comme celles du modèle, se distinguent par-dessus tout dans le rendu du regard. Les yeux aux iris noisette, translucides, sont cernés, soulignés par deux infimes points bleus et rougis. Les sourcils fournis sont reproduits par l’extrême finesse du pinceau. Son ami Émile Beltrémieux (1819–1848) a relevé « une vérité singulière dans l’expression du regard3 ». Eugène Fromentin, nonchalamment adossé sur une chaise, nous regarde sans nous voir, les yeux tournés vers la droite, même si l’on détecte comme un reste de présence presque imperceptible. Ce portrait en miniature, qui se rapproche par son introspection de bien des portraits sur toile, a été réalisé à la demande de Fromentin afin d’en faire présent à sa mère. Cette destination nous éclaire sur la volonté de l’artiste de donner une image si intime de son modèle. L’exiguïté du format n’empêche pas Thévenet de dépeindre le jeune artiste avec une grande précision et un luxe de détails. L’arête du nez très droite accroche la lumière, de même que le front bombé. Sa petite bouche charnue est surmontée d’une moustache au même accent que les sourcils. Les cheveux légèrement bouclés avec des reflets plus clairs sont séparés par une raie bien nette. La fidélité de l’artiste au réel se retrouve également dans le rendu des vêtements et du vernis de la chaise aussi précis que celui de la texture de la peau et des cheveux. Il en va de même pour la cravate décrite jusqu’au moindre pli et le contour du col du manteau très marqué tout comme la couture de la manche. Un liseré blanc très prononcé laisse deviner la blancheur immaculée de la chemise. Le fond sombre en aplat brun fait par ailleurs ressortir la pâleur du modèle. Cette vision un rien naïve n’est plus perceptible dans le daguerréotype réalisé par Louis-Auguste Bisson (1814–1876) en 18414, où Fromentin affiche un air plus résolu. Thévenet nous donne donc à voir l’incertitude bientôt dissipée d’un artiste romantique en devenir. Anaïs Chombar 1Voir James Thompson et Barbara Wright, Eugène Fromentin 1820-1876. Visions d’Algérie et d’Egypte. Monographie révisée et catalogue de dessins, Courbevoie, 2008, p. 30. 2James Thompson, « Un autre Fromentin », Revue de l’Art, n° 74, septembre-décembre 1986, p. 29. 3Lettre non datée de Beltrémieux à Fromentin, citée dans Thompson et Wright 2008, op. cit. (note 1), p. 30. 4Daguerréotype conservé en collection particulière, reproduit par Karen Schaffers-Bodenhausen, Portrait Miniatures in the Frits Lugt Collection, Paris, 2018, vol. I, p. 214, fig. 29.