107. Francisco José de Goya y Lucientes

Fuendetodos, Aragon 1746 – 1828 Bordeaux

Autoportrait, vers 1797-1798

En frontispice de la première suite de gravures qu’il ait publiée, Goya apparaît sous sa propre main comme « Pintor », le peintre, c’est-à-dire l’inventeur, le révélateur de l’ensemble des quatre-vingts visions qui constituent Los Caprichos (communément traduit par le terme « fantaisies »). Si l’idée initiale avait été de choisir une composition tourmentée comme frontispice1, dans laquelle le peintre se serait mis en scène, Goya lui a substitué un autoportrait qui semblerait répondre à tous les codes du genre2, s’il n’était suivi d’un tel gouffre de noirceur, de satire et d’ironie envers les mœurs de son pays et de son temps.

Aucun attribut de peintre, cependant : seulement son regard et sa posture. Avec cet autoportrait, considéré dès sa publication en 1799 comme « satirique » et « de mauvaise humeur3 », nous contemplons l’isolement d’un artiste par rapport à la société qui l’inspire autant qu’elle le bouleverse. La morsure de l’acide va de pair avec l’acidité mordante de la satire sociale contenue dans le recueil.

L’artiste, devenu sourd après une grave maladie survenue en 1793, cache ses oreilles sous de larges favoris. Le chapeau haut-de-forme semble presque ironique tant il ne fait que dissimuler le crâne du créateur à l’imagination débordante. Si le regard paraît plus lucide dans le dessin préparatoire à la sanguine qui montre l’artiste les yeux ouverts, comme surpris par une vision, un spectacle étonnant4, le passage à la gravure permit à Goya de préciser son intention. Laissant voir seulement une lueur de son regard, dans un contraste parfait du noir et blanc, il se fait plus pessimiste, si ce n’est méprisant.

Cet autoportrait de Goya a été utilisé par la suite en couverture et en frontispice de plusieurs recueils de gravures de l’artiste dans leurs éditions posthumes, comme le détaille Tomás Harris dans son ouvrage de référence5. Par son caractère multiple, il est devenu l’effigie par excellence de Goya. Au-delà de cela, de manière encore plus sensible, l’état exceptionnel de cette estampe, épreuve d’essai exécutée au moment où la plaque de cuivre était à la fois aussi nette que possible et riche en encre, ajoute à la distinction de la collection d’estampes de tous les siècles et de toutes les écoles de la Fondation Custodia.

Antoine Cortes

1Alfonso E. Pérez Sanchez et Eleanor A. Sayre (dir.), Goya and the Spirit of Enlightenment, cat. exp. Madrid (Museo del Prado), Boston (Museum of Fine Arts), New York (The Metropolitan Museum of Art), 1988-1989, p. 84-86, n° 38.

2Juliet Wilson-Bareau, Goya, la década de los Caprichos  : dibujos y aguafuertes, cat. exp. Madrid (Real Academia de Bellas Artes de San Fernando), 1992, p. 3.

3Pérez Sanchez et Sayre 1988-1989, op. cit. (note 1), p. 86.

4Autoportrait au chapeau haut-de-forme, tourné vers la gauche, avec trait d’encadrement, sanguine  ; au verso deux études de son portrait, plume et encre noire, sanguine, 198 × 143 mm, New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1972.118.295.

5Voir Tomás Harris, Goya. Engravings and Lithographs, Oxford, 1964, vol. II, p. 71.