110. Henri Fantin-Latour

Grenoble 1836 – 1904 Buré

Autoportrait à l’âge de dix-sept ans, 1892

Tourné de trois quarts vers la droite, souligné par un court col de chemise blanc, un visage émerge de la pénombre et scrute le spectateur. C’est le regard d’un jeune homme de dix-sept ans, sûr, déjà, de sa vocation d’artiste. Dans cette lithographie réalisée en 1892, Henri Fantin-Latour reproduisit un autoportrait qu’il avait peint en 1853 et qui est aujourd’hui conservé au Palais des Beaux-Arts de Lille1. L’estampe est fidèle au tableau dont elle reprend la spontanéité, bien que le clair-obscur y soit plus accentué.

Le portrait de Lille est le premier d’une importante série d’autoportraits peints ou dessinés par Fantin-Latour entre 1853 et 18612. Dans cette période de formation et d’affirmation3, le jeune artiste, intransigeant, se dédiait tout entier à la peinture, s’isolant et limitant les interactions sociales qui pouvaient le détourner de sa raison de vivre, l’art4. L’autoportrait constituait pour lui un exercice, support de multiples expérimentations pour lesquelles le modèle était toujours disponible. Il convoquait aussi le modèle de Rembrandt et donnait forme à la revendication d’un statut pour cet artiste à la sensibilité intranquille5. Avec les années, les autoportraits de Fantin-Latour aux regards en coin, aux sourcils froncés et aux éclairages toujours plus dramatiques se faisaient plus intenses voire inquiétants.

Inventée à l’orée du XIXe siècle, la lithographie permettait aux artistes de développer une écriture libre dans un geste proche de celui du dessinateur6. Henri Fantin-Latour aborda cette technique en 1876 et s’y consacra plus intensivement à partir des années 1890. Il utilisait notamment le procédé du papier report, consistant à travailler au crayon ou à l’encre lithographique sur un papier spécialement préparé avant de transférer le dessin sur la pierre en vue de l’impression. C’est ce procédé qu’il mit très certainement en œuvre pour réaliser cet autoportrait. Il avait également l’habitude de retravailler le dessin reporté sur la pierre, comme en témoignent les fines lignes blanches visibles ici dans les cheveux, les zones d’ombre du visage ou le col, créées par l’action du grattoir7. Ce beau tirage correspond au troisième état sur quatre de l’estampe, seul état où les marges apparaissent vierges de toute inscription8. Hédiard indique que la lithographie parut dans L’Artiste en février 18959.

Cet autoportrait vient donner un visage à celui qui est l’auteur ou le destinataire d’un immense fonds de lettres conservé à la Fondation Custodia, source précieuse d’informations pour qui veut étudier l’art français du XIXe siècle (voir cat. 149)10.

Maud Guichané

1Autoportrait, huile sur papier, sur toile, 41 × 30,5 cm, Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. P 1678.

2Nombre d’entre eux sont publiés dans Laure Dalon (dir.), Fantin-Latour. À fleur de peau, cat. exp. Paris (Musée du Luxembourg), Grenoble, (musée de Grenoble), 2016- 2017, p. 62-71, nos 1 à 19.

3Henri Fantin-Latour s’inscrivit en 1850 aux cours du soir d’Horace Lecoq de Boisbaudran à l’École de dessin de la rue de l’École-de-Médecine, mais ne fut pas admis comme élève régulier à l’École des Beaux-Arts en 1854.

4Dalon 2016- 2017, op. cit. (note 2), p. 59  ; Bridget Alsdorf, Fellow Men. Fantin-Latour and the Problem of the Group in Nineteenth-Century French Painting, Princeton, 2013, p. 27-32  ; Douglas Druick et Michel Hoog (dir.), Fantin-Latour, cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), Ottawa (Galerie nationale du Canada), San Francisco (California Palace of the Legion of Honour), 1982-1983, p. 69-71.

5Dalon 2016-2017, op. cit. (note 2), p. 62.

6Lee Hendrix (dir.), Noir. The Romance of Black in 19th-Century French Drawings and Prints, cat. exp. Los Angeles (The J. Paul Getty Museum), 2016, p. 7  ; Rainer Michael Mason (dir.), Fantin-Latour. Toute la lithographie, cat. exp. Genève (Musée d’art et d’histoire), 1980-1981, p. 33.

7Hendrix 2016, op. cit. (note 6), p. 14  ; Yves Bourel, dans Mason 1980-1981, op. cit. (note 6), p. 35.

8Germain Hédiard, Les Maîtres de la Lithographie. Fantin-Latour. Catalogue de l’œuvre lithographique du maître, Paris, 1906, p. 60, n° 104.

9Dans l’édition de luxe et dans l’édition ordinaire  ; ibid.

10Outre des acquisitions plus isolées entre 1971 et 2016, l’ensemble s’est considérablement enrichi de deux importants fonds entrés dans les collections en 1997 et 2011.