111. Johan Gudmann Rohde (d’après Vilhelm Hammershøi)

Randers 1856 – 1935 Hellerup

Jeune fille cousant, Anna Hammershøi, 1893

Cette œuvre réunit deux noms brillants de l’école danoise au tournant du XIXe siècle : Johan Rohde et Vilhelm Hammershøi (1864–1916). En 1887, Hammershøi, alors au début de sa carrière, présenta auprès du jury du Salon Charlottenborg à Copenhague une peinture à l’huile intitulée Jeune fille cousant1. Elle mettait en scène la sœur de l’artiste Anna Hammershøi (1866–1955). L’opinion académique refusa le tableau. Deux ans plus tard, ce portrait reçut une médaille de bronze à l’Exposition universelle à Paris. Critique d’art, Théodore Duret le jugea comme une œuvre « d’une classe supérieure » de l’art danois2. Six ans après, Johan Rohde lui rendit hommage en créant une lithographie qui reproduisait fidèlement l’image mais qui se distinguait aussi par ses qualités artistiques propres.

Les chemins de Rohde et Hammershøi se croisèrent aux Ateliers Libres à Copenhague, un refuge de jeunes artistes qui suivaient des courants de l’art moderne. En 1882, après avoir passé un an à l’Académie Royale des Beaux-Arts, Rhode fut l’un des initiateurs de la création de cette école. Hammershøi l’y rejoignit en 1883. Dans le même esprit, Rohde fut également à l’origine de la fondation en 1891 de l’Exposition Libre (Den Frie Udstilling) avec laquelle Hammershøi exposa régulièrement.

Hammershøi créa le portrait l’année de son voyage aux Pays-Bas et en Belgique en 1887. Il s’inspira de la peinture de genre des maîtres anciens. Rhode quant à lui réalisa cette lithographie un an après son voyage à Paris, où il fit la connaissance de Maurice Denis (1870–1943), Félix Vallotton (1865–1925) et d’autres symbolistes. S’il opta pour ce tableau d’Hammershøi, c’est qu’il y trouva la continuité de ce qu’il vit à Paris et un écho à son propre intérêt au symbolisme. La lithographie nous présente une jeune femme cousant dans un espace indéterminé, à la fois tout près de nous et néanmoins inaccessible, dans son univers intérieur. Ce qui fut frappant dans le portrait d’origine, et qui fut probablement une raison du rejet de l’Académie, c’est le vide absolu autour du modèle et la gamme réduite aux tonalités multiples du gris. En revanche, par les moyens lithographiques, Rhode souligna le silence de l’environnement en mettant l’accent sur la lumière, les contrastes de noir et blanc et les lignes. Hammershøi donnait en effet une importance toute particulière à ces dernières. « Quand je choisis un motif, je pense d’abord aux lignes3 », confia-t-il. De façon remarquable, Rhode a pu mettre en valeur la sensualité du pinceau d’Hammershøi et renforcer l’esprit moderne de ce portrait.

Olga Furman

1Le tableau se trouve à Copenhague, musée Ordrupgaard, inv. 46 WH (huile sur toile, 37 × 35 cm).

2« Le Portrait d’une jeune femme et la Jeune fille cousant sont particulièrement admirables et d’une classe supérieure à tout ce que j’ai pu voir de l’art danois », Théodore Duret, cité dans dans Martyna Lukasiewicz (dir.), Vilhelm Hammershøi : światło i cisza, cat. exp. Poznan (Muzeum Narodowe), Cracovie (Muzeum Narodowe), 2021-2022, p. 214.

3Peter Norgaard Larsen, « A Gate to Nowhere and Everywhere. Interpreting Vilhelm Hammershoi’s Art », dans ibid., p. 72.