Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 113. Félix Bracquemond Paris 1833 – 1914 Sèvres Suite de modèles pour le « service Rousseau », 1866 Le « service Rousseau » a été conçu à l’initiative du marchand-éditeur François-Eugène Rousseau (1827–1891) par Félix Bracquemond qui composa le présent album de motifs gravés qui servirent à la manufacture Lebeuf et Millet de Montereau à réaliser le service. Philippe Burty (1830–1890) souligna la nouveauté de ce procédé qui permettait de produire vite et à moindre coût : « On a confié à un artiste très intelligent le soin de dessiner un certain nombre de types, soit de fleurs, soit de feuillages, soit d’oiseaux, et de les graver fermement à l’eau forte, en accusant bien les contours ou les divisions ; ces contours seront imprimés sur l’assiette, et les intervalles seront remplis au pinceau par des ouvriers à la journée1 ». La grande qualité de ces gravures, au-delà de leur fonction utilitaire, est reconnue par les critiques et les connaisseurs de l’époque comme Alfred de Lostalot (1837–1909)2 ou Henri Beraldi (1849–1931)3. Bracquemond emprunta ses motifs à plusieurs maîtres japonais de la gravure sur bois, dont Hokusai et sa Manga ou Katsushika Isai et son Kwacho Sansui Zushiki (« Exemples de fleurs, d’oiseaux et de paysages »)4. L’utilisation de l’eau-forte – avec un trait puissamment mordu – actualise ces motifs et en change la nature en ce qu’elle les sort de leur contexte. Cette abstraction est renforcée par l’utilisation parfois partielle de ces emprunts qui met en évidence leur distribution sur le support blanc de la feuille ainsi que leur faculté d’adaptation à la céramique. Bracquemond choisit pour ce service le langage simple et universel des animaux et des plantes. Il opta à quelques exceptions près pour une distribution aléatoire des sujets sur les pièces avec une volonté bien résolue d’asymétrie. La planche n° 5, par exemple, s’en fait l’écho en associant un grand coq aux plumes brillantes et soyeuses, une poule plus petite, une grenouille, quelques insectes ainsi qu’une feuille de plante qu’Édouard Manet (1832–1883) reprit en 1876 pour son ex-libris de L’Après-midi d’un faune de Stéphane Mallarmé5 et dont l’on retrouve des variations sur plusieurs autres planches. D’après Béraldi, la série n’avait été tirée qu’à « un si petit nombre d’exemplaires (10 au plus) que les curieux doivent perdre tout espoir de se les procurer6 ». Notre album est bien complet des quatre planches qui lui étaient initialement inconnues et qu’il décrivit seulement en 1889 dans son supplément à l’œuvre de Bracquemond. La première planche porte une dédicace à l’un des plus anciens et plus proches amis de Bracquemond, Charles Royer. On ignore si c’est lui qui fit relier la série dans une superbe reliure japonisante, ainsi qu’elles avaient été introduites dans le monde des bibliophiles parisiens par les frères Goncourt. Anaïs Chombar 1Philippe Burty, Chefs d’œuvres des arts industriels, 1866, Paris, p. 179. 2Alfred de Lostalot, « M. Félix Bracquemond. Peintre-Graveur », La Gazette des beaux-arts, vol. XXX – 2e période, 1er novembre 1884, p. 158. 3Henri Beraldi, Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes, vol. VIII, Paris, 1885, p. 7-8. 4Voir Christine Shimizu, « Les sources : l’estampe japonaise de l’ukiyo-e », dans Jean-Paul Bouillon, Christine Shimizu et Philippe Thiébaut, Art, industrie et japonisme. Le service « Rousseau » (Les dossiers du musée d’Orsay, 20), Paris, 1988, p. 20-25 ; Jean-Paul Bouillon, « Le Service Rousseau et ses suites, 1866-1870 », dans Jean-Paul Bouillon, Félix Bracquemond et les arts décoratifs, cat. exp. Limoges (Musée national Adrien-Dubouché), Selb-Plößberg (Deutsches Porzellanmuseum), Beauvais (Musée départemental de l’Oise), 2005-2006, p. 48-49. 5Jean-Paul Bouillon, Manet to Bracquemond. Newly Discovered Letters to an Artist and Friend, Paris, 2020, p. 56, fig. 44. 6Beraldi 1885, op. cit. (note 3), p. 7-8.
Le « service Rousseau » a été conçu à l’initiative du marchand-éditeur François-Eugène Rousseau (1827–1891) par Félix Bracquemond qui composa le présent album de motifs gravés qui servirent à la manufacture Lebeuf et Millet de Montereau à réaliser le service. Philippe Burty (1830–1890) souligna la nouveauté de ce procédé qui permettait de produire vite et à moindre coût : « On a confié à un artiste très intelligent le soin de dessiner un certain nombre de types, soit de fleurs, soit de feuillages, soit d’oiseaux, et de les graver fermement à l’eau forte, en accusant bien les contours ou les divisions ; ces contours seront imprimés sur l’assiette, et les intervalles seront remplis au pinceau par des ouvriers à la journée1 ». La grande qualité de ces gravures, au-delà de leur fonction utilitaire, est reconnue par les critiques et les connaisseurs de l’époque comme Alfred de Lostalot (1837–1909)2 ou Henri Beraldi (1849–1931)3. Bracquemond emprunta ses motifs à plusieurs maîtres japonais de la gravure sur bois, dont Hokusai et sa Manga ou Katsushika Isai et son Kwacho Sansui Zushiki (« Exemples de fleurs, d’oiseaux et de paysages »)4. L’utilisation de l’eau-forte – avec un trait puissamment mordu – actualise ces motifs et en change la nature en ce qu’elle les sort de leur contexte. Cette abstraction est renforcée par l’utilisation parfois partielle de ces emprunts qui met en évidence leur distribution sur le support blanc de la feuille ainsi que leur faculté d’adaptation à la céramique. Bracquemond choisit pour ce service le langage simple et universel des animaux et des plantes. Il opta à quelques exceptions près pour une distribution aléatoire des sujets sur les pièces avec une volonté bien résolue d’asymétrie. La planche n° 5, par exemple, s’en fait l’écho en associant un grand coq aux plumes brillantes et soyeuses, une poule plus petite, une grenouille, quelques insectes ainsi qu’une feuille de plante qu’Édouard Manet (1832–1883) reprit en 1876 pour son ex-libris de L’Après-midi d’un faune de Stéphane Mallarmé5 et dont l’on retrouve des variations sur plusieurs autres planches. D’après Béraldi, la série n’avait été tirée qu’à « un si petit nombre d’exemplaires (10 au plus) que les curieux doivent perdre tout espoir de se les procurer6 ». Notre album est bien complet des quatre planches qui lui étaient initialement inconnues et qu’il décrivit seulement en 1889 dans son supplément à l’œuvre de Bracquemond. La première planche porte une dédicace à l’un des plus anciens et plus proches amis de Bracquemond, Charles Royer. On ignore si c’est lui qui fit relier la série dans une superbe reliure japonisante, ainsi qu’elles avaient été introduites dans le monde des bibliophiles parisiens par les frères Goncourt. Anaïs Chombar 1Philippe Burty, Chefs d’œuvres des arts industriels, 1866, Paris, p. 179. 2Alfred de Lostalot, « M. Félix Bracquemond. Peintre-Graveur », La Gazette des beaux-arts, vol. XXX – 2e période, 1er novembre 1884, p. 158. 3Henri Beraldi, Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes, vol. VIII, Paris, 1885, p. 7-8. 4Voir Christine Shimizu, « Les sources : l’estampe japonaise de l’ukiyo-e », dans Jean-Paul Bouillon, Christine Shimizu et Philippe Thiébaut, Art, industrie et japonisme. Le service « Rousseau » (Les dossiers du musée d’Orsay, 20), Paris, 1988, p. 20-25 ; Jean-Paul Bouillon, « Le Service Rousseau et ses suites, 1866-1870 », dans Jean-Paul Bouillon, Félix Bracquemond et les arts décoratifs, cat. exp. Limoges (Musée national Adrien-Dubouché), Selb-Plößberg (Deutsches Porzellanmuseum), Beauvais (Musée départemental de l’Oise), 2005-2006, p. 48-49. 5Jean-Paul Bouillon, Manet to Bracquemond. Newly Discovered Letters to an Artist and Friend, Paris, 2020, p. 56, fig. 44. 6Beraldi 1885, op. cit. (note 3), p. 7-8.