114. Vilhelm Kyhn

Copenhague 1819 – 1903 Frederiksberg

Grand bloc erratique, 1842

Au cours de son directorat à la Fondation Custodia, Ger Luijten a considérablement élargi le fonds d’œuvres des élèves de Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783–1853), figure majeure de la peinture danoise1. Vilhelm Kyhn en fut parmi les plus proches et les plus fidèles. Il se forma à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Copenhague, sous la direction d’Eckersberg ainsi que de Johann Ludwig Lund (1777–1867) entre 1836 et 1843. Il obtint son premier important succès lorsqu’il fit ses débuts à l’exposition de l’Académie à Charlottenborg en 1843. Il ne cessa ensuite d’y participer tous les ans jusqu’à sa mort en 1903. Vilhelm Kyhn se bâtit une renommée comme peintre de paysage amoureux de sa terre natale. Cet attachement fut fortement inspiré par Eckersberg, qui devint le premier professeur d’académie en Europe à intégrer les exercices de dessin et de peinture en plein air2.

Cette gravure nous présente une œuvre précoce de Kyhn, à la fin de ses années d’études, dans une technique expérimentale à l’époque : la galvanographie3. Kyhn choisit le motif pittoresque d’un « bloc erratique ». Ce terme est apparu au XVIIIe siècle, quand émergea l’intérêt pour le phénomène des fragments de roche datant de la période glaciaire. Au début des années 1840, la nature mystérieuse de ces pierres géantes parfois perdues au milieu des plaines commença à recevoir des explications scientifiques4. Nous n’avons pas connaissance du lieu précis qui inspira Kyhn pour cette estampe. L’artiste ne visita la péninsule Jutland, réputée pour ses dépôts morainiques, qu’en 1845 pour la première fois, c’est-à-dire trois ans plus tard. Il a en revanche pu observer des blocs erratiques dans la région de Roskilde, où il réalisa de nombreux dessins d’étude5.

Kyhn nous entraîne sur un chemin agréable au détour duquel nous découvrons une grande pierre enserrée par un arbre. L’artiste rend compte de ce motif dans les moindres détails en respectant les plans, l’équilibre, la perspective de la composition. Dans la partie droite inférieure, il donne l’image d’une minuscule plante fragile qui se penche en diagonale vers l’objet clé de la scène, le bloc erratique. Or, ce morceau de roche est en grande partie couvert par les arbres denses qui forment un bosquet. Kyhn concentre son attention sur la végétation qui a conquis la pierre au cours du temps. Un tel angle de vue sur le sujet éclaircit néanmoins le regard romantique de l’auteur, propice à la rêverie.

Olga Furman

1Ger Luijten, «  Préface  », dans Kasper Monrad, Jan Gorm Madsen, Jesper Svenningsen et al., C. W. Eckersberg 1783-1853. Artiste danois à Paris, Rome et Copenhague, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2016, p. 8.

2Kasper Monrad, «  Eckersberg sur la scène européenne  », dans Monrad, Madsen, Svenningsen et al. 2016, op. cit. (note 1), p. 39.

3La galvanographie fut mise au point en 1840 par Franz von Kobell (1803–1882). «  Ce procédé consiste à exécuter un dessin avec un crayon litho ou une encre encaustique [...]. On travaille sur un cuivre argenté qui peut être grainé auparavant comme pour l’aquatinte. Les parties non dessinées seront en relief  », André Béguin, Dictionnaire technique de l’estampe, Paris, 1998, p. 143.

4En 1840, notamment, le paléontologue suisse Louis Agassiz (1807–1873) sortit ses Études sur les glaciers, précédant de peu l’Essai sur les glaciers et sur le terrain erratique du bassin du Rhône (1841) de Jean de Charpentier (1786–1855).

5Karina Lykke Grand, Gertrud Oelsner et Holger Reenberg, «  Biografi : Vilhelm Kyhn  », dans Gertrud Oelsner et Karina Lykke Grand (dir.), Vilhelm Kyhn & det danske landskabsmaleri, Danemark (Aarhus Universitetsforlag), 2012, p. 203.