115. Sir Muirhead Bone

Partick, Glasgow 1876 – 1953 Oxford

Ayr Prison, 1905

La Fondation Custodia conserve un fonds modeste d’estampes du renouveau de l’eau-forte au XIXe siècle et au début du XXe siècle, notamment d’artistes britanniques. Les premières acquisitions dans ce domaine furent faites par Frits Lugt, dont l’intérêt de ces aquafortistes pour l’œuvre graphique de Rembrandt fut sans doute déclencheur dans la constitution du premier noyau de cette collection. Ainsi, dès 1920 et 1921, il acquit deux eaux-fortes de David Young Cameron (1865–1945)1. Lugt avait payé plus cher pour ces deux estampes que pour certaines eaux-fortes de Rembrandt achetées à la même période2.

Lugt ajouta de façon sporadique encore quelques eaux-fortes du Etching Revival à sa collection3. Après son décès en 1970, les directeurs successifs de la Fondation Custodia continuèrent à enrichir ce fonds. En 2020, Ger Luijten put obtenir l’une des eaux-fortes les plus appréciées de l’artiste écossais Muirhead Bone, Ayr Prison4. L’œuvre est réalisée uniquement à la pointe sèche, technique dans laquelle Muirhead Bone se spécialisa et qui fit sa renommée5. Son exécution est complètement maîtrisée – son contemporain et collègue Ernest Stephen Lumsden (1883–1948) considéra cette pointe sèche comme « sans conteste l’une des plaques les plus parfaites jamais gravées dans le médium6 ».

Muirhead Bone, qui fut très sensible au paysage et à l’architecture, s’intéressa à plusieurs reprises aux prisons7. Ayant vécu à Ayr, ville au sud-ouest de Glasgow, en 1900, il en connaissait sa maison d’arrêt, aujourd’hui démolie, qui offrait une vue sur la vaste étendue côtière du Firth of Clyde vers les montagnes de l’île d’Arran8. Sa pointe sèche de 1905 est à la fois atmosphérique et monumentale en dépit de ses dimensions modestes. Le bâtiment, impressionnant par le point de vue bas, attire l’attention. La prison se trouve complètement à l’ombre à l’exception d’un mur fortement éclairé. Les figures à côté semblent insignifiantes, tout comme le paysage à l’horizon bas.

Campbell Dodgson, qui publia en 1909 un catalogue raisonné des dix premières années d’activité de l’artiste, indiqua que quarante-et-un tirages furent imprimés de la matrice9. L’impression de la Fondation Custodia est sur papier Japon10. C’est une belle épreuve avec un ton de surface laissé dans le ciel et beaucoup d’effet de noir velouté là où l’encre a été retenue par les barbes de métal créées par le sillage de la pointe dans la plaque. Selon l’inscription de l’artiste qui se lit en bas à gauche, « my proof », il s’agit d’une épreuve que l’artiste se réserva.

Rhea Sylvia Blok

1Le 3 décembre 1920, A Norman Village, 1904 (inv. 617) ; et le 1er avril 1921, Arran Peaks, 1912 (inv. 631). Voir Rhea Sylvia Blok dans Hans Buijs (éd.), Un cabinet particulier. Les estampes de la Collection Frits Lugt, cat. exp. Paris (Institut Néerlandais), 2010, n° 78, p. 330-333.

2Ibid., p. 333, note 18. À cette époque, le prix des estampes de Cameron et de ses collègues commença à monter, avant d’atteindre des prix records entre 1925 et 1929, année où le marché s’effondra à la suite de la crise de Wall Street (Kenneth M. Guichard, British Etchers 1850-1940, Londres, 1977, p. 11-12 ; et Gladys Engel Lang et Kurt Lang, Etched in Memory. The Building and Survival of Artistic Reputation, Chapel Hill et Londres, 1990, p. 75).

3Pour un historique du fonds, voir Jan Piet Filedt Kok, « Le British Etching Revival et le XXe siècle », dans Buijs 2010, op. cit. (note 1), p. 314-317.

4La Fondation Custodia conservait déjà cinq estampes de Muirhead Bone (deux portraits et trois paysages), ainsi que deux aquarelles. Les estampes : Portrait de Leonard Gow, 1927, inv. 1980-P.49 ; Autoportrait au chapeau, n° 2, 1908, état non décrit, inv. 1996-P.12 ; Arundel Castle, 1908, inv. 1979-P.21 ; Oxfordshire, 1906, inv. 2002-P.48 ; Hampstead Heath, 1906, inv. 2007-P.53. Les aquarelles : Ruines à Corinthe, 1922, inv. 6594 ; Gérone, les marches de la cathédrale, un jour de fête, inv. 6595 (Olivier Meslay, Aquarelles et dessins anglais : une promenade, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2001, p. 14-15, 57).

5Pour Muirhead Bone, voir notamment : Campbell Dodgson, Etchings & Dry Points by Muirhead Bone. I. 1898-1907, Londres, 1909 (catalogue continué par Harold Wright, Continuation of Etchings & Dry Points by Muirhead Bone, tapuscrit conservé au British Museum, Prints & Drawings Department, bibliothèque, cote Ai.7.20) ; Campbell Dodgson, « The later dry-points of Muirhead Bone », The Print Collector’s Quarterly, vol. IX, n° 2, 1922, p. 173-200 ; Robin Tanner, Muirhead Bone 1876-1953, cat. exp. Londres (Galerie Garton & Cooke), en association avec C. & J. Goodfriend, New York, 1984 ; Sylvester Bone, « Muirhead Bone and the Society of XX », The British Art Journal, vol. IV, 2003, p. 66-73 ; Sylvester Bone, Muirhead Bone. Artist and Patron, Londres, 2009.

6« Unquestionably one of the most perfect plates ever etched in the medium » (Ernest Stephen Lumsden, The Art of Etching, Londres, 1924, p. 333). Voir aussi : James Lewis Caw, Scottish Painting. Past and Present, 1620-1908, Édimbourg, 1908, p. 460-462.

7En 1899, Muirhead Bone exécuta la vue d’une prison à Glasgow, une eau-forte avec pointe sèche intitulée The Old Jail (Dodgson 1909, op. cit. (note 5), n° 44). Nous connaissons également un dessin de Newgate Prison (Princeton University Art Museum, inv. x1944-564).

8Muirhead Bone vécut à Ayr en 1900 avant de s’installer à Londres en 1901 : Bone 2009, op. cit. (note 5), p. 30-36. En 1900, il réalisa un dessin de la prison d’Ayr, mais vue depuis un autre côté : Gordon Cooke, Muirhead Bone. Prints and Drawings. Including Works from the Collection of the late Dr S. William Pelletier, cat. exp. Londres (The Fine Art Society PLC), 2005, n° 9.

9La plaque fut ensuite rayée, comme en attestent plusieurs tirages : Londres, The British Museum, inv. 1949,0411.1531 ; Boston, Boston Public Library, inv. 17.04.000158 ; Glasgow, The Hunterian, inv. GLAHA:25806.

10Selon Ernest Stephen Lumsden (Lumsden 1924, op. cit. (note 6), p. 144), ce sont surtout Muirhead Bone et David Young Cameron qui utilisèrent du papier Japon. Il précise que Muirhead Bone privilégia les papiers Hosho Mulberry.

11A. C. J. Wall, Esq., était un collectionneur actif à Birmingham et Middleton Park, Oxfordshire. Après son décès, une partie de sa collection fut vendue en 1970 à Londres par Christie’s, mais il ne semble pas y avoir eu de vente de ses estampes. Les artistes Gerald Leslie Brockhurst (1890–1978) et Jacob Epstein (1880–1959) réalisèrent des portraits de lui (voir respectivement vente, Londres (Bonhams), 23 juin 2015, n° 111 ; et Evelyn Silber, The Sculpture of Epstein, Oxford, 1986, p. 175, n° 242).