Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 116. Edgar Degas Paris 1834 – 1917 Paris Sur la scène III Cette estampe, telle qu’elle est conservée à la Fondation Custodia, est rare dans tous les sens du terme. Alors que la pratique de la gravure par Edgar Degas est aujourd’hui pleinement intégrée dans l’étude et la connaissance de son œuvre, l’artiste n’a en vérité publié de son vivant que quatre estampes1, et celle-ci est la première chronologiquement. Publiée dans le livret de l’exposition de la Société des Amis des Arts de la ville de Pau en 1877, Sur la scène III est devenue d’une rareté absolue, à tel point que les exemplaires intacts de ce livret d’exposition – c’est-à-dire possédant encore dans leur reliure d’origine précisément cette estampe de Degas – sont devenus presque impossibles à trouver. Édité à 200 exemplaires2, incluant onze eaux-fortes imprimées par Cadart, cet ouvrage aurait pu passer inaperçu, sauf le caractère si intransigeant – l’adjectif choisi par les critiques de l’époque pour aborder la nouveauté – de cette estampe de Degas3. En effet, à feuilleter le livret, cette œuvre contraste très nettement avec les gravures des autres artistes, somme toute assez classiques, qui y figuraient4 – exception faite de Marcellin Desboutin (1823–1902), qui était un ami proche de Degas5. Dans cette estampe, pour laquelle cinq états sont connus, Degas chercha une transposition libre et réduite aux dimensions exigées par l’éditeur du livret, du pastel qu’il exposa sur les cimaises de l’exposition de Pau6 et aujourd’hui conservé à l’Art Institute de Chicago7. Le cadrage du pastel est proche de ce que l’on retrouve dans cette estampe, avec les musiciens et leurs instruments au premier plan, qui troublent la vue sur les danseuses et sur le décor. Dans les différents états de cette gravure, Degas a principalement retravaillé des éléments des costumes ainsi que de l’arrière-plan8. Dès la parution de cet ouvrage en 1877, la presse locale, sur un ton léger, avait prévenu ses lecteurs de l’intérêt qu’il y aurait à se procurer un pareil livret. À la suite d’une description en forme de promenade dans l’exposition, le journaliste Jean-Pierre de Limendous se plaisait à écrire ces quelques mots, qui mettent de nouveau en valeur la rareté de cet ouvrage : « […] à la porte, vous trouverez un livret qui n’est pas l’une des moins bonnes choses de l’Exposition. Il contient des eaux-fortes dont, quelques-unes, représentent au moins deux fois le prix du livre. On vous donne pour 4 fr. ce qui, dans le commerce, vendu en détail, vaudrait bien 40 fr. Aussi, je connais des amateurs qui ont acheté plusieurs exemplaires. Ceux-là sont des malins et savent bien ce qu’ils font9. » Antoine Cortes 1Si les estampes de Degas restèrent pour l’essentiel dans son atelier ou dans son cercle d’amis artistes, il semble en revanche qu’il n’était pas rare que certaines de ses épreuves apparaissent, par exemple, lors de ventes aux enchères, au début du XXe siècle. Ce sont les ventes de l’atelier du peintre en 1918 qui ont révélé au grand jour l’étendue de sa passion pour cet art. Voir Sue Welsh Reed et Barbara Stern Shapiro (dir.), Edgar Degas : The Painter as Printmaker, cat. exp. Boston (Museum of Fine Arts), Philadelphie (Philadelphia Museum of Art), Londres (Arts Council of Great Britain, Hayward Gallery), 1984-1985, introduction, p. ix. 2« Un tel tirage est exceptionnel au sein de l’œuvre gravé de Degas, dont le nombre d’épreuves excède rarement dix. », Valérie Sueur-Hermel dans Henri Loyrette, Sylvie Aubenas, Flora Triebel et al., Degas en noir et blanc : dessins, estampes, photographies, cat. exp. Paris (Bibliothèque nationale de France), 2023, p. 85. 3Le Salon de Pau, entre les années 1874 et 1879, représente un moment important dans l’histoire de l’impressionnisme. En encourageant les artistes de ce groupe à exposer chaque année dans le Sud de la France, les idées de la modernité en peinture ont commencé à voyager, si ce n’est à germer. Voir Marc Le Cœur, « Le Salon annuel de la Société des amis des arts de Pau, quartier d’hiver des impressionnistes de 1876 à 1879 », Histoire de l’art, n° 35-36, 1994, p. 57-70. 4Les autres artistes ayant inclus des estampes dans le livret sont Marcellin Desboutin, Charles Jacque (1813–1894), Norbert Gœneutte (1854–1894), Stanislas Lépine (1835–1892), Adolphe-Félix Cals (1810–1880), Charles Lapostolet (1824–1890), Gustave Colin (1828–1910) et Pierre Teyssonnières (1834–1912). 5Marcellin Desboutin, Portrait d’Edgar Degas de profil, pointe sèche, vers 1876, Paris, Fondation Custodia, inv. 2022-P.5. « Degas était le seul que je visse journellement et encore celui-là n’est plus un ami, n’est-ce plus un homme, n’est-ce plus un artiste ! C’est une plaque de zinc ou de cuivre noircis à l’encre d’imprimer et cette plaque et cet homme sont laminés par sa presse dans l’engrenage de laquelle il a tout disparu ! », lettre de Marcellin Desboutin à Léontine de Nittis, Dijon, 17 juillet 1876, citée dans Mary Pittaluga et Enrico Piceni, De Nittis, Milan, 1963, p. 359. 6Le livret indique, p. 78, sous le n° 486 de la catégorie des « Aquarelles, Dessins, Gravures », une œuvre de Degas intitulée « Un Ballet à l’Opéra (pastel) ». 7Edgar Degas, Un Ballet à l’Opéra de Paris, pastel sur monotype, Chicago, The Art Institute, inv. 1981.12. Ce rapprochement est étudié par Valérie Sueur-Hermel, op. cit. (note 2), p. 85. 8Reed et Shapiro 1984-1985, op. cit. (note 1), p. 68-72. 9Jean-Pierre de Limendous, « L’exposition de 1877 (Salon de Pau) racontée à mes petits enfants », Journal des étrangers, n° 19, 1877, p. 1-2.
Cette estampe, telle qu’elle est conservée à la Fondation Custodia, est rare dans tous les sens du terme. Alors que la pratique de la gravure par Edgar Degas est aujourd’hui pleinement intégrée dans l’étude et la connaissance de son œuvre, l’artiste n’a en vérité publié de son vivant que quatre estampes1, et celle-ci est la première chronologiquement. Publiée dans le livret de l’exposition de la Société des Amis des Arts de la ville de Pau en 1877, Sur la scène III est devenue d’une rareté absolue, à tel point que les exemplaires intacts de ce livret d’exposition – c’est-à-dire possédant encore dans leur reliure d’origine précisément cette estampe de Degas – sont devenus presque impossibles à trouver. Édité à 200 exemplaires2, incluant onze eaux-fortes imprimées par Cadart, cet ouvrage aurait pu passer inaperçu, sauf le caractère si intransigeant – l’adjectif choisi par les critiques de l’époque pour aborder la nouveauté – de cette estampe de Degas3. En effet, à feuilleter le livret, cette œuvre contraste très nettement avec les gravures des autres artistes, somme toute assez classiques, qui y figuraient4 – exception faite de Marcellin Desboutin (1823–1902), qui était un ami proche de Degas5. Dans cette estampe, pour laquelle cinq états sont connus, Degas chercha une transposition libre et réduite aux dimensions exigées par l’éditeur du livret, du pastel qu’il exposa sur les cimaises de l’exposition de Pau6 et aujourd’hui conservé à l’Art Institute de Chicago7. Le cadrage du pastel est proche de ce que l’on retrouve dans cette estampe, avec les musiciens et leurs instruments au premier plan, qui troublent la vue sur les danseuses et sur le décor. Dans les différents états de cette gravure, Degas a principalement retravaillé des éléments des costumes ainsi que de l’arrière-plan8. Dès la parution de cet ouvrage en 1877, la presse locale, sur un ton léger, avait prévenu ses lecteurs de l’intérêt qu’il y aurait à se procurer un pareil livret. À la suite d’une description en forme de promenade dans l’exposition, le journaliste Jean-Pierre de Limendous se plaisait à écrire ces quelques mots, qui mettent de nouveau en valeur la rareté de cet ouvrage : « […] à la porte, vous trouverez un livret qui n’est pas l’une des moins bonnes choses de l’Exposition. Il contient des eaux-fortes dont, quelques-unes, représentent au moins deux fois le prix du livre. On vous donne pour 4 fr. ce qui, dans le commerce, vendu en détail, vaudrait bien 40 fr. Aussi, je connais des amateurs qui ont acheté plusieurs exemplaires. Ceux-là sont des malins et savent bien ce qu’ils font9. » Antoine Cortes 1Si les estampes de Degas restèrent pour l’essentiel dans son atelier ou dans son cercle d’amis artistes, il semble en revanche qu’il n’était pas rare que certaines de ses épreuves apparaissent, par exemple, lors de ventes aux enchères, au début du XXe siècle. Ce sont les ventes de l’atelier du peintre en 1918 qui ont révélé au grand jour l’étendue de sa passion pour cet art. Voir Sue Welsh Reed et Barbara Stern Shapiro (dir.), Edgar Degas : The Painter as Printmaker, cat. exp. Boston (Museum of Fine Arts), Philadelphie (Philadelphia Museum of Art), Londres (Arts Council of Great Britain, Hayward Gallery), 1984-1985, introduction, p. ix. 2« Un tel tirage est exceptionnel au sein de l’œuvre gravé de Degas, dont le nombre d’épreuves excède rarement dix. », Valérie Sueur-Hermel dans Henri Loyrette, Sylvie Aubenas, Flora Triebel et al., Degas en noir et blanc : dessins, estampes, photographies, cat. exp. Paris (Bibliothèque nationale de France), 2023, p. 85. 3Le Salon de Pau, entre les années 1874 et 1879, représente un moment important dans l’histoire de l’impressionnisme. En encourageant les artistes de ce groupe à exposer chaque année dans le Sud de la France, les idées de la modernité en peinture ont commencé à voyager, si ce n’est à germer. Voir Marc Le Cœur, « Le Salon annuel de la Société des amis des arts de Pau, quartier d’hiver des impressionnistes de 1876 à 1879 », Histoire de l’art, n° 35-36, 1994, p. 57-70. 4Les autres artistes ayant inclus des estampes dans le livret sont Marcellin Desboutin, Charles Jacque (1813–1894), Norbert Gœneutte (1854–1894), Stanislas Lépine (1835–1892), Adolphe-Félix Cals (1810–1880), Charles Lapostolet (1824–1890), Gustave Colin (1828–1910) et Pierre Teyssonnières (1834–1912). 5Marcellin Desboutin, Portrait d’Edgar Degas de profil, pointe sèche, vers 1876, Paris, Fondation Custodia, inv. 2022-P.5. « Degas était le seul que je visse journellement et encore celui-là n’est plus un ami, n’est-ce plus un homme, n’est-ce plus un artiste ! C’est une plaque de zinc ou de cuivre noircis à l’encre d’imprimer et cette plaque et cet homme sont laminés par sa presse dans l’engrenage de laquelle il a tout disparu ! », lettre de Marcellin Desboutin à Léontine de Nittis, Dijon, 17 juillet 1876, citée dans Mary Pittaluga et Enrico Piceni, De Nittis, Milan, 1963, p. 359. 6Le livret indique, p. 78, sous le n° 486 de la catégorie des « Aquarelles, Dessins, Gravures », une œuvre de Degas intitulée « Un Ballet à l’Opéra (pastel) ». 7Edgar Degas, Un Ballet à l’Opéra de Paris, pastel sur monotype, Chicago, The Art Institute, inv. 1981.12. Ce rapprochement est étudié par Valérie Sueur-Hermel, op. cit. (note 2), p. 85. 8Reed et Shapiro 1984-1985, op. cit. (note 1), p. 68-72. 9Jean-Pierre de Limendous, « L’exposition de 1877 (Salon de Pau) racontée à mes petits enfants », Journal des étrangers, n° 19, 1877, p. 1-2.