Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 117. École de Bundi, Rajasthan Discussion d’un texte avec le sage Isardas, fin du XVIIIe siècle Cette miniature de l’école de Bundi rejoint deux œuvres de même style parmi les 230 miniatures indo-persanes de la Fondation Custodia1. C’est un apport notable au sein d’une collection essentiellement centrée sur l’art du portrait de cour2. De plus, la rencontre avec un guide spirituel est un sujet classique de la culture indienne à travers les siècles. Il souligne l’importance de la relation de maître à disciple dans le cheminement initiatique, en particulier pour l’étude des textes sacrés et ce, quelle que soit la religion3. Ici, le style de Bundi se reconnaît dans la rondeur des visages au nez pointu, une certaine symétrie dans les positions assises du sage et de ses deux fidèles, la forme du turban de Samtokdas et l’intensité des couleurs, notamment du jaune. Pourtant, l’opulence de la faune et de la flore typique de ce style semble avoir été oubliée par le peintre. La scène d’extérieur garde le souvenir d’une rencontre précise, comme l’indiquent les inscriptions des noms de personnages présents jusqu’à l’humble porteur de chasse-mouches, détail plus rare. Le maître, au visage ridé et aux cheveux grisonnants, qualifié de mahant, était à la tête d’un temple ou d’un monastère d’obédience vishnouite, selon les marques blanches et rouges en forme de U sur son corps et ceux de ses adeptes4. Malheureusement, les lacunes sur le texte ne permettent plus d’identifier l’ouvrage au cœur de l’argumentation entre les participants. Ce don de Peter Schatborn, conservateur à partir de 1968 au Rijksprentenkabinet du Rijksmuseum, Amsterdam, et qui en fut le directeur de 1991 à 2001, rappelle le lien particulier, à la fois amical et intellectuel, entretenu depuis près d’un siècle entre Frits Lugt puis la Fondation Custodia et ce cabinet des arts graphiques. En effet, Frits Lugt eut de 1923 à 1926 un jeune assistant, J. Q. van Regteren Altena (1899–1980), devenu directeur du Rijksprentenkabinet de 1948 à 1962. Tous deux continuèrent à échanger régulièrement au cours de leurs vies. Par la suite, le premier directeur de la Fondation Custodia, Carlos van Hasselt (1929–2009), et Karel G. Boon (1909–1996), directeur du Rijksprentenkabinet de 1962 à 1974, furent également passionnés de dessins, d’estampes et de miniatures indiennes5. Les deux hommes entretinrent une intense correspondance. Enfin, Peter Schatborn, grand ami de Mària van Berge-Gerbaud, directrice de la Fondation Custodia de 1996 à 2010, et de Ger Luijten, eut aussi un réel enthousiasme pour les peintures indiennes bien qu’il n’en collectionnât que peu6. Ce lien « naturel » entre les deux institutions possède un aspect souvent méconnu, plus personnel, et pourtant récurrent, à travers ces images indiennes. Anne-Colombe Launois 1Il s’agit d’une miniature illustrant Rao Umed Singh de Bundi à cheval, chassant le sanglier, vers 1760 (inv. 1986-T.4), et d’un dessin, non publié, Un éléphant et son cornac, attribué au méconnu Khakha, vers 1700 (inv. 1986-T.38). Au sujet de l’école de Bundi, voir Jiwan Sodhi, A Study of Bundi School of Painting (From the Collection of the National Museum, New Delhi), New Delhi, 1999, ainsi que Sheila E. Canby, Princes, poètes et paladins, miniatures islamiques et indiennes de la collection du prince et de la princesse Sadruddin Aga Khan, Genève, 1998, p. 169-172. 2En effet, la collection compte seulement 33 miniatures à thèmes religieux dont des images de divinités, des illustrations des grandes épopées émaillées d’interventions divines, des scènes de dévotion personnelle ainsi que des visites à des sages et ascètes. 3La Fondation Custodia possède deux autres miniatures de style moghol montrant Trois ascètes discutant autour d’un livre, vers 1600-1630 (inv. 1978-T.56) et Deux Mullahs discutant d’un texte, vers 1570-1580 (inv. 1971-T.69). 4Un mahant, littéralement en hindi « personnage éminent », dérivé du sanskrit maha (« grand »), désigne le prêtre principal d’un temple ou le responsable d’un monastère chez les hindous et les sikhs (voir, entre autres, Harbans Singh (dir.), The Encyclopaedia of Sikhism, Patiala, 1997, vol. III, p. 14). Concernant les marques sectaires peintes sur le corps, voir W. J. Johnson, Dictionary of Hinduism, Oxford, 2009, p. 325. 5Boon collectionna à titre personnel des peintures indiennes, notamment de l’école moghole. Sa passion est brièvement mentionnée dans Mària van Berge, Sven Gahlin et Carlos van Hasselt, « Some Mughal Miniatures in a Private Collection in Paris », dans Erik Fischer (dir.), Liber amicorum Karel G. Boon, Amsterdam, 1974, p. 28-51. Notons que Boon fut l’auteur du catalogue raisonné des dessins néerlandais et allemands des XVe et XVIe siècles de la Fondation Custodia : Karel G. Boon, The Netherlandish and German Drawings of the XVth and XVIth Centuries of the Frits Lugt Collection, 3 vols., Paris, 1992. 6Schatborn rédigea le catalogue des dessins de Rembrandt et son cercle conservés par la Fondation Custodia : Peter Schatborn, Rembrandt and his Circle. Drawings in the Frits Lugt Collection, 2 vols., Bussum et Paris, 2010. 7L’adjonction « -ji » est un terme d’adresse respectueuse à l’égard d’une personne, âgée ou de rang social supérieur.
Cette miniature de l’école de Bundi rejoint deux œuvres de même style parmi les 230 miniatures indo-persanes de la Fondation Custodia1. C’est un apport notable au sein d’une collection essentiellement centrée sur l’art du portrait de cour2. De plus, la rencontre avec un guide spirituel est un sujet classique de la culture indienne à travers les siècles. Il souligne l’importance de la relation de maître à disciple dans le cheminement initiatique, en particulier pour l’étude des textes sacrés et ce, quelle que soit la religion3. Ici, le style de Bundi se reconnaît dans la rondeur des visages au nez pointu, une certaine symétrie dans les positions assises du sage et de ses deux fidèles, la forme du turban de Samtokdas et l’intensité des couleurs, notamment du jaune. Pourtant, l’opulence de la faune et de la flore typique de ce style semble avoir été oubliée par le peintre. La scène d’extérieur garde le souvenir d’une rencontre précise, comme l’indiquent les inscriptions des noms de personnages présents jusqu’à l’humble porteur de chasse-mouches, détail plus rare. Le maître, au visage ridé et aux cheveux grisonnants, qualifié de mahant, était à la tête d’un temple ou d’un monastère d’obédience vishnouite, selon les marques blanches et rouges en forme de U sur son corps et ceux de ses adeptes4. Malheureusement, les lacunes sur le texte ne permettent plus d’identifier l’ouvrage au cœur de l’argumentation entre les participants. Ce don de Peter Schatborn, conservateur à partir de 1968 au Rijksprentenkabinet du Rijksmuseum, Amsterdam, et qui en fut le directeur de 1991 à 2001, rappelle le lien particulier, à la fois amical et intellectuel, entretenu depuis près d’un siècle entre Frits Lugt puis la Fondation Custodia et ce cabinet des arts graphiques. En effet, Frits Lugt eut de 1923 à 1926 un jeune assistant, J. Q. van Regteren Altena (1899–1980), devenu directeur du Rijksprentenkabinet de 1948 à 1962. Tous deux continuèrent à échanger régulièrement au cours de leurs vies. Par la suite, le premier directeur de la Fondation Custodia, Carlos van Hasselt (1929–2009), et Karel G. Boon (1909–1996), directeur du Rijksprentenkabinet de 1962 à 1974, furent également passionnés de dessins, d’estampes et de miniatures indiennes5. Les deux hommes entretinrent une intense correspondance. Enfin, Peter Schatborn, grand ami de Mària van Berge-Gerbaud, directrice de la Fondation Custodia de 1996 à 2010, et de Ger Luijten, eut aussi un réel enthousiasme pour les peintures indiennes bien qu’il n’en collectionnât que peu6. Ce lien « naturel » entre les deux institutions possède un aspect souvent méconnu, plus personnel, et pourtant récurrent, à travers ces images indiennes. Anne-Colombe Launois 1Il s’agit d’une miniature illustrant Rao Umed Singh de Bundi à cheval, chassant le sanglier, vers 1760 (inv. 1986-T.4), et d’un dessin, non publié, Un éléphant et son cornac, attribué au méconnu Khakha, vers 1700 (inv. 1986-T.38). Au sujet de l’école de Bundi, voir Jiwan Sodhi, A Study of Bundi School of Painting (From the Collection of the National Museum, New Delhi), New Delhi, 1999, ainsi que Sheila E. Canby, Princes, poètes et paladins, miniatures islamiques et indiennes de la collection du prince et de la princesse Sadruddin Aga Khan, Genève, 1998, p. 169-172. 2En effet, la collection compte seulement 33 miniatures à thèmes religieux dont des images de divinités, des illustrations des grandes épopées émaillées d’interventions divines, des scènes de dévotion personnelle ainsi que des visites à des sages et ascètes. 3La Fondation Custodia possède deux autres miniatures de style moghol montrant Trois ascètes discutant autour d’un livre, vers 1600-1630 (inv. 1978-T.56) et Deux Mullahs discutant d’un texte, vers 1570-1580 (inv. 1971-T.69). 4Un mahant, littéralement en hindi « personnage éminent », dérivé du sanskrit maha (« grand »), désigne le prêtre principal d’un temple ou le responsable d’un monastère chez les hindous et les sikhs (voir, entre autres, Harbans Singh (dir.), The Encyclopaedia of Sikhism, Patiala, 1997, vol. III, p. 14). Concernant les marques sectaires peintes sur le corps, voir W. J. Johnson, Dictionary of Hinduism, Oxford, 2009, p. 325. 5Boon collectionna à titre personnel des peintures indiennes, notamment de l’école moghole. Sa passion est brièvement mentionnée dans Mària van Berge, Sven Gahlin et Carlos van Hasselt, « Some Mughal Miniatures in a Private Collection in Paris », dans Erik Fischer (dir.), Liber amicorum Karel G. Boon, Amsterdam, 1974, p. 28-51. Notons que Boon fut l’auteur du catalogue raisonné des dessins néerlandais et allemands des XVe et XVIe siècles de la Fondation Custodia : Karel G. Boon, The Netherlandish and German Drawings of the XVth and XVIth Centuries of the Frits Lugt Collection, 3 vols., Paris, 1992. 6Schatborn rédigea le catalogue des dessins de Rembrandt et son cercle conservés par la Fondation Custodia : Peter Schatborn, Rembrandt and his Circle. Drawings in the Frits Lugt Collection, 2 vols., Bussum et Paris, 2010. 7L’adjonction « -ji » est un terme d’adresse respectueuse à l’égard d’une personne, âgée ou de rang social supérieur.