121. Jozef Van Ruyssevelt

Bazel, Belgique 1941 – 1985 Kalmthout

La Boule de verre, 1981

« Jozef Van Ruyssevelt avait la faculté de s’émerveiller devant le spectacle quotidien des choses. Cet émerveillement le poussait continuellement à capter ces choses, à les dessiner. Au fil des ans, son travail s’est transformé en une véritable écriture. Car le temps presse. Les souvenirs courent à rebours. Entre les deux se tient l’artiste1. »

Si Ger Luijten et Jozef Van Ruyssevelt s’étaient connus de leur vivant, nul doute qu’ils auraient été unis par des liens d’amitié, pour ce regard émerveillé qu’ils posaient sur le monde. C’est finalement la veuve de Jozef, Maria (May) Suykerbuyk, qui les a réunis et, pour remercier Ger Luijten de l’attention qu’il avait attirée internationalement sur l’œuvre de son mari2, elle a fait don de La Boule de verre à la Fondation Custodia.

Ce grand dessin au pastel représente un luxuriant bouquet aux tons rouges et roses posé sur une petite table placée entre deux fenêtres, qui donnent sur la fraîche verdure du jardin. Nous nous trouvons dans le salon de l’artiste, où la petite copie en plâtre de l’Hercule Farnèse, que l’on aperçoit à droite derrière le vase, occupait une place attitrée sur le rebord de la fenêtre3. L’eau du récipient rond est trouble. La touche est hâtive, tâtonnante et en même temps parfaite : la boule de verre est bien réelle.

L’attention de Van Ruyssevelt s’est invariablement portée sur les choses vivantes et « mortes » qui l’entouraient, sous la forme de paysages, de natures mortes et de portraits. Il réalisa d’une part de pures eaux-fortes en noir et blanc en très petit tirage – son œuvre gravé est conservé au cabinet des estampes du Rijksmuseum d’Amsterdam – et d’autre part des œuvres en couleur (souvent de grand format) : pastels et gouaches sur papier et peintures à l’huile sur toile. Pour les préparer, il faisait des croquis à la plume, à l’aquarelle et à la gouache dans de petits carnets. Plus d’un titre d’œuvre lui a été soufflé par May. Van Ruyssevelt choisissait et montait lui-même les cadres en bois qui convenaient à ses grandes compositions.

Ce pastel a été réalisé durant les années les plus productives (1975-1983) de l’artiste, pendant lesquelles il eut également à lutter contre son état maniaco-dépressif. Cette année 1981 fut particulièrement difficile sur le plan personnel. Ce qui ne l’empêcha pas de produire certaines de ses œuvres les plus saisissantes, qui méritent d’être (re)découvertes. Selon Ger Luijten, il était incompréhensible qu’un talent de l’envergure de Van Ruyssevelt soit si méconnu. L’honneur lui revient d’avoir donné à cet artiste singulier une place dans le canon de l’histoire de l’art4.

Sarah Van Ooteghem

1Marleen De Crée-Roux dans Piet van Bouchaute, Lutgarde Boeykens et Marleen De Crée-Roux, Jozef Van Ruyssevelt, 1941-1985, cat. exp. Saint-Nicolas (Cipierage et Stedelijk Museum), 1989, p. 16.

2Au printemps 2016, la Fondation Custodia accueillait l’exposition Capturer la lumière. L’œuvre sur papier de Jozef Van Ruyssevelt (voir le catalogue complet des eaux-fortes de l’artiste qui l’accompagne : Gijsbert van der Wal, Jozef Van Ruyssevelt. L’œuvre graphique, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2016).

3May et son cousin Carl Suykerbuyk nous l’ont précisé lors d’une conversation qui a eu lieu le 6 décembre 2023. La sculpture est toujours en possession de May et est illustrée dans Van der Wal 2016, op. cit. (note 2), p. 34.

4Edouard Vergnon, un ami de Ger Luijten, a récemment publié un ouvrage qui montre que plusieurs dessins de Van Ruyssevelt étaient aussi « visités » par les esprits de Turner, Constable, Van Gogh ou Rothko (voir Edouard Vergnon, Une visite à Jozef Van Ruyssevelt, Bruxelles, 2022).