128. Gèr Boosten

Né en 1947 à Maastricht

Carnet de Poilly-lez-Gien, 2013

L’œuvre du peintre, dessinateur et graveur Gèr Boosten est construit de violence, d’opposition et de rencontres ; il ne tait rien de la brutalité de la vie. Vers 1970, à la faveur d’un programme d’échange, il séjourna comme étudiant en Yougoslavie où il fréquenta des Tziganes, des alcooliques et des prostituées. Ce séjour décisif le plongea sans retenue dans une réalité brute qu’il retranscrivit dans ses œuvres, sans chercher à la voiler : « Il suffisait de se baisser pour ramasser tous les malheurs du monde et je trouvais ça fantastique. La vie et la mort étaient tellement proches l’une de l’autre1 ». Néanmoins, la violence que l’on peut trouver dans ses œuvres n’est en rien un but. Elle n’est qu’inspirée par l’âpreté d’une réalité regardée en face, sans concession. Boosten ne cherche pas à choquer notre œil mais conçoit le dessin comme une recherche plastique qui ne saurait souffrir d’aucune limitation.

Les carnets, que Gèr Boosten indique consulter quotidiennement2, ne sont pas un travail préparatoire pour une œuvre en particulier. Ils constituent un répertoire de motifs dans lequel l’artiste peut puiser, même des années plus tard3, pour la réalisation de grandes compositions peintes. La notion de monumentalité, quel que soit le format et la technique utilisés, y est importante. On reconnaît dans le placement maîtrisé de ses personnages dans l’espace son expérience de scénographe de théâtre4.

Sur la double page exposée de ce carnet se côtoient deux thèmes récurrents de Boosten : les fumeurs et les chaussures à talons. Ces motifs, au même titre que d’autres thèmes symboliques pour lui comme les tablées5 ou les cordes à linge6, se trouvent fréquemment sous son pinceau. Selon lui, la fumée qui enveloppe les personnages renvoie à la confusion de leurs pensées brouillées et matérialise la difficulté de communiquer. Quant au pied chaussé d’un soulier à talon qu’une bouche embrasse, il s’agit bien entendu d’un motif érotique. Il convoque également une réflexion profonde de l’artiste sur la récurrence des crimes sexuels et l’indifférence qu’ils suscitent.

Ger Luijten découvrit le travail de Gèr Boosten alors qu’il dirigeait le Rijksprentenkabinet à Amsterdam. À la suite de leur rencontre, la Fondation Custodia consacra en 2015 une exposition à l’œuvre dessiné et gravé de l’artiste7. À cette occasion, le carnet présenté fit l’objet d’une publication en fac-similé. Il porte le nom de Poilly-lez-Gien, village situé à 140 km au sud de Paris dans lequel l’artiste s’est installé en 2005 après avoir vécu à Grignan, dans la Drôme, depuis 1996.

Marie-Liesse Choueiry

1Cité par Gijsbert van der Wal.

2Gijsbert van der Wal, avant-propos de Ger Luijten, Cirques d’encre, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2015, p. 82.

3«  Mes carnets contiennent des éléments que je n’utilise parfois que 30 ans plus tard. Ils sont une archive, une bibliothèque dans laquelle je puise en permanence  », ibid., p. 82.

4En 1971, l’artiste suivit une formation théâtrale auprès de Nicolaas Wijnberg à l’Académie Jan van Eyck à Maastricht. Il conçut des décors pour la troupe de théâtre Groot Limburgs Toneel et la compagnie théâtrale d’Amsterdam Globe.

5Repas dans l’herbe, 1971-1982, huile sur toile, 170 × 260 cm, Venlo, Museum van Bommel van Dam.

6Linge à Bologne, 1977, mine de plomb, 300 × 214 mm, collection de l’artiste.

7Van der Wal 2015, op. cit. (note 2).