Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 129. Siemen Dijkstra Né à Den Helder en 1968 Vasière d’Uithuizen, en hiver, 2017 En 2020, le public français découvrait avec émerveillement les impressionnantes gravures sur bois en couleurs de Siemen Dijkstra à la Fondation Custodia. Organisée à l’initiative de Ger Luijten, cette exposition portait le titre « À bois perdu1 », évocation de la technique utilisée par l’artiste mais également de son inquiétude pour la disparition des forêts de la Drenthe, où il vit et travaille. Les deux sont intrinsèquement mêlés. Cette technique est appelée ainsi car ce qui est gravé est perdu à jamais. Contrairement à la manière japonaise, il n’utilise qu’une même matrice, qu’il creuse de plus en plus, ne pouvant revenir en arrière2. En retirant des couches de sa matrice en bois, puis en imprimant successivement chaque couleur, Dijkstra crée des images très fortes. Cette technique de réduction lui a été transmise par Wim van Veen (né en 1936), à l’Academie Minerva de Groningue, mais il la maîtrise d’une façon qui lui est unique3. Très préoccupé par la modification des sites naturels due à l’action humaine, Dijkstra considère que le paysage « détermine notre identité4 ». À travers son art, il est à la recherche du genius loci, « l’esprit du lieu5 ». Il choisit ainsi des paysages où il voit transparaître les mythes des temps anciens6. Sensible à la lumière et à la beauté de tels lieux, il souhaite par la gravure se les réapproprier, trouver leur essence7. Dijkstra a alors recours à la photographie, pour capturer un instant qu’il reconstruit ensuite en atelier8 : « Du graphisme spatial, voilà au fond ce que je veux9 ». C’est également de la photographie que viennent le rendu de ses paysages en fish eye et la prolifération de détails dans ses xylogravures. Cette vue étirée de la mer près d’Uithuizen, avec son horizon très haut pour rendre l’immensité de la mer, en est un parfait exemple. Le sujet est simple : la vasière, parcourue de brise-lames, au moment du coucher de soleil. Dijkstra crée une image très poétique, universelle10. Une source d’inspiration évoquée par l’artiste lui-même pour l’ensemble de son travail est l’œuvre du Danois Johannes Larsen (1867–1961), notamment un tableau représentant une baie qui l’a profondément marqué et qui n’est pas sans évoquer cette gravure11. Siemen Dijkstra a une prédilection pour les paysages dénués de figure humaine, où la terre, l’eau et l’air se rencontrent. L’eau apparaît dans de nombreuses de ses œuvres : elle permet de voir un « monde miroir sous la surface », monde métaphysique qui serait inaccessible12. Ici, le crépuscule a pu lui sembler propice à la suggestion de ce monde invisible. Juliette Parmentier-Courreau 1Gijsbert van der Wal, préface de Ger Luijten, Siemen Dijkstra. À bois perdu, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2020 (édition bilingue français-néerlandais). 2Pour une explication complète de cette technique, voir ibid., p. 8-16. 3« La gravure sur bois en couleurs est une technique individuelle. Il n’existe pas deux graphistes qui utilisent la gravure sur bois en couleur exactement de la même manière. Aucune école n’enseigne une technique particulière en graphisme. », Siemen Dijkstra, « Tot hier en dan verder », dans Harry R. Tupan (dir.), Siemen Dijkstra. Eigen druk : kleurenhoutsneden en tekeningen, cat. exp. Assen (Drents Museum), 2006, p. 52. 4Siemen Dijkstra dans Siemen Dijkstra et Jan van Ginkel, Kruistocht door Drenthe, Groningue, 2021, p. 11. L’artiste a publié cet ouvrage ainsi qu’un autre pour alerter sur les changements dans les paysages de la Drenthe, en témoignant à travers ses aquarelles et gravures sur bois. Voir également Siemen Dijkstra, Dwingelderveld in Transit, cat. exp. Hooghalen (Galerie Wildevuur), 2013. 5Selon Michel van Maarseveen, le genius loci dans l’œuvre de Dijkstra est « lié à l’activité humaine dans un passé lointain, lorsque l’homme était capable de nouer un lien profond avec la nature », Michel van Maarseveen, « Op zoek naar de genius loci », dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 44. 6« Les mythes et légendes des temps anciens redonnent vie au paysage contemporain », Siemen Dijkstra, « Over andere invloeden op mijn werk », dans ibid., p. 59. 7Ce qu’il ne parvient à faire avec le dessin in situ, qui n’est pour lui que la représentation exacte d’un paysage ; ibid., p. 49-50. 8« Les photos assemblées montrent un paysage que je n’aurais pu voir littéralement ainsi. C’est aussi une image d’expérience. », Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 50. 9Van der Wal 2020, op. cit. (note 1), p. 36. 10Par l’inscription ajoutée sous la gravure, il associe cette œuvre aux paroles de la chanson This Shining Shining World, du groupe britannique Current 93. Dijkstra écoute beaucoup de musique folk et rock en travaillant et a pour habitude d’emprunter des paroles pour donner des titres à ses gravures ; Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 60. 11Bygevejr i april (« Averses d’avril »), 1901-1907, huile sur toile, 131 × 197 cm, Faaborg Museum, Faaborg (Danemark) ; Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 53-54. 12Dijkstra 2013, op. cit. (note 4), [p. 85] (publication non paginée). Voir également Michel van Maarseveen dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 46.
En 2020, le public français découvrait avec émerveillement les impressionnantes gravures sur bois en couleurs de Siemen Dijkstra à la Fondation Custodia. Organisée à l’initiative de Ger Luijten, cette exposition portait le titre « À bois perdu1 », évocation de la technique utilisée par l’artiste mais également de son inquiétude pour la disparition des forêts de la Drenthe, où il vit et travaille. Les deux sont intrinsèquement mêlés. Cette technique est appelée ainsi car ce qui est gravé est perdu à jamais. Contrairement à la manière japonaise, il n’utilise qu’une même matrice, qu’il creuse de plus en plus, ne pouvant revenir en arrière2. En retirant des couches de sa matrice en bois, puis en imprimant successivement chaque couleur, Dijkstra crée des images très fortes. Cette technique de réduction lui a été transmise par Wim van Veen (né en 1936), à l’Academie Minerva de Groningue, mais il la maîtrise d’une façon qui lui est unique3. Très préoccupé par la modification des sites naturels due à l’action humaine, Dijkstra considère que le paysage « détermine notre identité4 ». À travers son art, il est à la recherche du genius loci, « l’esprit du lieu5 ». Il choisit ainsi des paysages où il voit transparaître les mythes des temps anciens6. Sensible à la lumière et à la beauté de tels lieux, il souhaite par la gravure se les réapproprier, trouver leur essence7. Dijkstra a alors recours à la photographie, pour capturer un instant qu’il reconstruit ensuite en atelier8 : « Du graphisme spatial, voilà au fond ce que je veux9 ». C’est également de la photographie que viennent le rendu de ses paysages en fish eye et la prolifération de détails dans ses xylogravures. Cette vue étirée de la mer près d’Uithuizen, avec son horizon très haut pour rendre l’immensité de la mer, en est un parfait exemple. Le sujet est simple : la vasière, parcourue de brise-lames, au moment du coucher de soleil. Dijkstra crée une image très poétique, universelle10. Une source d’inspiration évoquée par l’artiste lui-même pour l’ensemble de son travail est l’œuvre du Danois Johannes Larsen (1867–1961), notamment un tableau représentant une baie qui l’a profondément marqué et qui n’est pas sans évoquer cette gravure11. Siemen Dijkstra a une prédilection pour les paysages dénués de figure humaine, où la terre, l’eau et l’air se rencontrent. L’eau apparaît dans de nombreuses de ses œuvres : elle permet de voir un « monde miroir sous la surface », monde métaphysique qui serait inaccessible12. Ici, le crépuscule a pu lui sembler propice à la suggestion de ce monde invisible. Juliette Parmentier-Courreau 1Gijsbert van der Wal, préface de Ger Luijten, Siemen Dijkstra. À bois perdu, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2020 (édition bilingue français-néerlandais). 2Pour une explication complète de cette technique, voir ibid., p. 8-16. 3« La gravure sur bois en couleurs est une technique individuelle. Il n’existe pas deux graphistes qui utilisent la gravure sur bois en couleur exactement de la même manière. Aucune école n’enseigne une technique particulière en graphisme. », Siemen Dijkstra, « Tot hier en dan verder », dans Harry R. Tupan (dir.), Siemen Dijkstra. Eigen druk : kleurenhoutsneden en tekeningen, cat. exp. Assen (Drents Museum), 2006, p. 52. 4Siemen Dijkstra dans Siemen Dijkstra et Jan van Ginkel, Kruistocht door Drenthe, Groningue, 2021, p. 11. L’artiste a publié cet ouvrage ainsi qu’un autre pour alerter sur les changements dans les paysages de la Drenthe, en témoignant à travers ses aquarelles et gravures sur bois. Voir également Siemen Dijkstra, Dwingelderveld in Transit, cat. exp. Hooghalen (Galerie Wildevuur), 2013. 5Selon Michel van Maarseveen, le genius loci dans l’œuvre de Dijkstra est « lié à l’activité humaine dans un passé lointain, lorsque l’homme était capable de nouer un lien profond avec la nature », Michel van Maarseveen, « Op zoek naar de genius loci », dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 44. 6« Les mythes et légendes des temps anciens redonnent vie au paysage contemporain », Siemen Dijkstra, « Over andere invloeden op mijn werk », dans ibid., p. 59. 7Ce qu’il ne parvient à faire avec le dessin in situ, qui n’est pour lui que la représentation exacte d’un paysage ; ibid., p. 49-50. 8« Les photos assemblées montrent un paysage que je n’aurais pu voir littéralement ainsi. C’est aussi une image d’expérience. », Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 50. 9Van der Wal 2020, op. cit. (note 1), p. 36. 10Par l’inscription ajoutée sous la gravure, il associe cette œuvre aux paroles de la chanson This Shining Shining World, du groupe britannique Current 93. Dijkstra écoute beaucoup de musique folk et rock en travaillant et a pour habitude d’emprunter des paroles pour donner des titres à ses gravures ; Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 60. 11Bygevejr i april (« Averses d’avril »), 1901-1907, huile sur toile, 131 × 197 cm, Faaborg Museum, Faaborg (Danemark) ; Siemen Dijkstra dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 53-54. 12Dijkstra 2013, op. cit. (note 4), [p. 85] (publication non paginée). Voir également Michel van Maarseveen dans Tupan 2006, op. cit. (note 3), p. 46.