139. Edmond et Jules de Goncourt

Nancy 1822 – 1896 Champrosay et Paris 1830 – 1870 Paris

Gavarni, l’homme et l’œuvre, Paris, Henri Plon, [1re éd.] 1873

Le décès à Auteuil de Paul Gavarni1 (1804–1866) fut un choc pour les frères Goncourt. Apprenant la nouvelle par les journaux2, l’idée d’écrire un ouvrage sur le « grand peintre de la vie moderne », cet homme qu’ils considéraient comme une figure paternelle, est exprimée dès le jour de l’inhumation, projet qu’ils exposent dans une lettre à Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804–1969)3.

Gavarni et les frères Goncourt s’étaient rencontrés en janvier 1852 alors que ces derniers firent appel à Gavarni pour les illustrations du journal L’Éclair, fondé par leur cousin le comte de Villedeuil4. Illustrateur prolifique, Gavarni était alors au sommet de sa carrière et ses dessins et lithographies apparaissent dans des journaux tels que L’Artiste, L’Illustration, Le Charivari pour n’en citer que quelques-uns. Fondateur du fameux dîner Magny5, Gavarni devint alors un ami proche des Goncourt, voire un mentor6. Ses mots d’esprit sont consignés dans leur Journal7 sous le titre « Gavarniana ». Lorsqu’en 1853 ils publient leur roman La Lorette, les frères Goncourt demandent à Gavarni de leur fournir un dessin en guise de frontispice.

Un des croquis de cette Lorette se trouve dans notre livre truffé. Les différents documents qui y sont réunis ont été sélectionnés et mis en page par Edmond de Goncourt, car son frère puîné, Jules, décéda le 20 juin 1870, avant la parution de son ultime ouvrage. La monographie de Gavarni parut d’abord en épisodes, du 18 juin 1872 au 4 mars 1873, dans le Bien public8, avant d’être publiée chez Plon. Deux des documents ajoutés sont les originaux de documents édités dans l’ouvrage : les différents états de la lithographie du Portrait à la cigarette et une lettre de Gavarni. Deux autres documents viennent en complément : le portrait de Gavarni vieux par son fils9, et la liste des « femmes aimées »10.

Enfin, les onze dessins11 sont remarquables à plusieurs titres : d’abord parce qu’ils constituent une partie conséquente de la collection de dessins de Gavarni qu’Edmond possédait. En effet, à la vente après décès de 189712, on ne constate que dix numéros supplémentaires consacrés aux dessins de Gavarni. Ensuite, sur les onze dessins, six ont été gravés à l’eau-forte par Jules de Goncourt, qui avait été élève de Gavarni dans cet art13. Parmi ceux-ci, trois « croquetons » pour le fameux ex-libris E J, dont la Fondation Custodia conserve la plaque de cuivre14.

L’acquisition par Ger Luijten de cet ouvrage en 2018 ainsi que celle du dessin de Lucien Daudet, Edmond de Goncourt sur son lit de mort15, en 2014, s’inscrit dans une tradition, commencée par Frits Lugt en 1933, de rassembler à la Fondation Custodia une collection de Goncourtiana qui compte aujourd’hui environ 80 pièces16.

Marie-Claire Nathan

1Pseudonyme de Sulpice-Guillaume Chevallier. Il décéda le 24 novembre 1866.

2Les frères Goncourt étaient alors en vacances chez leur cousin Labille à Bar-sur-Seine.

3Lettre du 25 novembre 1866, transcrite dans Lettres de Jules de Goncourt, Paris, Charpentier, 1885, p. 259-260. Cette lettre est maintenant à la Bibliothèque de l’Institut, fonds Lovenjoul, cote D-602, vol. VI de la correspondance à Sainte-Beuve.

4Charles de Villedeuil (1831–1906). C’est pour L’Éclair que Gavarni créa la série du Manteau d’Arlequin.

5Le premier dîner Magny, le 22 novembre 1862, rassemblait Gavarni, Sainte-Beuve, le docteur Veyne, le marquis de Chennevières et les frères Goncourt. Hippolyte Taine, Ernest Renan, Théophile Gautier, Auguste Nefftzer, Paul de Saint-Victor puis Gustave Flaubert en devinrent des habitués.

6Voir Alain Barbier Sainte Marie, « Gavarni, le “tuteur” », Cahiers Edmond et Jules de Goncourt, n° 1, 1992, p. 23-34. Pour cette notice, nous nous sommes également appuyés sur l’article de Ségolène Le Men, « Les Goncourt et Gavarni », Francofonia, n° 21, 1991, p. 71–85.

7Edmond et Jules de Goncourt, Journal des Goncourt : mémoires de la vie littéraire, 9 vols., Paris, 1887-1896.

8Le Bien public : journal politique quotidien (rédacteur en chef : H. Vrignault), Paris, 1871-1894.

9Pierre Gavarni, peintre (1846–1932).

10La lettre (reproduite dans le livre) et la liste (qui mentionne les noms d’une centaine de femmes, pour la plupart des lorettes ou des grisettes) illustrent deux traits majeurs de Gavarni : son engouement pour les femmes, surtout durant la première partie de sa vie, et les mathématiques, tout le long de son existence.

11Dix sont des dessins à la plume et à l’encre. Un seul est un dessin aquarellé.

12Vente, Paris (Hôtel Drouot, Duchesne/Dumont), 7e vacation, Collection des Goncourt. Estampes modernes : aquarelles et dessins, 30 avril-1er mai 1897. Il y eut 9 dessins et aquarelles de Gavarni et un album de 75 dessins de « Costumes de mode » donnés à Edmond de Goncourt par la princesse Mathilde en 1880.

13Voir Philippe Burty, Eaux-fortes de Jules de Goncourt, notice et catalogue, Paris, 1876. Jules de Goncourt se présente au Salon de 1861 comme « élève de Gavarni » avec un Thomas Vireloque d’après son maître. Les six eaux-fortes sont les suivantes : Le Public d’une loge d’un théâtre de boulevard et Le Joueur aux dames (Burty 42), Homme dormant sur une chaise (Burty 48), Ex-libris (Burty 61), Études pour La Lorette (Burty 63), Un figurant (Burty 86).

14Paris, Fondation Custodia, inv. 1982-A.2.

15Paris, Fondation Custodia, inv. 2014-A.435.

16Hans Buijs, « Edmond de Goncourt sur son lit de mort, dessiné par Lucien Daudet », E-News Fondation Custodia, n° 8, juin 2015, p. 26-29.