140. Cristoforo Foppa, dit il Caradosso

Mondonico vers 1452 – 1526/1527 Rome

Lettre à Ludovico Maria Sforza, dit « le More », duc de Milan, Rome, 25 février 1495

En 1495, l’orfèvre milanais Caradosso Foppa fut envoyé à Florence par le duc Ludovic Sforza (1452–1508) pour l’achat éventuel d’objets précieux de la collection de Laurent de Médicis « Le Magnifique » (1449–1492)1. Après l’occupation de la ville par les Français, l’année précédente, et la fuite du fils de Laurent, Pierre II (1473–1503), les biens de ce dernier avaient été confisqués et mis en vente par la Seigneurie. À l’arrivée de Foppa, les meilleures pièces s’avéraient déjà disparues et quand les négociations échouèrent en raison des prix demandés, il poursuivit sa quête jusqu’à Rome. Là, il dut informer le duc par cette lettre que le bijou le plus précieux, un spinelle rouge, avait été vendu et scié2. La lettre est la dernière d’une série de quatre de janvier et février 1495, dont l’une se trouve toujours dans l’Archivio di Stato de Milan, ensemble avec deux réponses du duc (sur les trois connues). Les autres ne sont connues que par des transcriptions ultérieures3.

Foppa était un expert renommé en pierres précieuses et leur sertissage, et avait déjà accompli à ce titre quelques missions similaires pour Ludovic. Il connaissait en outre parfaitement la collection de Laurent de Médicis pour l’avoir visitée en 1488 et 14894. Le duc devait être particulièrement désireux d’acquérir le « balasso » mentionné, car le joyau est également évoqué dans la missive précédente de Foppa, où il relate un entretien avec le frère de Ludovic, le cardinal Ascanio Maria Sforza (1455–1505), rencontré de passage à Viterbe5.

L’orfèvre était également réputé comme connaisseur (et marchand) de sculptures antiques et avait, d’après sa lettre, approché cinq cardinaux à Rome dans l’objectif d’acquérir des antiquités pour le duc6. Deux d’entre eux étaient absents, un troisième avait fait des promesses, mais il avait eu du succès auprès de deux autres : le cardinal Giovanni Borgia (1446–1503), neveu du pape Alexandre VI, avait fait don d’une Léda en marbre, le cardinal Giovanni Giacomo Schiaffinato (1451–1497) d’une statue non identifiée, pour laquelle Foppa exhorta le duc à écrire une lettre de remerciement7.

En 1506/1507, quelques années après la chute du More en 1500, Foppa s’installa définitivement à Rome, où il fut aux services de trois papes successifs8. Parmi les commandes de ces années figurent la tiare et le pectoral de Jules II (1510) et le tabernacle du Sancta Sanctorum, resté inachevé à sa mort. Hormis la tiare, restituée dans un dessin du XVIIIe siècle9, et quelques copies d’après les reliefs d’un encrier en argent déjà célèbre à l’époque10, nous ne connaissons aujourd’hui pas d’œuvres de sa main. Sa lettre de 1495 est désormais la plus ancienne du fonds de lettres d’artistes de la collection Frits Lugt.

Hans Buijs

1Dès le 17 novembre 1494, seulement quelques jours après l’occupation de Florence par les Français, Ludovic avait écrit à son ambassadeur sur place afin de se renseigner sur le sort de la collection de Laurent ; voir Laurie Fusco et Gino Corti, Lorenzo de’ Medici, Collector and Antiquarian, Cambridge, etc., 2006, p. 174 et doc. 168. Sur le sort de la collection après la fuite de Pierre de Médicis, voir ibid., chapitre 7 ; sur la mission de Foppa, voir ibid., p. 68, 174-175, et Clifford M. Brown et Sally Hickson, « Caradosso Foppa (ca. 1452-1526/27) », Arte Lombarda, nouvelle série 119, 1997, p. 17-19.

2Le spinelle était la pièce la plus hautement estimée parmi les pierres précieuses mentionnées dans l’inventaire de la collection de Laurent de 1492 ; Marco Spallanzani et Giovanna Gaeta Bertelà (dir.), Libro d’inventario dei beni di Lorenzo il Magnifico, Florence, 1992, p. 42 ; Richard Stapleford, Lorenzo de’ Medici at Home. The Inventory of the Palazzo Medici in 1492, University Park, 2013, p. 103 ; Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), p. 326, doc. 173, note 1.

3Archivio di Stato Milan, Autografi, Cesellatori, busta 92 ; Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), doc. 171 ; pour les autres lettres, voir ibid., doc. 169-170, 172-174. La première de la série, du 29 janvier (ibid., doc. 169) se trouvait en 1873 dans la collection Damiano Muoni à Milan ; Carlo Pini et Gaetano Milanesi, La scrittura di artisti italiani riprodotta con la fotografia e corredata d’illustrazioni (secolo XIV-XVII), Florence, 1873, « Il Caradosso ». Dans la collection Alfred Morrison, notre lettre était accompagnée par l’une des lettres du duc, du 15 février (Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), doc. 172) ; A. W. Thibaudeau, Catalogue of the Collection of Autograph Letters and Historical Documents formed between 1865 and 1882 by Alfred Morrison, Londres, 1885, vol. II, p. 135. Ce document, portant un timbre sec de la « Società italiana d’archeologia e belle arti Milano », est passé il y a quelques années sur le marché parisien d’autographes.

4Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), doc. 110 et doc. 127.

5Lettre du 21 février 1495 ; ibid., doc. 173.

6Pour les identifications, voir ibid., p. 327. Sur la réputation de Foppa en tant que connaisseur de la sculpture antique, voir Brown et Hickson 1997, op. cit. (note 1), p. 12, et les documents de 1501 et 1517, cités dans ibid., p. 19 et 27 ; Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), doc. 127. Dans sa lettre de remerciement au cardinal Schiaffinato (voir la note suivante), Ludovic souligne les talents de Foppa à « cercare cose antique et bone de sculptura o metallo ».

7Cette lettre du duc, du 22 mars, nous est parvenue et a été publiée par Francesco Malaguzzi Valeri, « Artisti lombardi a Roma nel Rinascimento (Nuovi documenti su Cristoforo Solari, Bramante e Caradosso) », Repertorium für Kunstwissenschaft, vol. XXV, 1902, p. 61 ; Brown et Hickson 1997, op. cit. (note 1), p. 18, n° g ; Fusco et Corti 2006, op. cit. (note 1), p. 327, note 7.

8Voir Brown et Hickson 1997, op. cit. (note 1), p. 12, et les documents cités, ibid., de 1508 (p. 12), 1510 (p. 24-25), 1525 et 1526 (p. 30).

9Pour la tiare, voir Alessandro Ferrajoli, « Il triregno di Giulio II eseguito e descritto dal Caradosso », Atti e memorie della R. Accademia di S. Luca - Annuario, 1912, p. 81-97. Elle est représentée dans un dessin de Francesco Bartoli de 1719 à Londres, The British Museum, inv. 1893,0411.10.5, à son tour reproduit dans une gravure de George Vertue ; voir David Alexander, « George Vertue as an Engraver », Walpole Society, vol. LXXVII, 2008, n° 305.

10New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 18.70.10, et Washington, National Gallery of Art, inv. 1957.14.220 et 1957.14.228 ; pour l’encrier, voir Brown et Hickson 1997, op. cit. (note 1), p. 9-10 et 20-22.