141. Giorgio Vasari

Arezzo 1511 – 1574 Florence

Lettre à Giovanni Caccini, Florence, 27 août 1563

De Giorgio Vasari, nous connaissons plus de quatre-vingts lettres adressées à Giovanni Caccini (1522–1592), provveditore dell’Uffizio dei fiumi e fossi à Pise, l’un des plus hauts fonctionnaires du grand-duc Cosimo I (1519–1574)1. Les activités professionnelles des deux hommes impliquaient des contacts fréquents, mais ils étaient aussi de bons amis. Dans notre lettre, par exemple, Vasari demande à Caccini de chercher du beau lin pour sa femme2 et, dans une autre écrite quelques semaines plus tard, il annonce venir fêter Noël chez lui3.

Cette lettre est une brève mise à jour de sa missive de sept jours plus tôt, après la réception d’une réponse de Caccini et la récente visite de son bras droit, le sottoprovveditore Francesco Busini4. Ce dernier avait pu constater pourquoi Vasari ne sortait plus de chez lui : le 1er août, il avait commencé l’exécution des 39 peintures du plafond de la « Sala Grande » du Palazzo Vecchio de Florence5, une commande du grand-duc qui allait l’occuper jusqu’à la fin de 1565 et qui, comme il l’avait écrit le 20 août, avait fait de lui un homme différent. N’apparaissant plus à la cour, Cosimo était même venu en personne l’aviser de réaliser le projet « pour [s]on plaisir et non pour en mourir ».

Vasari rapporte qu’il est attendu le lendemain chez le grand-duc à Poggio a Caiano, en compagnie de « lo Spedalingo », c’est-à-dire Vincenzio Borghini (1515–1580), l’érudit prieur de l’Ospedale degl’Innocenti, qui l’avait assisté pour le programme du plafond. Borghini était également ami avec Caccini, de sorte que, selon Vasari, ils auraient tout le loisir de dire du mal de lui en cours de route6. L’audience porta sans doute sur les sujets du plafond, pour lesquels le grand-duc avait déjà imposé des changements, car cinq jours plus tard Vasari assura à ce dernier que Borghini s’était à nouveau penché sur les « inventioni della sala »7. Le résultat fut soumis à Cosimo, certes pas pour la dernière fois, le 14 septembre8.

Vasari remercie en outre Caccini pour deux services qu’il lui avait demandés le 20 août : un envoi à son beau-frère Ercole Ludovico Ballotta, capitano du Forte di Falcone sur l’île d’Elbe9, et la transmission d’un message destiné à « Maestro Davitte », ou Davide Fortini (vers 1515–1594). Ce dernier devait prier à Pise le sculpteur Francesco Moschino (1531–1578) d’envoyer rapidement un portrait de son père, Simone Mosca (1492–1553), pour la deuxième édition des Vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architettori, que Vasari était en train de préparer10. Architecte et ingénieur hydraulique, Fortini travaillait depuis 1562 dans cette ville et assista Vasari, entre autres, pour le chantier du Palazzo dei Cavalieri11.

Hans Buijs

1Sur Giovanni Caccini, voir Karl Frey et Herman-Walter Frey (éds.), Giorgio Vasari. Der literarische Nachlass, Munich et Burg, 1923-1940, vol. III, p. VIII, 3-4, note 1 ; Eliana Carrara, « Alcune lettere inedite di Vasari », L’Ellisse. Studi storici di letteratura italiana, vol. V, 2010, p. 66, notes 15 et 18. L’Uffizio dei fiumi e fossi (littéralement : office des cours d’eau et des canaux) qu’il dirigeait avait été créé par Cosimo I en 1547 afin de superviser l’entretien des voies publiques et des ponts, du système hydraulique et de la salubrité publique. À Pise, Caccini était chargé des chantiers pour l’ordre de Saint-Étienne, mais aussi du transbordement du marbre venant des carrières vers Florence. Dans le troisième volume de l’édition de la correspondance de Vasari entamée par son père, Herman-Walther Frey publia 61 lettres à Caccini qui se trouvaient à l’époque dans la collection de Piero Ginori Conti (1865–1939), prince de Trevignano, à Florence ; les deux premiers tomes n’en comptaient que huit. Sept lettres inconnues furent récemment signalées par Eliana Carrara dans « Giorgio Vasari (Arezzo 1511-Firenze 1574 », dans Matteo Motolese, Paolo Procaccioli et Emilio Russo (éds.), Autografi dei letterati italiani. Il Cinquecento, vol. I, Rome, 2009, p. 359-372 ; huit autres (dont la nôtre) furent publiées dans Carrara 2010, op. cit. Michele Bellotti en signala encore une dans « Disparitions et résurgences dans la conservation des textes épistolaires : le cas des lettres de Giorgio Vasari à la Morgan Library de New York », dans Carlo Alberto Girotto (dir.), L’Écriture épistolaire entre Renaissance et âge baroque. Pratiques, enjeux, pistes de recherche, Sarnico, 2021, p. 260, note 3. Par contre, aucune lettre de Caccini à Vasari ne semble être conservée. Pour cette correspondance, voir aussi Veronica Vestri dans Claudia Conforti (dir.), Vasari, gli Uffizi e il Duca, cat. exp. Florence (Galleria degli Uffizi), 2011, n° XV.10. Un grand nombre de lettres de Bartolommeo Ammanati (1511–1592) à Caccini et son assistant Busini (voir ci-après et note 4), provenant également de la collection Giannalisa Feltrinelli, se trouvent dans le Getty Research Institute à Los Angeles ainsi que dans la collection H. P. Kraus à New York ; voir Felicia Else, « Bartolommeo Ammanati : Moving Stones, Managing Waterways, and Building an Empire for Duke Cosimo I de’ Medici », The Sixteenth-Century Journal, vol. XLII, 2002, p. 393-425. Pour celles de Vincenzio Borghini à Caccini, voir note 6.

2Vasari avait déjà fait cette demande dans sa lettre de sept jours plus tôt (voir note 4) ; il la répéta le 13 septembre (voir la note suivante).

3Frey et Frey 1923-1940, op. cit. (note 1), vol. III, n° XXXII, du 13 septembre 1563.

4Lettre du 20 août 1563 ; ibid., vol. III, n° XXX. Pour Busini, qui habitait à Pise chez Caccini, voir ibid., vol. III, p. 19, note 5 ; Carrara 2010, op. cit. (note 1), p. 66, note 18.

5Comme il apparaît des Ricordanze de Vasari pour l’année 1563 ; voir Frey et Frey 1923-1940, op. cit. (note 1), vol. II, p. 877. Pour la chronologie du projet, voir Ettore Allegri et Alessandro Cecchi, Palazzo Vecchio e i Medici. Guida storica, Florence, 1980, p. 235-237, 248-251 ; Florian Härb, The Drawings of Giorgio Vasari (1511-1574), Rome, 2015, p. 432-438.

6Pour Borghini, voir Gino Belloni et Riccardo Drusi (dir.), Vincenzio Borghini. Filologia e invenzione nella Firenze di Cosimo I, cat. exp. Florence (Biblioteca Nazionale Centrale), 2002. 51 lettres de Borghini à Caccini, ainsi que deux réponses de ce dernier, provenant de la collection Giannalisa Feltrinelli, sont conservées au Getty Research Center à Los Angeles ; voir Alessandra Sarchi, « Di alcune lettere di Vincenzio Borghini nelle ‘Special Collections’ del Getty Institute », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, série IV, vol. I, 1996, p. 325-335.

7Lettre du 1er septembre 1563 ; voir Frey et Frey 1923-1940, op. cit. (note 1), vol. II, n° CDXIV.

8Le moment de cette nouvelle audience fut précisé le 12 septembre dans un échange avec Antonio Montalvo, courtier et confident du grand-duc (ibid., n° CDXV). Aussi tard que fin novembre 1564, le programme du plafond, documenté notamment dans trois diagrammes successifs, subit encore des changements ; voir le résumé dans Härb 2015, op. cit. (note 5), p. 432-437 et fig. 3, 4, 6, ainsi que la bibliographie citée dans ibid., note 702.

9D’autres lettres à Caccini montrent également que celui-ci se chargeait d’envois à Ballotta ainsi qu’à un autre beau-frère de Vasari, Federico Bacci ; voir par exemple Frey et Frey 1923-1940, op. cit. (note 1), vol. III, n°s XXIII, XXX, XXXI ; Carrara 2010, op. cit. (note 1), n° 10.

10L’effigie de Mosca figure en effet dans la deuxième édition des Vite (Florence, 1568) ; Wolfgang Prinz, Vasaris Sammlung von Künstlerbildnissen. Mit einem kritischen Verzeichnis der 144 Vitenbildnisse in der zweiten Ausgabe der Lebensbeschreibungen von 1568 (Beiheft, Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, vol. XII, 1966), n° 126, repr.

11Pour Fortini, voir Giuseppe La Tosa, « Fortini, Davide », Dizionario biografico degli Italiani, vol. XLIX, 1997, p. 192-194 ; Emanuela Ferretti et Giovanni Micheli, Il palazzo di Cosimo I a Cerreto Guidi. La Villa Medicea dalla fabbrica di Davitte Fortini alla corte di Isabella, Vinci, 1999, p. 73-77 ; Emanuela Ferretti, « Maestro David Fortini : dal Tribolo al Buontalenti, una carriera all’ombra dei grandi », dans Elisabetta Pieri et Luigi Zangheri (dir.), Niccolò detto il Tribolo, tra arte, architettura e paesaggio, Poggio a Caiano, 2001 (Quaderni di ricerche storiche, 7), p. 73-85 ; Carrara 2010, op. cit. (note 1), p. 69, note 28.