Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 143. Eglon van der Neer Amsterdam 1635/1636 – 1703 Düsseldorf Lettre à Maria Wagensfelt, Amsterdam, 13 novembre 1658 Par cette missive, peut-être la seule lettre d’amour que nous connaissions d’un artiste hollandais du XVIIe siècle, Eglon van der Neer informa sa fiancée de son bon retour à Amsterdam. Fils du peintre paysagiste Aert van der Neer (1603/1604–1677), il avait été formé auprès de Jacob van Loo (1614–1670) avant de partir en France en 1654, afin d’entrer pour quatre ans au service du gouverneur d’Orange, Friedrich von Dohna. Notre lettre nous précise le moment où il rentra de ce séjour, duquel nous ne sommes informés que par son premier biographe, Arnold Houbraken (1660–1719)1. Cette lettre conclut sans doute une longue série, car le ton intime et des expressions telles que « mon ange » et « ma douce âme » montrent que Maria et lui se connaissaient depuis longtemps. Van der Neer soupire qu’il a hâte de revoir sa « soetert » (« douce ») et demande si son père, le riche notaire de Rotterdam Aernoud Wagensfelt, lui a déjà écrit pour donner son accord. Trois mois plus tard, le 20 février 1659, le couple se maria. L’union prit fin en 1677, lorsque Maria mourut en couches de leur onzième enfant. Avec sa lettre, le peintre envoya « un peu de peinture et une ou deux fleurs », en s’excusant pour leur petit nombre. Il pourrait s’agir d’un bouquet floral dessiné ou peint2, mais Van der Neer ne pratiqua jamais ce genre, pour autant que nous le sachions, et peut-être faisait-il simplement référence à la décoration de la lettre elle-même, à laquelle il apporta manifestement tout son soin. Elle a été écrite d’une main fine, presque calligraphique, et le papier est bordé de filets d’or. Van der Neer peignit également en or deux couronnes de feuilles et de fleurs sur la bande du papier qui servait de page d’adresse après le pliage – peut-être une allusion à la littérature pastorale et au motif populaire des couples de bergers se couronnant, ou encore à la « couronne virginale » portée par la jeune mariée hollandaise le jour de ses noces3. Des traces de scellé sont visibles au centre de ces couronnes, ce qui semble indiquer que la lettre était fermée à cet endroit par un ruban, fixé avec de la cire à cacheter, exactement comme on le voit dans deux tableaux de Van der Neer4. L’année même de son mariage, l’artiste commença à peindre d’élégantes scènes de genre, semblables à celles de Gerard Terborch le Jeune (1617–1681) et Gabriel Metsu (1629–1667), et dans lesquelles la lettre, en particulier la lettre d’amour, joue si souvent un rôle majeur5. Hans Buijs 1Arnold Houbraken, De groote schouburg der Nederlansche konstschilders en schilderessen, Amsterdam, 1721, vol. III, p. 172-175. Pour les données biographiques du peintre, voir Eddy Schavemaker, Eglon van der Neer (1735/36-1703). His Life and Work, Doornspijk, 2010, chapitre I. 2Selon Eddy Schavemaker, « Nader tot Eglon van der Neer ; Een liefdesbrief en een tekening », dans Eddy Schavemaker, Jonathan Bikker, Erik Hinterding et al. (éds.), “Gij zult niet feestbundelen”. 34 bijdragen voor Peter Hecht, Amsterdam, 2016, p. 171. 3Voir Alison McNeill Kettering, The Dutch Arcadia. Pastoral Art and Its Audience in the Golden Age, Montclair, New Jersey, 1983, p. 58, 93-94 ; Eddy de Jongh, Portretten van echt en trouw. Huwelijk en gezin in de Nederlandse kunst van de zeventiende eeuw, cat. exp. Haarlem (Frans Halsmuseum), 1986, p. 252, 318. 4Schavemaker 2010, op. cit. (note 1), n°s 6 et 16, pl. III et fig. 16, tous les deux dans des collections particulières. 5Ibid., chapitres II et III. Pour le thème de la lettre et de la lettre galante dans les œuvres des peintres de la technique dite de « la peinture fine », voir Peter C. Sutton, Lisa Vergara, Ann Jensen Adams et al., Love Letters. Dutch Genre Paintings in the Age of Vermeer, cat. exp. Greenwich, Connecticut (Bruce Museum of Arts and Science), Dublin (National Gallery of Ireland), 2003. On le retrouve dans pas moins de cinq tableaux de Van der Neer ; Schavemaker 2016, op. cit. (note 2), p. 176, note 7.
Par cette missive, peut-être la seule lettre d’amour que nous connaissions d’un artiste hollandais du XVIIe siècle, Eglon van der Neer informa sa fiancée de son bon retour à Amsterdam. Fils du peintre paysagiste Aert van der Neer (1603/1604–1677), il avait été formé auprès de Jacob van Loo (1614–1670) avant de partir en France en 1654, afin d’entrer pour quatre ans au service du gouverneur d’Orange, Friedrich von Dohna. Notre lettre nous précise le moment où il rentra de ce séjour, duquel nous ne sommes informés que par son premier biographe, Arnold Houbraken (1660–1719)1. Cette lettre conclut sans doute une longue série, car le ton intime et des expressions telles que « mon ange » et « ma douce âme » montrent que Maria et lui se connaissaient depuis longtemps. Van der Neer soupire qu’il a hâte de revoir sa « soetert » (« douce ») et demande si son père, le riche notaire de Rotterdam Aernoud Wagensfelt, lui a déjà écrit pour donner son accord. Trois mois plus tard, le 20 février 1659, le couple se maria. L’union prit fin en 1677, lorsque Maria mourut en couches de leur onzième enfant. Avec sa lettre, le peintre envoya « un peu de peinture et une ou deux fleurs », en s’excusant pour leur petit nombre. Il pourrait s’agir d’un bouquet floral dessiné ou peint2, mais Van der Neer ne pratiqua jamais ce genre, pour autant que nous le sachions, et peut-être faisait-il simplement référence à la décoration de la lettre elle-même, à laquelle il apporta manifestement tout son soin. Elle a été écrite d’une main fine, presque calligraphique, et le papier est bordé de filets d’or. Van der Neer peignit également en or deux couronnes de feuilles et de fleurs sur la bande du papier qui servait de page d’adresse après le pliage – peut-être une allusion à la littérature pastorale et au motif populaire des couples de bergers se couronnant, ou encore à la « couronne virginale » portée par la jeune mariée hollandaise le jour de ses noces3. Des traces de scellé sont visibles au centre de ces couronnes, ce qui semble indiquer que la lettre était fermée à cet endroit par un ruban, fixé avec de la cire à cacheter, exactement comme on le voit dans deux tableaux de Van der Neer4. L’année même de son mariage, l’artiste commença à peindre d’élégantes scènes de genre, semblables à celles de Gerard Terborch le Jeune (1617–1681) et Gabriel Metsu (1629–1667), et dans lesquelles la lettre, en particulier la lettre d’amour, joue si souvent un rôle majeur5. Hans Buijs 1Arnold Houbraken, De groote schouburg der Nederlansche konstschilders en schilderessen, Amsterdam, 1721, vol. III, p. 172-175. Pour les données biographiques du peintre, voir Eddy Schavemaker, Eglon van der Neer (1735/36-1703). His Life and Work, Doornspijk, 2010, chapitre I. 2Selon Eddy Schavemaker, « Nader tot Eglon van der Neer ; Een liefdesbrief en een tekening », dans Eddy Schavemaker, Jonathan Bikker, Erik Hinterding et al. (éds.), “Gij zult niet feestbundelen”. 34 bijdragen voor Peter Hecht, Amsterdam, 2016, p. 171. 3Voir Alison McNeill Kettering, The Dutch Arcadia. Pastoral Art and Its Audience in the Golden Age, Montclair, New Jersey, 1983, p. 58, 93-94 ; Eddy de Jongh, Portretten van echt en trouw. Huwelijk en gezin in de Nederlandse kunst van de zeventiende eeuw, cat. exp. Haarlem (Frans Halsmuseum), 1986, p. 252, 318. 4Schavemaker 2010, op. cit. (note 1), n°s 6 et 16, pl. III et fig. 16, tous les deux dans des collections particulières. 5Ibid., chapitres II et III. Pour le thème de la lettre et de la lettre galante dans les œuvres des peintres de la technique dite de « la peinture fine », voir Peter C. Sutton, Lisa Vergara, Ann Jensen Adams et al., Love Letters. Dutch Genre Paintings in the Age of Vermeer, cat. exp. Greenwich, Connecticut (Bruce Museum of Arts and Science), Dublin (National Gallery of Ireland), 2003. On le retrouve dans pas moins de cinq tableaux de Van der Neer ; Schavemaker 2016, op. cit. (note 2), p. 176, note 7.