Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 144. Francisco de Goya y Lucientes Fuendetodos 1746 – 1828 Bordeaux Lettre à Leocadia Zorilla, Madrid, [23] juillet 1827 Cette lettre récemment découverte fut écrite par Goya moins d’un an avant sa mort, lors de son dernier séjour à Madrid. Pour échapper au régime répressif de Ferdinand VII (1784–1833), rétabli sur le trône en 1823, l’artiste s’était installé à Bordeaux en 1824 avec la compagne de ses dernières années, Leocadia Zorilla (1788–1856), et les deux plus jeunes enfants de celle-ci. Nous ignorons pourquoi, sourd et affaibli, il entreprit un nouveau voyage en Espagne à l’âge de 81 ans, car l’année précédente il avait déjà passé plusieurs mois à Madrid pour la demande officielle de sa retraite en tant que peintre de la cour des Bourbons1. La lettre commence par une annonce macabre : Goya vient d’apprendre le suicide horrible de son ami Rodenas, qui avait fait sortir son jeune fils de la pièce pour se trancher les poignets et la gorge – une scène qui rappelle l’univers des Caprichos et les duels et massacres des carnets de croquis de Goya de ses années françaises2. Les relations de l’artiste avec Máximo Rodenás y Cúco (1779–1827), haut fonctionnaire mais aussi collectionneur et marchand d’art, n’étaient pas encore connues avant la découverte de cette missive3. Le ton affectueux de la lettre montre à quel point Leocadia, entrée dans sa vie à un moment inconnu, était devenue indispensable à Goya. Il lui adresse une lettre du fils aîné de celle-ci, resté auprès de son père après leur divorce, et l’empresse de lui écrire dès que possible sur tout ce qui s’est passé depuis son départ de Bordeaux. Goya raconte qu’il a été bien accueilli à Madrid – sans doute par son fils Javier, qui l’avait également hébergé l’année précédente – et lui assure que tout le monde là-bas s’enquiert d’elle. Ce fut peut-être une illusion : dans les mois qui suivirent, Javier fit tout pour que Leocadia n’hérite rien de son compagnon. « Je ne sais plus ce que je fais et ne peux rien dire de plus que : ah ma Mariquita, ah sa mère », soupire Goya, qui conclut par des « baisers à Mariquita, Guillermo et à leur mère ». « Mariquita », ou Maria del Rosario Weiss (1814–1843), alors âgée de douze ans, avait fait ses premiers pas dans le domaine de l’art sous la direction de Goya, qui se montra très soucieux de son éducation. Il n’est pas exclu qu’il ait été son père – une supposition souvent avancée mais jamais confirmée4. Une seconde lettre de Goya à Leocadia, datée du 13 août de la même année et d’un ton tout aussi intime, n’est pas localisée5. Après la mort de l’artiste, sa compagne retourna à Madrid avec ses enfants en 1833, où Rosario commença, non sans succès, une carrière artistique indépendante. Hans Buijs 1Pour un résumé des dernières années de Goya à Bordeaux, voir Jonathan Brown, « ‘I Am Still Learning.’ Goya’s Last Works, 1824-1828 », dans Jonathan Brown et Susan Grace Galassi, Goya’s Last Works, cat. exp. New York (The Frick Collection), 2006, p. 1-33 ; pour son dernier voyage, ibid., p. 22 et p. 28-29. Goya voyagea à Madrid en compagnie de son ami et parent lointain Juan de Muguiro (1786– ?), qu’il avait portraituré en mai de la même année. Il était de retour à Bordeaux à la fin du mois de septembre. 2Juliet Wilson-Bareau, « Goya et son atelier. Une nouvelle vision de son génie », dans Adrien Enfedaque (dir.), Goya, génie d’avant-garde. Le maître et son école, cat. exp. Agen (Musée des Beaux-Arts), 2019-2020, p. 171. 3Enfedaque 2019-2020, op. cit. (note 2), n° 77, note 3. Sur Rodenás, dont le suicide avait eu lieu dans les derniers jours d’avril 1827, voir Pedro J. Martínez Plaza, « Manuel López Cepero (1778-1858) and the Trade of Paintings between Madrid and Seville in the First Half of the Nineteenth Century », Journal of the History of Collections, vol. XXVIII, 2016, p. 78-79. 4Pour un résumé des opinions à ce sujet, voir Carlos Sánchez Díaz, Dibujos de Rosario Weiss (1814-1843), Madrid, 2018, p. 32-35. 5Eric Young, « An Unpublished Letter from Goya’s Old Age », The Burlington Magazine, vol. CXIV, octobre 1972, p. 558-559 ; voir aussi Brown et Galassi 2006, op. cit. (note 1), p. 22-23. Les deux lettres sont restées inconnues à Angel Canellas López (éd.), Francisco de Goya. Diplomatario, Saragosse, 1981, et Angel Canellas López (éd.), Francisco de Goya. Diplomatario. Addenda, Saragosse, 1991. 6La lettre se trouvait dans un exemplaire non relié, probablement une épreuve d’artiste, de son livre Goya, Paris, 1867.
Cette lettre récemment découverte fut écrite par Goya moins d’un an avant sa mort, lors de son dernier séjour à Madrid. Pour échapper au régime répressif de Ferdinand VII (1784–1833), rétabli sur le trône en 1823, l’artiste s’était installé à Bordeaux en 1824 avec la compagne de ses dernières années, Leocadia Zorilla (1788–1856), et les deux plus jeunes enfants de celle-ci. Nous ignorons pourquoi, sourd et affaibli, il entreprit un nouveau voyage en Espagne à l’âge de 81 ans, car l’année précédente il avait déjà passé plusieurs mois à Madrid pour la demande officielle de sa retraite en tant que peintre de la cour des Bourbons1. La lettre commence par une annonce macabre : Goya vient d’apprendre le suicide horrible de son ami Rodenas, qui avait fait sortir son jeune fils de la pièce pour se trancher les poignets et la gorge – une scène qui rappelle l’univers des Caprichos et les duels et massacres des carnets de croquis de Goya de ses années françaises2. Les relations de l’artiste avec Máximo Rodenás y Cúco (1779–1827), haut fonctionnaire mais aussi collectionneur et marchand d’art, n’étaient pas encore connues avant la découverte de cette missive3. Le ton affectueux de la lettre montre à quel point Leocadia, entrée dans sa vie à un moment inconnu, était devenue indispensable à Goya. Il lui adresse une lettre du fils aîné de celle-ci, resté auprès de son père après leur divorce, et l’empresse de lui écrire dès que possible sur tout ce qui s’est passé depuis son départ de Bordeaux. Goya raconte qu’il a été bien accueilli à Madrid – sans doute par son fils Javier, qui l’avait également hébergé l’année précédente – et lui assure que tout le monde là-bas s’enquiert d’elle. Ce fut peut-être une illusion : dans les mois qui suivirent, Javier fit tout pour que Leocadia n’hérite rien de son compagnon. « Je ne sais plus ce que je fais et ne peux rien dire de plus que : ah ma Mariquita, ah sa mère », soupire Goya, qui conclut par des « baisers à Mariquita, Guillermo et à leur mère ». « Mariquita », ou Maria del Rosario Weiss (1814–1843), alors âgée de douze ans, avait fait ses premiers pas dans le domaine de l’art sous la direction de Goya, qui se montra très soucieux de son éducation. Il n’est pas exclu qu’il ait été son père – une supposition souvent avancée mais jamais confirmée4. Une seconde lettre de Goya à Leocadia, datée du 13 août de la même année et d’un ton tout aussi intime, n’est pas localisée5. Après la mort de l’artiste, sa compagne retourna à Madrid avec ses enfants en 1833, où Rosario commença, non sans succès, une carrière artistique indépendante. Hans Buijs 1Pour un résumé des dernières années de Goya à Bordeaux, voir Jonathan Brown, « ‘I Am Still Learning.’ Goya’s Last Works, 1824-1828 », dans Jonathan Brown et Susan Grace Galassi, Goya’s Last Works, cat. exp. New York (The Frick Collection), 2006, p. 1-33 ; pour son dernier voyage, ibid., p. 22 et p. 28-29. Goya voyagea à Madrid en compagnie de son ami et parent lointain Juan de Muguiro (1786– ?), qu’il avait portraituré en mai de la même année. Il était de retour à Bordeaux à la fin du mois de septembre. 2Juliet Wilson-Bareau, « Goya et son atelier. Une nouvelle vision de son génie », dans Adrien Enfedaque (dir.), Goya, génie d’avant-garde. Le maître et son école, cat. exp. Agen (Musée des Beaux-Arts), 2019-2020, p. 171. 3Enfedaque 2019-2020, op. cit. (note 2), n° 77, note 3. Sur Rodenás, dont le suicide avait eu lieu dans les derniers jours d’avril 1827, voir Pedro J. Martínez Plaza, « Manuel López Cepero (1778-1858) and the Trade of Paintings between Madrid and Seville in the First Half of the Nineteenth Century », Journal of the History of Collections, vol. XXVIII, 2016, p. 78-79. 4Pour un résumé des opinions à ce sujet, voir Carlos Sánchez Díaz, Dibujos de Rosario Weiss (1814-1843), Madrid, 2018, p. 32-35. 5Eric Young, « An Unpublished Letter from Goya’s Old Age », The Burlington Magazine, vol. CXIV, octobre 1972, p. 558-559 ; voir aussi Brown et Galassi 2006, op. cit. (note 1), p. 22-23. Les deux lettres sont restées inconnues à Angel Canellas López (éd.), Francisco de Goya. Diplomatario, Saragosse, 1981, et Angel Canellas López (éd.), Francisco de Goya. Diplomatario. Addenda, Saragosse, 1991. 6La lettre se trouvait dans un exemplaire non relié, probablement une épreuve d’artiste, de son livre Goya, Paris, 1867.