145. Antonio Canova

Possagno 1757 – 1822 Venise

Lettre à Teresa Tambroni, née Couty, Paris, 2 septembre 1815

En tant qu’Inspecteur général des antiquités et des beaux-arts de l’État pontifical, Canova fut chargé, en 1815, d’organiser la restitution à l’Italie des œuvres d’art volées pendant les campagnes napoléoniennes. C’est à cette fin qu’il se rendit à Paris, d’où fut écrite cette lettre destinée à l’épouse1 de son ami Giuseppe Tambroni (1773–1824).

Giuseppe Tambroni, diplomate à Bologne, puis à Milan et à Vienne, était alors en grande difficulté dans son pays : suspecté d’avoir collaboré avec l’Empereur Napoléon Ier, il peinait à retrouver ses fonctions à la chute de l’Empire. En 1811, il avait été nommé consul du Royaume d’Italie à Civitavecchia et s’était installé avec son épouse à Rome. C’est à ce moment qu’avait débuté son amitié forte et durable avec Antonio Canova. Grand amateur d’art2, il avait fondé avec Canova en 1812 l’Accademia d’Italia dont le siège se trouvait au Palazzo Venezia et qui était destinée à fournir aux jeunes artistes du Royaume d’Italie l’équivalent de l’Académie de France. Pour ce faire, il avait bénéficié du soutien du vice-roi Eugène de Beauharnais3. En juillet 1814, après la chute de l’Empire français et la fin du Royaume d’Italie, Tambroni perdit son poste de consul et fut contraint de quitter la direction de l’Académie qui fut confiée à l’Autrichien Ludwig von Lebzeltern4. Celui-ci manœuvra activement pour empêcher Tambroni de revenir dans ses fonctions. Tandis que Giuseppe Tambroni, bloqué à Vienne, en marge du Congrès5, se désespérait de la situation, Canova œuvra en France : dans notre lettre du 2 septembre 1815, il explique avoir rencontré l’empereur et le prince de Metternich6 et que les mérites de Tambroni ont été reconnus. Le sculpteur comptait également écrire à la comtesse de Bellegarde7. Hélas, les tractations de Tambroni et de Canova n’eurent pas de succès8. Tambroni ne retrouva jamais ses fonctions, il devint par la suite rédacteur au Giornale arcadico di scienze, lettere ed arti.

Dans notre missive, Canova rend compte à Madame Tambroni des démarches qu’il faisait à Paris. La lettre s’ouvre sur les inquiétudes du sculpteur concernant la santé de Teresa. Il l’invite à utiliser librement « [sa] calèche, la maison d’Albano9, et tout ce que vous voulez ». Il lui promet d’écrire deux fois par semaine. Le ton affectueux laisse entendre des relations d’intimité avec Teresa Tambroni. On sait qu’elle fut sans doute une source d’inspiration pour Canova, qui lui dédicaça une terre-cuite, projet au célèbre groupe des Trois Grâces10. On présume aussi que Teresa Tambroni fut probablement la maîtresse de Canova11. Sans doute pour préserver le secret, Canova fit remarquer à sa correspondante qu’il avait abîmé volontairement le cachet destiné à clore la lettre12.

Marie-Claire Nathan

1Teresa Tambroni (née Thérèse Couty) (1781–1823), épouse de Giuseppe Tambroni depuis 1799.

2Il est l’auteur de nombreux écrits d’histoire diplomatique et d’histoire de l’art, parmi lesquels Compendio delle storie di Polonia, 2 vols., Milan, 1807 ; Di Cennino Cennini Trattato di pittura messo in luce la prima volta con prefazione ed annotazioni, Rome, 1822 ; Intorno alla vita di Canova, commentario, Venise, 1823. Pour sa biographie, voir Maria Pia Casalena, « Giuseppe Tambroni », dans Dizionario biografico degli Italiani, vol. XCIV, 2019, et plus spécifiquement sur son rôle et ses écrits concernant l’art Stella Rudolph, Giuseppe Tambroni e lo stato delle belle arti in Roma nel 1814, [Rome], Istituto di studi romani, 1982.

3Eugène de Beauharnais (1781–1824), vice-roi d’Italie de 1805 à 1814.

4Ludwig von Lebzeltern (1774–1854), ambassadeur de Vienne à Rome.

5Le Congrès de Vienne eut lieu du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815.

6L’empereur François Ier d’Autriche (1768–1835) et Klemens Wenzel von Metternich (1773–1859), diplomate.

7Son mari, Heinrich Johann de Bellegarde (vers 1745/1757–1845) était un général autrichien. Bellegarde devint le premier gouverneur général du nouveau royaume de Lombardie-Vénétie le 5 avril 1815.

8Par une lettre du 5 octobre 1815 (voir Rudolph 1982, op. cit. (note 2), p. 110, n° XIV) de Tambroni à Canova, on apprend que sa nomination a été approuvée par l’empereur d’Autriche, et qu’il aurait pu sans doute retrouver ses fonctions « si l’avarice n’avait pas poussé la fameuse personne (L.) [probablement Lebzeltern, ndr.] à utiliser tous les moyens pour m’exclure ».

9Lieu de villégiature d’été de Canova, où Juliette Récamier a également résidé.

10Le projet en terre cuite, donné par Canova à Juliette Récamier, a ensuite été légué par celle-ci à sa ville natale. Il se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Lyon (inv. H 794).

11Le peintre Francesco Hayez (1791–1882), qui avait été pensionnaire de l’Accademia d’Italia raconte dans Le mie memorie : « Pendant son absence, la femme du consul Tambruni [sic] (qui resta au palais vénitien jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le comte Lepszeltern [sic]) me demanda en secret de faire son portrait, en guise de cadeau à Canova […] J’acceptai cette commande avec plaisir, parce que le modèle était beau et sympathique et plus encore à cause de la pensée de la personne à qui le portrait était destiné » (traduit de l’éd. Milan, 1890, p. 35). Stendhal (Henri Beyle, 1783–1842), lui, décrit Giuseppe Tambroni comme « le mari de la maîtresse de Canova » dans une lettre du 3 novembre 1824, Bibliothèque municipale de Grenoble, inv. R. 9981 Rés. Cette lettre fut publiée, traduite en anglais, dans le New-Monthly-Magazine de juillet 1825, p. 34.

12Mes remerciements à Ester Giachetti, dont le travail sur cette lettre était encore inédit au moment de la rédaction de notre notice.