23. Érik Desmazières

Né à Rabat en 1948

Rembrandts Kunst Caemer Cabinet de curiosités de Rembrandt »), 2007

C’est en 1971, tout juste diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, qu’Érik Desmazières se forme à la gravure par le biais des cours du soir de la ville de Paris. Ses premières eaux-fortes, datées de 1972, témoignent déjà d’une maîtrise technique exceptionnelle. Jouant des lois de la perspective, il se plaît à distordre des architectures réelles ou fantasmées1, évocatrices de l’art de Maurits Cornelis Escher (1898-1972). Si les compositions d’Érik Desmazières sont généralement dépourvues de présence humaine visible, elles font en revanche la part belle à l’esprit des lieux, qu’il s’agisse d’environnements intimes2 ou d’espaces publics.

À cette dernière catégorie appartient un ensemble distinct de gravures ayant pour sujet des bibliothèques3. L’intérêt de l’artiste pour ce thème remonte à 1997, lorsqu’il produit une suite de dix planches pour illustrer La Bibliothèque de Babel, une nouvelle de Jorge Luis Borges (1899-1986). Érik Desmazières poursuit également son exploration des lieux et objets du savoir avec une série de gravures dédiées aux wunderkammern4 et aux curiosités naturelles. Sa première composition – imaginaire –, Wunderkammer II5, qui s’inscrit dans un encadrement décoratif aux motifs maniéristes, évoquait la profusion ordonnée d’un cabinet de curiosités de la Renaissance. Lorsqu’il exécute Rembrandts Kunst Caemer en 2007, l’artiste a cette fois-ci sous les yeux la reconstitution d’une véritable « chambre des merveilles », celle du Museum Het Rembrandthuis à Amsterdam6, où Rembrandt classait et exposait sa collection personnelle d’histoire naturelle, de moulages d’antiques et d’objets venus de contrées lointaines. Par une mise en œuvre subtile des demi-teintes, obtenues à l’aquatinte et à la roulette, Érik Desmazières confère à l’atmosphère du lieu une densité remarquable. La lumière tamisée de fin de journée, qui filtre par la fenêtre, étire les ombres des objets et sculpte leurs volumes en clair-obscur. Désertée de ses visiteurs, la pièce semble néanmoins étrangement habitée par une présence silencieuse. Le graveur a éludé de sa composition les dispositifs muséographiques présents dans la salle actuelle pour ne se concentrer que sur le contenu de cette kunst caemer et son agencement, témoignages de la personnalité de Rembrandt collectionneur. Au travers du regard d’Érik Desmazières, elle devient un lieu chargé d’une poésie singulière, où savoir encyclopédique et imaginaire ne font plus qu’un.

L’artiste passe avec une grande aisance de l’échelle d’une pièce à celle d’un groupe d’objets, comme en témoigne notamment Registre et coquillages7, hommage au genre typiquement hollandais de la nature morte de livres, et clin d’œil à Rembrandt, qui a lui aussi représenté dans une célèbre eau-forte le conus marmoreus que l’on voit ici au premier-plan à gauche. Son attrait particulier pour les objets de curiosités – et ceux qui en font collection – se manifeste encore dans le livre d’artiste Musæum clausum ou Bibliotheca abscondita8, pour lequel il exécute une suite gravée. En illustrant cette description parodique d’un cabinet de curiosités imaginaire, rédigée au XVIIe siècle par Sir Thomas Browne (1605-1682), Érik Desmazières dissipe à nouveau les frontières entre réalité et fiction, entre savoir livresque et perception subjective du monde. MNG

1Comme par exemple dans Galerie Vivienne, 1990 (eau-forte, aquatinte et roulette ; 618 × 448 mm) ; Andrew Fitch et Dominique Febvrel, Érik Desmazières. Etchings 1982-1991, New York, Fitch-Febvrel Gallery, 1992, n° FF 131 ; http://www.fitch-febvrel.com/artists/desmaz_vol2.html ; ou Les Roues, 1974 (eau-forte ; 645 × 495 mm) ; Andrew Fitch et Dominique Febvrel, Érik Desmazières. Etchings 1982-1991, New York, Fitch-Febvrel Gallery, 1982, n° FF 9 ; http://www.fitch-febvrel.com/artists/desmaz_vol1.html.

2Citons notamment Balcon, rue Payenne, 1982 (eau-forte et aquatinte ; 297 × 207 mm) ; ou encore La Rue Charles Nodier, 1990 (eau-forte, aquatinte et roulette ; 497 × 345 mm) ; Andrew Fitch et Dominique Febvrel, Érik Desmazières. Etchings 1982-1991, New York, Fitch-Febvrel Gallery, 1992, nos FF 68 et 123 ; http://www.fitch-febvrel.com/artists/desmaz_vol2.html.

3Le travail de l’artiste sur ce thème culmine sans aucun doute dans les vues spectaculaires de la salle Labrouste et du magasin des imprimés de la Bibliothèque nationale de France, qu’il grave respectivement en 2001 et 2013.

4Littéralement, « chambre des merveilles », ou cabinet de curiosités.

51998 (eau-forte et aquatinte ; 537 × 267 mm). Il s’agit d’une commande de la librairie Jammes à Paris ; Lauren Laz, Les Lieux imaginaires d’Érik Desmazières, cat. exp., Vevey, Musée Jenisch, 2007, p. 101.

6Dans son agencement actuel, qui date de la rénovation du musée en 1999. Les liens qu’entretient Érik Desmazières avec Amsterdam en général, et le Museum Het Rembrandthuis en particulier, sont noués en 2003-2004, lorsque l’institution lui dédie une rétrospective et lui commande à cette occasion un portfolio de cinq vues gravées d’Amsterdam ; http://www.fitch-febvrel.com/artists/desmaz_vues.html.

72002 (eau-forte et aquatinte ; 469 × 175 mm) ; Arsène Bonafous-Murat, Érik Desmazières. Gravures. 1972-2007, cat. exp., Saint-Antonin-Noble-Val, Galerie Le Prince Noir, 2007, cat. n° 47.

8Texte de Sir Thomas Browne, édité par Patrick Mauriès, Paris, 2009 ; Andrew Fitch et Dominique Febvrel, Érik Desmazières. Etchings 1982-1991, New York, Fitch-Febvrel Gallery, 2011, nos FF 213-220 ; http://www.fitch-febvrel.com/artists/desmaz_musaeum.html.