Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 23. Giovanni David Cabella Ligure 1749 – 1790 Gênes Allégorie de la maladie de Giovanni David, 1788-1790 Giovanni David était un peintre et graveur génois, admiré – également par Ger Luijten – pour ses estampes qui semblent annoncer l’œuvre de Goya. Son nom est associé à celui de son principal mécène, Giacomo Durazzo, qui fut ambassadeur à Venise au nom de l’empereur viennois1. David travailla pour lui à partir de 1775. Cinq ans plus tard, il tomba si gravement malade que ses jours lui paraissaient comptés. Dans un dessin allégorique conservé à Philadelphie, l’artiste se représenta sur son lit de malade, harcelé par Charon, le Temps et les Parques2. Mais David survécut et retourna à Gênes. Son mécène y résida également entre 1784 et 1791, lui offrant un logement dans le palais Durazzo3. Toutefois, la santé de David continua de se dégrader : arthrite, hydropisie, problèmes cardiaques. On fit appel aux meilleurs médecins de l’université de Gênes. En vain, Giovanni David mourut le 23 janvier 1790, à l’âge de 40 ans. Le dessin de la Fondation Custodia date sans doute de la dernière phase de vie et thématise la fin qui approche. Comme dix ans plus tôt, mais cette fois-ci dessiné en monochrome et avec davantage de spontanéité. Au centre, un obélisque fait honneur à la médecine ligure, honneur démenti par la foule de cadavres au pied du monument. À gauche, se tiennent les trois médecins qui traitèrent l’artiste. Au milieu d’eux, la Mort brandit son épouvantable faux. Également effrayant, un éclair fait fuir une figure humaine qui tient une palette de peintre et un dessin représentant Fortuna, sans doute un autoportrait de l’artiste malade courant vers son destin4. On en sait davantage sur les médecins à gauche. L’homme portant le livre « istoria natur[al]e » sous le bras doit être Cesare Niccolò Canefri (1752–1800), professeur de chimie et d’histoire naturelle à l’université de Gênes, celui à ses côtés est peut-être le médecin Nicola Covercelli5. Tous deux ont consacré en 1790 plusieurs publications à la mort de David, dans lesquelles ils se disputaient le diagnostic du cas et son traitement6. Quant à la grande figure avec la « riceta mercurio », jusqu’alors non identifiée, il ne peut s’agir que du médecin William Batt (1744–1812), professeur anglais de chimie à l’université de Gênes, qui défendit un traitement à base de mercure dans sa contribution à la discussion posthume sur la mort de l’artiste7. Ce combat de plume peu ragoûtant reflète certainement la confusion médicale que David dut éprouver dans ses derniers jours et qu’il mit en scène dans cette allégorie désespérée unique en son genre8. Le montage « Durazzo » ne laisse guère de doute que la feuille atterrit dans la collection de son patron, qui hébergea l’artiste au moment de sa mort9. Arjan de Koomen 1Giacomo Durazzo fut une figure importante de la vie musicale et un collectionneur de premier plan. Il a constitué pour le duc Albert de Saxe-Teschen (1738–1822) une impressionnante collection d’estampes qui forme le noyau de la collection de l’Albertina de Vienne. Giovanni David fut chargé par Durazzo de réaliser des frontispices pour les albums contenant ces estampes. 2Giovanni David, Allégorie de l’artiste au seuil de la mort, vers 1780-1790, plume à l’encre noire, aquarelle, 313 × 394 mm, Philadelphia Museum of Art, inv. 1978-62-2. Pour l’iconographie, voir Diane R. Karp, Ars Medica : Art, Medicine and the Human Condition, Philadelphie, 1985, p. 215-216. 3Luca Leoncino, « Giacomo Conte Durazzo. Der gewandte Patrizier », dans Christian Benedik et Klaus Albrecht Schröder (dir.), Die Gründung der Albertina. Herzog Albert und seine Zeit, Vienne, 2014, p. 77. La raison du retour de Durazzo était une disposition du testament de son frère aîné Marcello, stipulant qu’il serait déchu de son héritage s’il vivait hors de Gênes. Après la mort de Marcello, le 26 décembre 1791, Giacomo retourna immédiatement à Venise. 4Ger Luijten (« L’artiste et son propre reflet », E-News Fondation Custodia, n° 4, mars 2013, p. 3, fig. 5) y voyait plutôt une personnification de la Peinture. 5Ces identifications avaient déjà été proposées par Nicolas Schwed dans son catalogue de 2011 (Dessins anciens et modernes / Old Master and Modern Drawings, n° 19). Le personnage à côté de Canefri pourrait toutefois aussi figurer l’un des autres médecins auxquels David fit appel, tels que le docteur Pratolongo, le docteur Capurro de Novi, ou le docteur Duval de Sanpierodarena. 6Canefri avait traité David pendant de longues années, dès sa première crise d’hydropisie en 1781 et encore lors de la seconde en 1785. Au lendemain de la mort de l’artiste, il publia un bref traité sur la Storia della malattia del pittore sig. Giovanni David, Gênes, 1790 (7 p.), dans lequel il exposa qu’une malformation cardiaque avait été à l’origine de ses problèmes de santé. L’écrit provoqua une vive réaction de Nicola Covercelli, qui avait fait subir un nouveau traitement à David dans les deux dernières années de sa vie. Sa Lettera [...] intorno la storia della malattia del pittore sig. Giovanni David, Gênes, 1790 (4 p.) maintint que David avait souffert d’une maladie de foie et qu’un mauvais diagnostic lui avait coûté la vie. En remerciement de son traitement, qui avait remis le patient sur pied, l’artiste lui avait fait cadeau d’un tableau. Canefri se défendit avec son Esame della lettera del sig.r dottor Covercelli, intorno la storia della malattia del signor Giovanni David, Gênes, 1790 (8 p.), dans lequel il accusa le médecin de ne rien comprendre à la science et argumenta qu’une autopsie du corps n’avait révélé aucune anomalie hépatitique ; son foie aurait permis à l’artiste « de vivre jusqu’à l’âge de Nestor ». Covercelli riposta avec une Dichiarazione [...] su la questione mossa dal sig. Cesare Canefri [...] intorno la malattia del fu sig. Giovanni David, Gênes, [1790 ?] (15 p.), suscitant à son tour de Canefri des Analisi della dichiarazione del signor dottor Covercelli, Gênes, 1790 (4 p.). 7Dans sa Lettera, Covercelli avait aussi défié le médecin qui avait envisagé un traitement à base de mercure. Batt réagit avec un Conto reso del mercurio dolce proposto dal dottor W. Batt in occasione dell’idropisia sopraggiunta al fu sig. David, Gênes, 1790, dans lequel il souligna l’évidence de cette médication, recommandée dans la littérature médicale. Aucun des pamphlets cités ne se trouve dans une bibliothèque européenne. Des exemplaires sont présents à la National Library of Medicine (NLM), à Bethesda, dans le Maryland. 8Une main postérieure, ignorant apparemment le drame vécu par Giovanni David, a avancé une autre explication au verso de la feuille, à savoir la mort de la peinture par la « maladie des couleurs » : par-là, on entendait probablement les effets nocifs des ingrédients chimiques de la peinture. 9Pour ce type de montage, voir Carlo James et al., Old Master Prints and Drawings. A Guide to Preservation and Conservation, Amsterdam, 1997, p. 15, repr. Les estampes que Durazzo livra au duc Albert de Saxe-Teschen (voir note 1) étaient toutes montées de cette manière. 10Un lot de 156 dessins de Giovanni David, qualifié de « schöne Sammlung ».
Giovanni David était un peintre et graveur génois, admiré – également par Ger Luijten – pour ses estampes qui semblent annoncer l’œuvre de Goya. Son nom est associé à celui de son principal mécène, Giacomo Durazzo, qui fut ambassadeur à Venise au nom de l’empereur viennois1. David travailla pour lui à partir de 1775. Cinq ans plus tard, il tomba si gravement malade que ses jours lui paraissaient comptés. Dans un dessin allégorique conservé à Philadelphie, l’artiste se représenta sur son lit de malade, harcelé par Charon, le Temps et les Parques2. Mais David survécut et retourna à Gênes. Son mécène y résida également entre 1784 et 1791, lui offrant un logement dans le palais Durazzo3. Toutefois, la santé de David continua de se dégrader : arthrite, hydropisie, problèmes cardiaques. On fit appel aux meilleurs médecins de l’université de Gênes. En vain, Giovanni David mourut le 23 janvier 1790, à l’âge de 40 ans. Le dessin de la Fondation Custodia date sans doute de la dernière phase de vie et thématise la fin qui approche. Comme dix ans plus tôt, mais cette fois-ci dessiné en monochrome et avec davantage de spontanéité. Au centre, un obélisque fait honneur à la médecine ligure, honneur démenti par la foule de cadavres au pied du monument. À gauche, se tiennent les trois médecins qui traitèrent l’artiste. Au milieu d’eux, la Mort brandit son épouvantable faux. Également effrayant, un éclair fait fuir une figure humaine qui tient une palette de peintre et un dessin représentant Fortuna, sans doute un autoportrait de l’artiste malade courant vers son destin4. On en sait davantage sur les médecins à gauche. L’homme portant le livre « istoria natur[al]e » sous le bras doit être Cesare Niccolò Canefri (1752–1800), professeur de chimie et d’histoire naturelle à l’université de Gênes, celui à ses côtés est peut-être le médecin Nicola Covercelli5. Tous deux ont consacré en 1790 plusieurs publications à la mort de David, dans lesquelles ils se disputaient le diagnostic du cas et son traitement6. Quant à la grande figure avec la « riceta mercurio », jusqu’alors non identifiée, il ne peut s’agir que du médecin William Batt (1744–1812), professeur anglais de chimie à l’université de Gênes, qui défendit un traitement à base de mercure dans sa contribution à la discussion posthume sur la mort de l’artiste7. Ce combat de plume peu ragoûtant reflète certainement la confusion médicale que David dut éprouver dans ses derniers jours et qu’il mit en scène dans cette allégorie désespérée unique en son genre8. Le montage « Durazzo » ne laisse guère de doute que la feuille atterrit dans la collection de son patron, qui hébergea l’artiste au moment de sa mort9. Arjan de Koomen 1Giacomo Durazzo fut une figure importante de la vie musicale et un collectionneur de premier plan. Il a constitué pour le duc Albert de Saxe-Teschen (1738–1822) une impressionnante collection d’estampes qui forme le noyau de la collection de l’Albertina de Vienne. Giovanni David fut chargé par Durazzo de réaliser des frontispices pour les albums contenant ces estampes. 2Giovanni David, Allégorie de l’artiste au seuil de la mort, vers 1780-1790, plume à l’encre noire, aquarelle, 313 × 394 mm, Philadelphia Museum of Art, inv. 1978-62-2. Pour l’iconographie, voir Diane R. Karp, Ars Medica : Art, Medicine and the Human Condition, Philadelphie, 1985, p. 215-216. 3Luca Leoncino, « Giacomo Conte Durazzo. Der gewandte Patrizier », dans Christian Benedik et Klaus Albrecht Schröder (dir.), Die Gründung der Albertina. Herzog Albert und seine Zeit, Vienne, 2014, p. 77. La raison du retour de Durazzo était une disposition du testament de son frère aîné Marcello, stipulant qu’il serait déchu de son héritage s’il vivait hors de Gênes. Après la mort de Marcello, le 26 décembre 1791, Giacomo retourna immédiatement à Venise. 4Ger Luijten (« L’artiste et son propre reflet », E-News Fondation Custodia, n° 4, mars 2013, p. 3, fig. 5) y voyait plutôt une personnification de la Peinture. 5Ces identifications avaient déjà été proposées par Nicolas Schwed dans son catalogue de 2011 (Dessins anciens et modernes / Old Master and Modern Drawings, n° 19). Le personnage à côté de Canefri pourrait toutefois aussi figurer l’un des autres médecins auxquels David fit appel, tels que le docteur Pratolongo, le docteur Capurro de Novi, ou le docteur Duval de Sanpierodarena. 6Canefri avait traité David pendant de longues années, dès sa première crise d’hydropisie en 1781 et encore lors de la seconde en 1785. Au lendemain de la mort de l’artiste, il publia un bref traité sur la Storia della malattia del pittore sig. Giovanni David, Gênes, 1790 (7 p.), dans lequel il exposa qu’une malformation cardiaque avait été à l’origine de ses problèmes de santé. L’écrit provoqua une vive réaction de Nicola Covercelli, qui avait fait subir un nouveau traitement à David dans les deux dernières années de sa vie. Sa Lettera [...] intorno la storia della malattia del pittore sig. Giovanni David, Gênes, 1790 (4 p.) maintint que David avait souffert d’une maladie de foie et qu’un mauvais diagnostic lui avait coûté la vie. En remerciement de son traitement, qui avait remis le patient sur pied, l’artiste lui avait fait cadeau d’un tableau. Canefri se défendit avec son Esame della lettera del sig.r dottor Covercelli, intorno la storia della malattia del signor Giovanni David, Gênes, 1790 (8 p.), dans lequel il accusa le médecin de ne rien comprendre à la science et argumenta qu’une autopsie du corps n’avait révélé aucune anomalie hépatitique ; son foie aurait permis à l’artiste « de vivre jusqu’à l’âge de Nestor ». Covercelli riposta avec une Dichiarazione [...] su la questione mossa dal sig. Cesare Canefri [...] intorno la malattia del fu sig. Giovanni David, Gênes, [1790 ?] (15 p.), suscitant à son tour de Canefri des Analisi della dichiarazione del signor dottor Covercelli, Gênes, 1790 (4 p.). 7Dans sa Lettera, Covercelli avait aussi défié le médecin qui avait envisagé un traitement à base de mercure. Batt réagit avec un Conto reso del mercurio dolce proposto dal dottor W. Batt in occasione dell’idropisia sopraggiunta al fu sig. David, Gênes, 1790, dans lequel il souligna l’évidence de cette médication, recommandée dans la littérature médicale. Aucun des pamphlets cités ne se trouve dans une bibliothèque européenne. Des exemplaires sont présents à la National Library of Medicine (NLM), à Bethesda, dans le Maryland. 8Une main postérieure, ignorant apparemment le drame vécu par Giovanni David, a avancé une autre explication au verso de la feuille, à savoir la mort de la peinture par la « maladie des couleurs » : par-là, on entendait probablement les effets nocifs des ingrédients chimiques de la peinture. 9Pour ce type de montage, voir Carlo James et al., Old Master Prints and Drawings. A Guide to Preservation and Conservation, Amsterdam, 1997, p. 15, repr. Les estampes que Durazzo livra au duc Albert de Saxe-Teschen (voir note 1) étaient toutes montées de cette manière. 10Un lot de 156 dessins de Giovanni David, qualifié de « schöne Sammlung ».