Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 25. Hilaire Ledru Oppy 1769 – 1840 Paris Portrait d’un jeune homme avec un violon, 1790 Dès 1859, le critique Pierre Hédouin (1789–1868) essayait de sortir Hilaire Ledru d’un injuste silence1 dans un article paru dans La Gazette des beaux-arts2. Il donnait là quelques informations sur cet artiste – mort dans l’indifférence générale – qu’il jugeait peu « remarquable » comme peintre mais bon dessinateur. Plus de cinquante ans plus tard, toujours dans la même revue, un autre portrait signé Charles Saunier lui était consacré dans une section intitulée « Les Oubliés3 ». Cet artiste formé à l’école de dessins de Douai4 avait connu un succès relatif pendant le Directoire avec de nombreux portraits de généraux destinés à être gravés. Certains furent exposés au Salon5 puis ils laissèrent place à des scènes de genre conformes au goût de l’époque6. Il disparut de la scène artistique parisienne après 18367. Comme dessinateur, on avait un temps admiré sa technique dite « au pointillé ». À l’exemple de Jean-Baptiste Isabey (1767–1855), Ledru utilisait parfois un crayon Conté8, nouvellement mis au point, pour obtenir des effets comparables à la manière noire (mezzotinte) alors en vogue. Sa sensibilité s’est le mieux exprimée dans ses portraits de musiciens, de chanteurs et acteurs contemporains, milieu auquel il était lié notamment par son amitié avec Simon Chenard (1758–1831)9. On rapporte que Ledru composa aussi quelques vers et des chansons de table10. Dans les rares articles qui lui ont été consacrés, trois portraits sont souvent cités : ceux de Mlle Mézières comédienne du Roi, de la cantatrice Mlle Rosalie Levasseur de l’académie royale de musique et du compositeur Dalayrac en pied tenant sa partition de « Nina ou la Folle par Amour »11. Il avait également réalisé le portrait du célèbre Charles Philippe Lafont (1731–1839), compositeur et premier violon de l’orchestre de chambre de Louis XVIII, qui fut gravé par Lambert pour le Dictionnaire des Musiciens de Fayolle12. La Fondation Custodia conserve désormais le portrait de Mlle Mézières13, et celui-ci figurant un jeune violoniste représenté à mi-corps dans un format en médaillon dont l’identité reste à découvrir14. Il rend bien compte de la maîtrise de l’artiste dans son emploi du crayon, son rendu savant de la lumière et la compréhension des modèles du passé. On apprécie ici son interprétation subtile et la physionomie pleine de fraîcheur de ce musicien qui paraît interrompre son mouvement pour regarder l’artiste. Avec ce portrait, il nous semble mieux comprendre les critiques de l’époque qui le rapprochaient de son contemporain Jean-Baptiste Isabey15. Laurence Lhinares 1La première notice biographique sur Hilaire Ledru semble être celle publiée dans Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, Valenciennes, 1842, vol. IV, « Notice biographique sur Hilaire Ledru lue à la séance du 9 avril 1843 par M. S. Henri Berthoud, peintre du département du Nord », p. 342-347, suivie d’une « Addition » par Arthur Dinaux, p. 348 ; on note p. 346 que « son nom est déjà presque oublié ». Une autre notice est publiée par Romain-Hippolyte Duthilloeul, Galerie Douaisienne, ou biographie des hommes remarquables de la ville de Douai, Douai, 1844, p. 216-219. Il est mentionné dans le dictionnaire de Charles Gabet, Dictionnaire des artistes de l’école française du XIXe siècle, Paris, 1831, p. 424. 2Pierre Hédouin, « Hilaire Ledru. Détails biographiques sur ce dessinateur », Gazette des beaux-arts, 1re année, vol. III, août 1859, p. 230-236. 3Charles Saunier, « Les Oubliés. Hilaire Ledru », Gazette des beaux-arts, 55e année, vol. IX, janvier 1913, p. 45-68. 4Son professeur était Charles Alexandre Joseph Caullet (1741–1825) selon Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 53 ; Saunier, p. 46, reprend aussi l’information donnée par Hédouin 1859, op. cit. (note 2), p. 231, selon laquelle Ledru a été élève de Joseph-Marie Vien (1716–1809). 5Par exemple Salon de 1795, n° 312, Portrait du général Pichegru ; Salon de 1796, n° 263, Le Général Bonaparte ; n° 264, Le Général Beurnonville ; Salon de 1798, n° 256, Le Général Bernadotte ; n° 257, Le Général Scherer. 6Ses œuvres les plus célèbres à son époque furent probablement Les Pénibles adieux présentée au Salon de 1798 (n° 259, Scène de prison ; ce dessin est passé en vente à Paris, Ader, 23 mars 2023, n° 199) et Indigence et honneur, présentée au Salon de 1804 (n° 231 ; sur ce tableau, lire Philippe Bordes, Hilaire Ledru (Oppy, 19 février 1769-Paris, 2 mai 1840) : Indigence et Honneur, Paris, [2015]). 7Ledru expose au Salon à Paris en 1795, 1796, 1798, 1800, 1804, 1806, 1808, 1814, 1819, 1822, 1824 et 1836. 8Crayon Conté dit aussi « crayon Isabey » ; sur ce sujet, lire Tony Halliday, « Academic Outsiders at the Paris Salons of the Revolution : The Case of Drawings “à la manière noire’’ », Oxford Art Journal, vol. XXI, n° 1, 1998, p. 68-86. 9Hilaire Ledru a entre autres dessiné l’épouse du chanteur Simon Chenard, dessin exposé au Salon de 1804, n° 233 (collection particulière ; repr. dans Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 55 et dans Halliday 1998, op. cit. (note 8), p. 84, fig. 10). 10Information donnée par Arthur Dinaux dans l’« Addition » de la notice biographique publiée dans les Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, op. cit. (note 1), p. 348. 11Le portrait de Mlle Mézières et celui de Dalayrac figurèrent à la vente après décès de Pierre Hédouin, à Paris, le 27 décembre 1866, nos 59 et 60. Il semble, à lecture de l’article de Hédouin 1859, op. cit. (note 2), p. 236, que ceux de Rosalie Levasseur, du chevalier Boufflers et de Charles Philippe Lafont lui appartenaient également, mais ils ne figurent pas dans sa vente. 12Localisation actuelle inconnue. On connaît la gravure d’après le tableau de Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique, inv. C.P001. 13Crayons et estompe, 294 × 210 mm, Paris, Fondation Custodia, inv. 2012-T.27 ; c’est ce portrait qui a été reproduit dans la Gazette des beaux-arts de 1859. Charles Saunier, dans Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 49, note 2, indique que, selon l’archiviste de la comédie Française, M. Couët, Mlle Mézières n’a jamais fait partie de la troupe des Comédiens français. 14Je remercie Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France, et l’équipe de la bibliothèque pour leur aide dans la recherche. 15Voir les propos rapportés dans l’ouvrage posthume de Jules Renouvier, Histoire de l’art pendant la Révolution 1789-1804, suivi d’une étude du même sur J.-B. Greuze avec une notice biographique et une table par M. Anatole de Montaiglon, Paris, 1863, p. 199.
Dès 1859, le critique Pierre Hédouin (1789–1868) essayait de sortir Hilaire Ledru d’un injuste silence1 dans un article paru dans La Gazette des beaux-arts2. Il donnait là quelques informations sur cet artiste – mort dans l’indifférence générale – qu’il jugeait peu « remarquable » comme peintre mais bon dessinateur. Plus de cinquante ans plus tard, toujours dans la même revue, un autre portrait signé Charles Saunier lui était consacré dans une section intitulée « Les Oubliés3 ». Cet artiste formé à l’école de dessins de Douai4 avait connu un succès relatif pendant le Directoire avec de nombreux portraits de généraux destinés à être gravés. Certains furent exposés au Salon5 puis ils laissèrent place à des scènes de genre conformes au goût de l’époque6. Il disparut de la scène artistique parisienne après 18367. Comme dessinateur, on avait un temps admiré sa technique dite « au pointillé ». À l’exemple de Jean-Baptiste Isabey (1767–1855), Ledru utilisait parfois un crayon Conté8, nouvellement mis au point, pour obtenir des effets comparables à la manière noire (mezzotinte) alors en vogue. Sa sensibilité s’est le mieux exprimée dans ses portraits de musiciens, de chanteurs et acteurs contemporains, milieu auquel il était lié notamment par son amitié avec Simon Chenard (1758–1831)9. On rapporte que Ledru composa aussi quelques vers et des chansons de table10. Dans les rares articles qui lui ont été consacrés, trois portraits sont souvent cités : ceux de Mlle Mézières comédienne du Roi, de la cantatrice Mlle Rosalie Levasseur de l’académie royale de musique et du compositeur Dalayrac en pied tenant sa partition de « Nina ou la Folle par Amour »11. Il avait également réalisé le portrait du célèbre Charles Philippe Lafont (1731–1839), compositeur et premier violon de l’orchestre de chambre de Louis XVIII, qui fut gravé par Lambert pour le Dictionnaire des Musiciens de Fayolle12. La Fondation Custodia conserve désormais le portrait de Mlle Mézières13, et celui-ci figurant un jeune violoniste représenté à mi-corps dans un format en médaillon dont l’identité reste à découvrir14. Il rend bien compte de la maîtrise de l’artiste dans son emploi du crayon, son rendu savant de la lumière et la compréhension des modèles du passé. On apprécie ici son interprétation subtile et la physionomie pleine de fraîcheur de ce musicien qui paraît interrompre son mouvement pour regarder l’artiste. Avec ce portrait, il nous semble mieux comprendre les critiques de l’époque qui le rapprochaient de son contemporain Jean-Baptiste Isabey15. Laurence Lhinares 1La première notice biographique sur Hilaire Ledru semble être celle publiée dans Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, Valenciennes, 1842, vol. IV, « Notice biographique sur Hilaire Ledru lue à la séance du 9 avril 1843 par M. S. Henri Berthoud, peintre du département du Nord », p. 342-347, suivie d’une « Addition » par Arthur Dinaux, p. 348 ; on note p. 346 que « son nom est déjà presque oublié ». Une autre notice est publiée par Romain-Hippolyte Duthilloeul, Galerie Douaisienne, ou biographie des hommes remarquables de la ville de Douai, Douai, 1844, p. 216-219. Il est mentionné dans le dictionnaire de Charles Gabet, Dictionnaire des artistes de l’école française du XIXe siècle, Paris, 1831, p. 424. 2Pierre Hédouin, « Hilaire Ledru. Détails biographiques sur ce dessinateur », Gazette des beaux-arts, 1re année, vol. III, août 1859, p. 230-236. 3Charles Saunier, « Les Oubliés. Hilaire Ledru », Gazette des beaux-arts, 55e année, vol. IX, janvier 1913, p. 45-68. 4Son professeur était Charles Alexandre Joseph Caullet (1741–1825) selon Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 53 ; Saunier, p. 46, reprend aussi l’information donnée par Hédouin 1859, op. cit. (note 2), p. 231, selon laquelle Ledru a été élève de Joseph-Marie Vien (1716–1809). 5Par exemple Salon de 1795, n° 312, Portrait du général Pichegru ; Salon de 1796, n° 263, Le Général Bonaparte ; n° 264, Le Général Beurnonville ; Salon de 1798, n° 256, Le Général Bernadotte ; n° 257, Le Général Scherer. 6Ses œuvres les plus célèbres à son époque furent probablement Les Pénibles adieux présentée au Salon de 1798 (n° 259, Scène de prison ; ce dessin est passé en vente à Paris, Ader, 23 mars 2023, n° 199) et Indigence et honneur, présentée au Salon de 1804 (n° 231 ; sur ce tableau, lire Philippe Bordes, Hilaire Ledru (Oppy, 19 février 1769-Paris, 2 mai 1840) : Indigence et Honneur, Paris, [2015]). 7Ledru expose au Salon à Paris en 1795, 1796, 1798, 1800, 1804, 1806, 1808, 1814, 1819, 1822, 1824 et 1836. 8Crayon Conté dit aussi « crayon Isabey » ; sur ce sujet, lire Tony Halliday, « Academic Outsiders at the Paris Salons of the Revolution : The Case of Drawings “à la manière noire’’ », Oxford Art Journal, vol. XXI, n° 1, 1998, p. 68-86. 9Hilaire Ledru a entre autres dessiné l’épouse du chanteur Simon Chenard, dessin exposé au Salon de 1804, n° 233 (collection particulière ; repr. dans Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 55 et dans Halliday 1998, op. cit. (note 8), p. 84, fig. 10). 10Information donnée par Arthur Dinaux dans l’« Addition » de la notice biographique publiée dans les Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique, op. cit. (note 1), p. 348. 11Le portrait de Mlle Mézières et celui de Dalayrac figurèrent à la vente après décès de Pierre Hédouin, à Paris, le 27 décembre 1866, nos 59 et 60. Il semble, à lecture de l’article de Hédouin 1859, op. cit. (note 2), p. 236, que ceux de Rosalie Levasseur, du chevalier Boufflers et de Charles Philippe Lafont lui appartenaient également, mais ils ne figurent pas dans sa vente. 12Localisation actuelle inconnue. On connaît la gravure d’après le tableau de Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique, inv. C.P001. 13Crayons et estompe, 294 × 210 mm, Paris, Fondation Custodia, inv. 2012-T.27 ; c’est ce portrait qui a été reproduit dans la Gazette des beaux-arts de 1859. Charles Saunier, dans Saunier 1913, op. cit. (note 3), p. 49, note 2, indique que, selon l’archiviste de la comédie Française, M. Couët, Mlle Mézières n’a jamais fait partie de la troupe des Comédiens français. 14Je remercie Benoît Cailmail, adjoint au directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France, et l’équipe de la bibliothèque pour leur aide dans la recherche. 15Voir les propos rapportés dans l’ouvrage posthume de Jules Renouvier, Histoire de l’art pendant la Révolution 1789-1804, suivi d’une étude du même sur J.-B. Greuze avec une notice biographique et une table par M. Anatole de Montaiglon, Paris, 1863, p. 199.