28. Henri Fantin-Latour

Grenoble 1836 – 1904 Buré

Un coin d’atelier, 1861

Dans le coin d’une pièce, une chaise en paille est disposée près d’une toile retournée, d’un grand album et d’un carton à dessins, appuyés contre un mur. Nous sommes dans l’atelier d’un artiste, mais le peintre est absent. La facture est large, rapide. L’œuvre est signée et datée « Fantin 61 ».

En 1861, Henri Fantin-Latour est encore un jeune artiste. Arrivé avec sa famille à Paris en 1841, il partage à cette date un atelier avec son père Jean-Théodore Fantin-Latour (1805–1875), au 31 rue de Beaune. Cette année-là, il entre au Salon et réalise un second voyage en Angleterre qui aiguise son intérêt pour la nature morte et le réalisme.

La nature morte est en effet pour Fantin-Latour le meilleur moyen d’affuter son sens de l’observation et d’étudier les rapports de tons et de couleurs dans des dispositions simples1. Ce ne sont ni des fleurs ni des fruits qui sont représentés ici – et qui vont constituer l’essentiel de sa production dans ce genre – mais des objets issus de son quotidien2. Ses natures mortes, tout comme l’attention portée aux reflets des objets sur les surfaces en bois verni d’une table ou, comme ici, d’un parquet, révèlent l’influence de Chardin (1699–1779). Ce maître français du siècle précédent était justement remis à l’honneur par certains peintres parisiens dans les années 1850-18603. Parmi eux, François Bonvin (1817–1887), qui était également un ami de Fantin-Latour. Mais par son dénuement et son intimité silencieuse, ce Coin d’atelier s’inscrit aussi dans une esthétique plus moderne qui semble annoncer Hammershøi (1864–1916)4.

Fantin-Latour s’attache à la représentation du naturel5, se rapprochant en cela de la veine réaliste. Toutefois, le réalisme n’est pas pour lui tant un style pictural qu’un rapport à la réalité et à l’art, une manière d’appréhender le monde qui l’entoure6. « Les choses les plus simples, les plus banales en apparence, ont un caractère intéressant ; il faut les rendre. Trop d’artistes veulent orner le vrai – c’est le travestir7. » Cette quête se traduit ici tant par le choix du sujet et son cadrage, que par sa représentation sincère.

Le thème de l’atelier s’inscrit parmi les images de « la cuisine » du peintre, de son atelier, qui intéressa Frits Lugt autant que Ger Luijten. Ce dernier fit ainsi l’acquisition pour la Fondation Custodia de nombreuses œuvres illustrant l’univers du travail de l’artiste. Parmi elles, la Nature morte dans l’atelier de François Bonvin8 et le Modèle nu, posant dans l’atelier d’Alexis Lemaistre (1852–1932)9 offrent des parentés avec le tableau de Fantin-Latour par leur facture et leur atmosphère sourde et silencieuse.

Maud Guichané

1Douglas Druick et Michel Hoog (dir.), Fantin-Latour, cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), Ottawa (Galerie nationale du Canada), San Francisco (California Palace of the Legion of Honour), 1982-1983, p. 85  ; Laure Dalon (dir.), Fantin-Latour. À fleur de peau, cat. exp. Paris (Musée du Luxembourg), Grenoble (musée de Grenoble), 2016-2017, p. 80-82.

2En cela, l’œuvre appartient à un petit groupe de tableaux exécutés dans les années 1860. Citons par exemple la Nature morte au coupe-papier, 1860, huile sur toile, 18 × 30 cm, Alençon, musée des Beaux-Arts et de la Dentelle, inv. 2010.0.13 (voir Dalon 2016-2017, op. cit. (note 1), p. 81, repr.)  ; ou encore la Nature morte avec une tasse et un verre, 1861, huile sur toile, 35 × 47 cm, Londres, collection Lord Astor of Hever (voir Druick et Hoog 1982-1983, op. cit. (note 1), p. 117, n° 27, repr.).

3Dalon 2016-2017, op. cit. (note 1), p. 80. À ce sujet, voir aussi Gabriel P. Weisberg (dir.), Chardin and the Still-Life Tradition in France, cat. exp. Cleveland (The Cleveland Museum of Art), 1979, passim.

4Dalon 2016-2017, op. cit. (note 1), p. 22.

5Ibid., p. 42.

6Druick et Hoog 1982-1983, op. cit. (note 1), p. 66-67.

7Henri Fantin-Latour cité par Zacharie Astruc, Les Dieux en voyage, Paris, 1889, p. 144.

8Daté 1873, huile sur toile, 27 × 35,3 cm, Paris, Fondation Custodia, inv. 2019-S.43.

9Daté 1874, huile sur panneau, 27,8 × 41,4 cm, Paris, Fondation Custodia, inv. 2023-S.69.