30. Johannes Jan Mijtens

La Haye 1613/1614 – 1670 La Haye

Portrait d’une jeune fille cueillant des raisins, vers 1638-1640

À la lisière d’un bois où coule un ruisseau, une jeune fille d’une dizaine d’années semble interrompre sa cueillette de raisin pour nous observer. Cette élégante mise en scène est caractéristique des portraits de Johannes Mijtens, peintre de La Haye qui connut beaucoup de succès auprès de l’aristocratie et de l’élite patricienne des Pays-Bas du Nord. Il plaçait bien souvent, comme ici, ses modèles dans des paysages, suggérant de la sorte la possession d’un domaine tout en offrant la fraîcheur d’un décor naturel. De nombreuses familles se firent ainsi portraiturer dans un cadre bucolique par Mijtens. Ces tableaux de groupes sont caractérisés par la représentation en pied des modèles. Le peintre a repris ce format pour le portrait individuel de notre jeune fille, ce qui est très rare dans son œuvre1.

Eddy de Jongh, dans un célèbre article sur la symbolique du raisin dans la peinture hollandaise des XVIe et XVIIe siècles, a interprété le geste de la petite fille en train de cueillir (ou de tenir) une grappe de raisin comme un symbole de l’innocence et de la chasteté du modèle2. Toutefois, Alexandra Nina Bauer, auteure de la monographie sur le peintre, a souligné que ce motif est récurrent dans les tableaux produits par Mijtens au début de sa carrière et que les grappes de raisin sont alternativement tenues par des fillettes plus jeunes encore, des femmes mais aussi des garçons. Il pourrait donc selon elle s’agir d’un élément de décor suggérant un passe-temps champêtre des élites au même titre que la cueillette des fruits ou la chasse, activités également représentées dans ces effigies3.

Quant au pied de pavot – partiellement coupé4 – qui pousse au premier plan à gauche de la composition, il apparaît souvent dans les portraits d’enfants et de famille de Johannes Mijtens tout au long de sa carrière5. Ce motif symboliserait la fertilité en général et celle de la famille de la fillette en particulier6.

L’identité de l’enfant est malheureusement inconnue, mais son appartenance à une famille aisée de la classe des régents fait peu de doute. Sa jolie robe de soie ou de satin bleu est un vêtement de fantaisie, comme en arboraient souvent les modèles dans les portraits élégants : la coupe de sa toilette est certes proche de celles que portaient les femmes dans les années 1640 mais elle est fort simplifiée. Le col de dentelle et la chemise sont en effet absents7, donnant ainsi un tour pastoral au costume. La coiffure de la jeune fille est en revanche en tous points caractéristique des années quarante8. Ces éléments de datation sont confortés par des figures de fillettes présentant une posture et un vêtement similaires dans des représentations de familles exécutés par Johannes Mijtens en 1638 et 1639. Ceci ferait de notre tableau le tout premier portrait individuel réalisé par le peintre9.

CT

1Bauer 2006, p. 38.

2De Jongh 1974.

3Bauer, op. cit., p. 76 et 176.

4La toile a dû être coupée le long du bord gauche et dans la partie inférieure car le pied de pavot et la cascade sont aujourd’hui incomplets. Voir Nihom-Nijstad 1983, n° 53, p. 87.

5Bauer, op. cit., p. 176.

6Eddy de Jongh, Portretten van echt en trouw. Huwelijk en gezin in de Nederlandse kunst van de zeventiende eeuw, cat. exp., Haarlem, Frans Hals Museum, 1986, p. 282, sous n° 52  ; également Rudi Ekkart, Nederlandse portretten uit de 17e eeuw. Eigen collectie (Museum Boijmans Van Beuningen), Rotterdam, 1995, p. 156.

7Bauer, op. cit., p. 175.

8Idem, p. 176.

9Idem, p. 38 et 176  ; avant cette publication, le tableau était daté autour de 1650.