Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 32. Simon Denis Anvers 1755 – 1813 Naples Les Cascatelles de Tivoli, avec Élisabeth Vigée Le Brun dessinant, 1790 Originaire d’Anvers, Simon Denis se rendit d’abord en France vers 1775, puis en Italie en 1786 grâce au soutien – notamment financier – du marchand de tableaux parisien Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748–1813)1. L’épouse de Le Brun, la célèbre portraitiste Élisabeth Vigée Le Brun (1755–1842) quitta la France en 1789 pour gagner l’Italie2. Elle fut accueillie à Rome par Simon Denis et le directeur de l’Académie de France, François Guillaume Ménageot (1744–1816)3. Peu de temps après4, ce furent eux qui la guidèrent jusqu’à Tivoli, qui comptait parmi les sites les plus célèbres des environs de Rome et attirait de nombreux artistes5. Dans ses Souvenirs, Vigée Le Brun évoqua la forte impression qu’exerça sur elle la beauté pittoresque du lieu6. Comme un instantané de cette excursion, Simon Denis la représenta accompagnée de sa fille Julie et d’une gouvernante dans le cadre théâtral de ces cascatelles. Assise, le pastel à la main, un carnet d’esquisse sur les genoux, Élisabeth Vigée Le Brun semble happée par la splendeur du site recomposé par Simon Denis7. Celui-ci reprit un dessin de ce groupe de figures saisi sur le vif dans une esquisse peinte qui correspond à la moitié droite de notre tableau8. Une seconde huile sur papier, montrant l’ouverture de la gorge pourrait également être préparatoire à la partie gauche9. Cet ensemble permet d’appréhender le processus créatif de Simon Denis qui se basa sur ces études exécutées sur le motif pour recomposer notre panneau, de retour dans son atelier. Cette peinture était peut-être destinée à l’un des protagonistes10. Elle présente une manière plus aboutie et homogène mais ne perd rien de l’immédiateté et de l’atmosphère subtile des premières esquisses, dans lesquelles Simon Denis développait une touche colorée et large. La redécouverte de nombreuses études peintes ou dessinées11 a permis de rendre à ce peintre – jusqu’alors jugé pour sa carrière officielle et ses grands paysages composés d’un goût néoclassique plus attendu – sa place centrale dans la pratique de la peinture en plein air, en plein essor à Rome dans les dernières décennies du XVIIIe siècle12. Tout, dans cette œuvre, la désignait donc pour entrer dans les collections de la Fondation Custodia : l’origine flamande du peintre et son lien avec la France ; ses relations avec Le Brun, qui avait largement contribué à la redécouverte de l’art hollandais et flamand en France13. Ce tableau vient aussi enrichir un fonds important d’œuvres et de lettres de Simon Denis14 et s’inscrit pleinement dans l’histoire de l’esquisse peinte en plein air qui s’écrit à la Fondation Custodia depuis le directorat de Ger Luijten. Présentée dans le vestibule de l’hôtel Turgot, l’œuvre répond aux vues de Tivoli peintes par ses prédécesseurs du Siècle d’or hollandais15. Maud Guichané 1Des liens étroits unirent Le Brun et Denis tout au long de leur vie. Une partie de leur correspondance fut publiée par Carole Blumenfeld et Étienne Bréton, « Paris, Rome, Florence, Bologne, Anvers, 1797-1811. Lettres de Jean-Baptiste Pierre Le Brun à Simon Denis », Techné, n° 33, 2011, p. 18-32. 2Joseph Baillio et Xavier Salmon (dir.), Élisabeth Louise Vigée Le Brun, cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), New York (The Metropolitan Museum of Art), Ottawa (Musée des beaux-arts du Canada), 2015-2016, p. 224. 3Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun. Histoire d’un regard, Paris, 2011, p. 202-204 ; Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), p. 231. 4Si la plupart des auteurs indiquent 1789, Valentina Branchini semble dater la visite de Tivoli dans les premiers mois de 1790 ; voir Valentina Branchini, Simon Denis (1755-1813) in Italia. Dipinti e disegni di paesaggio, thèse de doctorat, Bologne, Alma Mater Studiorum – Università di Bologna, 2003 (non publiée), p. 157. 5Simon Denis représenta le site à de très nombreuses reprises (voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), passim) ; Élisabeth Vigée Le Brun fut si marquée par les cascades de Tivoli qu’elle en fit le fond de certains de ses portraits : La Comtesse Anna Potocka, née Anna Cetner, 1791, collection particulière ; La Comtesse Tolstaïa, 1796, Canada, collection particulière, dépôt à Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada. Voir Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), respectivement p. 239, n° 102, et p. 278, n° 125. 6« M. Ménageot alors me mena à Tivoli avec ma fille et Denis le peintre ; ce fut une charmante partie. Nous allâmes d’abord voir les cascatelles, dont je fus si enchantée que ces messieurs ne pouvaient m’en arracher. Je les crayonnai aussitôt avec du pastel, désirant colorer l’arc-en-ciel qui ornait ces belles chutes d’eaux. La montagne qui s’élève à gauche, couverte d’oliviers, complète le charme du point de vue. » ; Souvenirs de Madame Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun. De l’Académie royale de Paris, de Rouen, de Saint-Luc de Rome et d’Arcadie, de Parme et de Bologne, de Saint-Pétersbourg, de Berlin, de Genève et d’Avignon, Paris, 1835, éd. Patrick Weiller, Paris, 2015, vol. II, p. 34. 7Valentina Branchini proposa d’identifier les deux figures masculines que l’on observe, au loin, comme étant Ménageot et Le Brun ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 87. Sur cette sortie à Tivoli, voir aussi Haroche-Bouzinac 2011, op. cit. (note 3), p. 218. 8Élisabeth Vigée Le Brun dessinant la cascade de Tivoli en compagnie de sa fille et d’une gouvernante, pierre noire, 110 × 100 mm ; et Élisabeth Vigée Le Brun dessinant la cascade de Tivoli en compagnie de sa fille et d’une gouvernante, huile sur papier, marouflé sur toile, 29,9 × 22 cm ; les deux œuvres passées en vente, Paris (Christie’s), 22 juin 2006, n° 56 ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 86, respectivement fig. 13, et n° 4, repr. ; Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), p. 231, n° 98. Un dessin représentant Julie, surnommée Brunette, fut réalisé par Simon Denis lors de cette même journée : Brunette aux Cascatelles de Tivoli, pierre noire, New York, Collection Wildenstein & Co. ; voir Anna Ottani Cavina (dir.), Paysages d’Italie. Les peintres du plein air (1780-1830), cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), Mantoue (Centro Internazionale d’Arte e di Cutura di Palazzo Te), 2001, p. 132, repr. 9D’autres esquisses ont été mises en relation avec notre tableau par Valentina Branchini : Au pied des Cascatelles, huile sur papier, 21 × 33,3 cm, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle, inv. 2857 et Près des Cascatelles, huile sur papier, 26,2 × 21,8 cm, localisation inconnue (vente, Monaco (Sotheby’s), 18-19 juin 1992, n° 205, repr.) ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 88-90, nos 9 et 10. 10Ibid., p. 87. 11De nombreuses études et esquisses à l’huile sur papier, souvent issues de son atelier et de ses descendants, sont passées en vente ces dernières décennies, par exemple : vente, Monaco (Sotheby’s), 18-19 juin 1992, nos 177 à 212 ; vente, Paris (Christie’s), 17 mars 2005, nos 404 à 429 ; vente, Paris (Christie’s), 22 juin 2006, nos 54 à 58. 12Ottani Cavina 2001, op. cit. (note 8), p. 128. 13Notamment grâce aux trois volumes de sa Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands, Paris et Amsterdam, 1792-1796. 14La Fondation Custodia conserve un album de vues dessinées d’Italie (inv. 2001-T.22), deux dessins (inv. 2004-T.4 et 2005-T.15), et douze peintures liées à son nom, acquises à partir de 2010, ainsi que trois lots conséquents de la correspondance de l’artiste, acquis en 2000, 2001 et 2019 (inv. 2000-A.57/117 ; 2001-A.519/527 ; 2019-A.323/352). 15Nicolaes Berchem, Paysage avec les cascades et le temple de la Sibylle à Tivoli, vers 1670, huile sur toile, 105,5 × 94,3 cm, inv. 7670 ; Caspar van Wittel, Vue du temple de la Sibylle à Tivoli, vers 1720, huile sur toile, 34,8 × 45 cm, inv. 6035.
Originaire d’Anvers, Simon Denis se rendit d’abord en France vers 1775, puis en Italie en 1786 grâce au soutien – notamment financier – du marchand de tableaux parisien Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748–1813)1. L’épouse de Le Brun, la célèbre portraitiste Élisabeth Vigée Le Brun (1755–1842) quitta la France en 1789 pour gagner l’Italie2. Elle fut accueillie à Rome par Simon Denis et le directeur de l’Académie de France, François Guillaume Ménageot (1744–1816)3. Peu de temps après4, ce furent eux qui la guidèrent jusqu’à Tivoli, qui comptait parmi les sites les plus célèbres des environs de Rome et attirait de nombreux artistes5. Dans ses Souvenirs, Vigée Le Brun évoqua la forte impression qu’exerça sur elle la beauté pittoresque du lieu6. Comme un instantané de cette excursion, Simon Denis la représenta accompagnée de sa fille Julie et d’une gouvernante dans le cadre théâtral de ces cascatelles. Assise, le pastel à la main, un carnet d’esquisse sur les genoux, Élisabeth Vigée Le Brun semble happée par la splendeur du site recomposé par Simon Denis7. Celui-ci reprit un dessin de ce groupe de figures saisi sur le vif dans une esquisse peinte qui correspond à la moitié droite de notre tableau8. Une seconde huile sur papier, montrant l’ouverture de la gorge pourrait également être préparatoire à la partie gauche9. Cet ensemble permet d’appréhender le processus créatif de Simon Denis qui se basa sur ces études exécutées sur le motif pour recomposer notre panneau, de retour dans son atelier. Cette peinture était peut-être destinée à l’un des protagonistes10. Elle présente une manière plus aboutie et homogène mais ne perd rien de l’immédiateté et de l’atmosphère subtile des premières esquisses, dans lesquelles Simon Denis développait une touche colorée et large. La redécouverte de nombreuses études peintes ou dessinées11 a permis de rendre à ce peintre – jusqu’alors jugé pour sa carrière officielle et ses grands paysages composés d’un goût néoclassique plus attendu – sa place centrale dans la pratique de la peinture en plein air, en plein essor à Rome dans les dernières décennies du XVIIIe siècle12. Tout, dans cette œuvre, la désignait donc pour entrer dans les collections de la Fondation Custodia : l’origine flamande du peintre et son lien avec la France ; ses relations avec Le Brun, qui avait largement contribué à la redécouverte de l’art hollandais et flamand en France13. Ce tableau vient aussi enrichir un fonds important d’œuvres et de lettres de Simon Denis14 et s’inscrit pleinement dans l’histoire de l’esquisse peinte en plein air qui s’écrit à la Fondation Custodia depuis le directorat de Ger Luijten. Présentée dans le vestibule de l’hôtel Turgot, l’œuvre répond aux vues de Tivoli peintes par ses prédécesseurs du Siècle d’or hollandais15. Maud Guichané 1Des liens étroits unirent Le Brun et Denis tout au long de leur vie. Une partie de leur correspondance fut publiée par Carole Blumenfeld et Étienne Bréton, « Paris, Rome, Florence, Bologne, Anvers, 1797-1811. Lettres de Jean-Baptiste Pierre Le Brun à Simon Denis », Techné, n° 33, 2011, p. 18-32. 2Joseph Baillio et Xavier Salmon (dir.), Élisabeth Louise Vigée Le Brun, cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), New York (The Metropolitan Museum of Art), Ottawa (Musée des beaux-arts du Canada), 2015-2016, p. 224. 3Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun. Histoire d’un regard, Paris, 2011, p. 202-204 ; Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), p. 231. 4Si la plupart des auteurs indiquent 1789, Valentina Branchini semble dater la visite de Tivoli dans les premiers mois de 1790 ; voir Valentina Branchini, Simon Denis (1755-1813) in Italia. Dipinti e disegni di paesaggio, thèse de doctorat, Bologne, Alma Mater Studiorum – Università di Bologna, 2003 (non publiée), p. 157. 5Simon Denis représenta le site à de très nombreuses reprises (voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), passim) ; Élisabeth Vigée Le Brun fut si marquée par les cascades de Tivoli qu’elle en fit le fond de certains de ses portraits : La Comtesse Anna Potocka, née Anna Cetner, 1791, collection particulière ; La Comtesse Tolstaïa, 1796, Canada, collection particulière, dépôt à Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada. Voir Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), respectivement p. 239, n° 102, et p. 278, n° 125. 6« M. Ménageot alors me mena à Tivoli avec ma fille et Denis le peintre ; ce fut une charmante partie. Nous allâmes d’abord voir les cascatelles, dont je fus si enchantée que ces messieurs ne pouvaient m’en arracher. Je les crayonnai aussitôt avec du pastel, désirant colorer l’arc-en-ciel qui ornait ces belles chutes d’eaux. La montagne qui s’élève à gauche, couverte d’oliviers, complète le charme du point de vue. » ; Souvenirs de Madame Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun. De l’Académie royale de Paris, de Rouen, de Saint-Luc de Rome et d’Arcadie, de Parme et de Bologne, de Saint-Pétersbourg, de Berlin, de Genève et d’Avignon, Paris, 1835, éd. Patrick Weiller, Paris, 2015, vol. II, p. 34. 7Valentina Branchini proposa d’identifier les deux figures masculines que l’on observe, au loin, comme étant Ménageot et Le Brun ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 87. Sur cette sortie à Tivoli, voir aussi Haroche-Bouzinac 2011, op. cit. (note 3), p. 218. 8Élisabeth Vigée Le Brun dessinant la cascade de Tivoli en compagnie de sa fille et d’une gouvernante, pierre noire, 110 × 100 mm ; et Élisabeth Vigée Le Brun dessinant la cascade de Tivoli en compagnie de sa fille et d’une gouvernante, huile sur papier, marouflé sur toile, 29,9 × 22 cm ; les deux œuvres passées en vente, Paris (Christie’s), 22 juin 2006, n° 56 ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 86, respectivement fig. 13, et n° 4, repr. ; Baillio et Salmon 2015-2016, op. cit. (note 2), p. 231, n° 98. Un dessin représentant Julie, surnommée Brunette, fut réalisé par Simon Denis lors de cette même journée : Brunette aux Cascatelles de Tivoli, pierre noire, New York, Collection Wildenstein & Co. ; voir Anna Ottani Cavina (dir.), Paysages d’Italie. Les peintres du plein air (1780-1830), cat. exp. Paris (Galeries nationales du Grand Palais), Mantoue (Centro Internazionale d’Arte e di Cutura di Palazzo Te), 2001, p. 132, repr. 9D’autres esquisses ont été mises en relation avec notre tableau par Valentina Branchini : Au pied des Cascatelles, huile sur papier, 21 × 33,3 cm, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle, inv. 2857 et Près des Cascatelles, huile sur papier, 26,2 × 21,8 cm, localisation inconnue (vente, Monaco (Sotheby’s), 18-19 juin 1992, n° 205, repr.) ; voir Branchini 2003, op. cit. (note 4), p. 88-90, nos 9 et 10. 10Ibid., p. 87. 11De nombreuses études et esquisses à l’huile sur papier, souvent issues de son atelier et de ses descendants, sont passées en vente ces dernières décennies, par exemple : vente, Monaco (Sotheby’s), 18-19 juin 1992, nos 177 à 212 ; vente, Paris (Christie’s), 17 mars 2005, nos 404 à 429 ; vente, Paris (Christie’s), 22 juin 2006, nos 54 à 58. 12Ottani Cavina 2001, op. cit. (note 8), p. 128. 13Notamment grâce aux trois volumes de sa Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands, Paris et Amsterdam, 1792-1796. 14La Fondation Custodia conserve un album de vues dessinées d’Italie (inv. 2001-T.22), deux dessins (inv. 2004-T.4 et 2005-T.15), et douze peintures liées à son nom, acquises à partir de 2010, ainsi que trois lots conséquents de la correspondance de l’artiste, acquis en 2000, 2001 et 2019 (inv. 2000-A.57/117 ; 2001-A.519/527 ; 2019-A.323/352). 15Nicolaes Berchem, Paysage avec les cascades et le temple de la Sibylle à Tivoli, vers 1670, huile sur toile, 105,5 × 94,3 cm, inv. 7670 ; Caspar van Wittel, Vue du temple de la Sibylle à Tivoli, vers 1720, huile sur toile, 34,8 × 45 cm, inv. 6035.