35. Jan Goeree

Middelburg 1670 – 1731 Amsterdam

Geen dag sonder trek Pas de jour sans une ligne »)

Au XVIIe siècle, le dessin était au cœur de l’enseignement des jeunes artistes. Ils apprenaient dès le début de leur formation à faire des copies de gravures de grands maîtres, tels qu’Albrecht Dürer (1474-1527), Raphaël (1583-1424) et Lucas van Leyde (1494-1533). Ensuite, ils dessinaient d’après des modèles en trois dimensions. Puis on les incitait à tracer leur propre image reflétée dans un miroir afin de s’exercer à la représentation des expressions faciales. Après leur formation, les artistes – certains plus que d’autres – continuaient à dessiner, comme en témoigne le grand nombre de dessins et d’études préliminaires conservés aujourd’hui. On estimait en effet, qu’il était indispensable de dessiner tous les jours. La devise Nulla dies sine linea Pas un jour sans tracer une ligne »), tirée de la vie du peintre Apelle par Pline l’Ancien, était très connue au XVIIe siècle1.

Notre dessin constitue une interprétation libre de cet adage. Il représente un jeune artiste à son chevalet, tenant dans sa main droite un morceau de craie, médium souvent utilisé au XVIIe siècle pour faire un tracé sur toile ou sur panneau en préparation du tableau. Un homme barbu, à l’aspect plutôt féroce (Apelle ?), lui soutient la main gauche, sans doute pour guider l’artiste peu expérimenté. Au premier plan, un putto broie des pigments avec un pilon sur une plaque de pierre, alors qu’une porte ouverte à l’arrière-plan offre la vue d’une rue encombrée de passants. Sur un étendard on peut lire la devise Geen dag sonder trek Pas un jour sans tracer une ligne »).

Comme le suggère Robert-Jan te Rijdt, le dessin est de la main de Jan Goeree, dessinateur, graveur, illustrateur et poète hollandais2. Il s’agit d’une illustration jusqu’alors non identifiée du « stamboek » ou album amicorum – aujourd’hui démembré – de Joanna Blok, née Koerten (1650-1715), artiste et silhouettiste renommée d’Amsterdam. De nombreux artistes, écrivains et visiteurs de marque qui venaient voir sa collection ont contribué à ce livre, y compris le peintre Melchior de Hondecoeter (1636-1695), le poète David van Hoogstraten (1658-1724) et le maître de Goeree : Gerard de Lairesse (1641-1711)3. Goeree a dessiné le frontispice et au moins dix autres illustrations, dont un dessin recto-verso récemment apparu sur le marché de l’art et acquis également par la Fondation Custodia4. Cette feuille porte la signature de Thomas Howard, 7e Baron d’Effingham (1682-1775) et la date « March 29th 1701 ». Le jeune baron, qui avait hérité du titre de son père défunt en 16965, vint apparemment visiter Amsterdam et la collection de Joanna au début du printemps 1701. Goeree, qui ne semble pas avoir été impressionné par le rang de ce visiteur, a décoré la même page, en illustrant la devise D’Eenigste adeldom is deugt La seule noblesse est la vertu »), quelques années plus tard, en 1705.

Geen dag sonder trek a sans doute été exécuté vers la même époque. La bordure circulaire est très caractéristique de ces dessins, ornée de brindilles souples ou de feuilles de palmier liées par un ruban dans le bas6. Ce dessin accompagnait probablement la contribution, à présent perdue, qu’un visiteur – sans doute un artiste – avait inscrite dans le livre. Cependant, la devise s’applique aussi à Joanna elle-même. Selon le lettré et bibliophile allemand Zacharius Conrad von Uffenbach (1683-1743), qui a rendu visite à sa collection en 1711, chaque silhouette qu’elle exécutait était « tout d’abord dessinée avec beaucoup d’art et de ressemblance »7. MR

1Ger Luijten, Peter Schatborn, Arthur K. Wheelock, Du Dessin au tableau au siècle de Rembrandt, cat. exp., Washington, National Gallery of Art, et Paris, Fondation Custodia, 2016, p. 26. La devise est citée dans Emblemata Politica de Justus Reifenberg (1632), Lof der Schilder-Konst de Philips Angel (1642) et Van ‘t Light der Teken en Schilderkunst de Crispijn van de Passe (1643).

2Communication orale Robert-Jan te Rijdt, 2017.

3À ce sujet Michiel Plomp, « De portretten uit het stamboek voor Joanna Koerten (1650-1715) », Leids Kunsthistorisch Jaarboek, VIII, 1989, p. 323-343 ; et Robert-Jan te Rijdt, « Jan Goeree, het stamboek van Joanna Koerten en de datering ervan », Delineavit et Sculpsit, XVII, 1997, p. 48-56.

4Paris, Fondation Custodia, don d’Onno van Seggelen, Rotterdam, inv. 2018-T.6 (plume et encre grise, lavis brun et gris et blanc opaque, sur un tracé à la craie rouge ; 161 × 157 mm. Signé et daté, en bas à droite, à l’encre brune : « J. Goeree fec : 1705 ». Inscrit, en haut à gauche, à l’encre brune : « March / 29th / 1701 » ; en haut à droite, à l’encre brune : « Effingham »).

5James William Edmund Doyle, The Official Baronage of England. Showing the Succession, Dignities, and Offices of Every Peer from 1066 to 1885, 3 vol., Londres, 1822-1892, vol. I, p. 661.

6Une feuille signée, datée 1708, avec trois dessins circulaires semblables, ornés de la même manière, se trouvait dans la collection des héritiers de Victor de Stuers (1843-1919), Vorden (plume et encre brune, lavis brun ; 180 × 187 mm) ; Dirk Hannema, Oude tekeningen uit de verzameling Victor de Stuers, cat. exp., Almelo, Kunstkring de Waag, et Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen, 1961, p. 20, cat. n° 69.

7Zacharius Conrad von Uffenbach, Merkwürdige Reisen, 3 vol., Ulm et Memmingen, 1753-1754, vol. III, p. 555 (« erstlich sehr künstlich und gleichend zeichnet »).

8Sara Outgers était la nièce de la mère d’Adriaan Blok et a hérité de la collection après la mort de Maria Blok en 1737. Son époux, le marchand d’art Pieter Testas, a cherché à vendre la collection en bloc et a publié un catalogue en 1744. Des dessins de Goeree sont cités sous les nos 30-34, 45, 53, 59 et 65-67. Une copie de ce catalogue se trouve à la bibliothèque du Rijksmuseum ; Joke Verhaven et Jan Peter Verhave, « Joanna Koerten en haar schaar van bewonderaars », Doopsgezinde bijdragen, XLII, 2016, p. 176.

9Oudaen a sans doute acheté une grande partie des dessins et des documents autographes de la collection de Joanna Blok, lors de sa vente en 1762 ou 1765 ; Plomp 1989, op. cit (note 3), p. 328 et 343, note 20.