Accueil Catalogues en ligne Art sur papier. Acquisitions récentes 36. Hendrick Goltzius Mühlbracht 1558 – 1617 Haarlem La Parabole des aveugles, 1586 Tirée de l’évangile de Matthieu, la Parabole des aveugles a été de nombreuses fois illustrée par les peintres du XVIe siècle comme une mise en garde adressée aux croyants qui se détournent du droit chemin. Le tableau mondialement célèbre de Pieter Bruegel l’Ancien (1526/30-1569), réalisé en 1568, demeure une de ses plus célèbres représentations1. Il met en scène un groupe de mendiants aveugles marchant dans la campagne flamande, avec une église campée à l’arrière-plan. Pour ne pas tomber à la renverse, chacun d’eux a posé sa main sur l’épaule du vagabond qui le précède ou empoigne fermement son bâton. L’aveugle qui ouvre la marche est déjà tombé dans le fossé et il paraît inévitable que ses compagnons en fassent autant. De même que dans l’estampe de Hendrick Goltzius, la scène illustre presque littéralement la parabole biblique : « Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent d’autres aveugles ; si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont l’un et l’autre dans un trou » (Mat. 15 : 14). L’interprétation de Bruegel était célèbre et a donné lieu à de nombreuses imitations2. On retrouve ainsi dans une série de douze gravures circulaires, datant à peu près de la même période et portant pour certaines le monogramme du graveur anversois Johannes Wierix (1549-1615/20), certains motifs de Bruegel3. Une des planches représente la Parabole des aveugles et est accompagnée d’un texte encerclant l’image, qui invite le spectateur à suivre prudemment son chemin de vie et à ne se fier à personne d’autre qu’à Dieu. L’estampe de Goltzius reprend son format circulaire et la présence du texte autour de l’image. L’artiste connaissait donc probablement la série de gravures et a souhaité s’en inspirer pour concevoir une série analogue. La Parabole des aveugles ne peut cependant être rattachée à aucune autre feuille dans l’œuvre gravé du peintre4. Un autre emprunt de Goltzius vient d’une estampe de Pieter van der Heyden (1520/40-1572/92) mettant en scène deux pèlerins aveugles, à l’allure un peu suspecte, qui tombent dans un fossé5. Contrairement à la gravure de la série précédemment évoquée et au tableau de Bruegel conservé à Naples, l’estampe représente – comme chez Goltzius – non pas des mendiants, mais des pèlerins aveugles, identifiables à leurs coquilles Saint-Jacques et à leurs bâtons de pèlerin croisés cousus sur leur chapeau. En réalité, ce ne sont pas d’authentiques pénitents mais des imposteurs qui se font passer pour de pieux pèlerins. Les sources du XVIe siècle indiquent qu’ils étaient très nombreux à prendre ainsi les routes sous de fausses identités et qu’il était parfois difficile de les distinguer des vrais pèlerins. Ils utilisaient le pèlerinage non pas pour se rapprocher de Dieu, mais comme prétexte au vagabondage, pour mener une vie dissolue et soutirer l’argent des croyants naïfs6. Une telle existence était réprouvée, comme l’indique le message de la gravure, et ne pouvait que mal se terminer. À l’arrière-plan de son estampe, Goltzius représente le seul comportement digne d’un vrai pèlerin : deux croyants revêtus d’un manteau s’agenouillent devant un autel dressé le long du chemin7. La Parabole des aveugles occupe une place unique dans l’œuvre gravé de Goltzius. Du point de vue stylistique, elle diffère radicalement des autres productions de l’artiste réalisées la même année, notamment sa série des héros romains, dédiée à l’empereur Rodolphe II (r. 1576-1612)8. Dans cette dernière, l’influence de Bartholomeus Spranger (1546-1611), dont Goltzius avait découvert le style élégant et maniériste au début des années 1580, est clairement perceptible9. MR 1Naples, Museo Nazionale Capodimonte, inv. 84.490 (détrempe ; 86 × 156 cm) ; Manfred Sellink, Bruegel. The Complete Paintings, Drawings and Prints, Gand, 2007, n° 165, repr. La parabole est également illustrée à l’arrière-plan de la peinture des Proverbes de Bruegel, datée de 1559, conservée à Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, inv. 1720 (huile sur panneau ; 117,2 × 163,8 cm) ; ibid., n° 76 ; http://www.smb-digital.de/eMuseumPlus. 2Voir sur le sujet Klaus Ertz, Pieter Bruegel der Jüngere (1564-1637/38). Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, 2 vol., Lingen, 1988/2000, vol. I, p. 83-91 ; et Jürgen Müller, « Of Churches, Heretics, and Other Guides of the Blind : The Fall of the Blind Leading the Blind by Pieter Bruegel the Elder and the Esthetics of Subversion », dans Walter S. Melion, James Clifton et Michel Weemans (éd.), Imago Exegetica. Visual Images as Exegetical Instruments 1400-1700 (Intersections. Interdisciplinary Studies in Early Modern Culture, vol. XXXIII), Leyde, 2014, p. 737-790. 3Jürgen Müller, Petra Roettig et Bertram Kaschek, Pieter Bruegel invenit. Das druckgraphische Werk, cat. exp., Hambourg, Hamburger Kunsthalle, 2001, p. 126-131 ; et Nadine M. Orenstein, Pieter Bruegel the Elder (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings and Engravings and Woodcuts, 1450-1700), Ouderkerk aan de IJssel, 2006, p. 166-173, nos A7-A18. 4Rudolf Weigel a suggéré d’établir un lien avec une autre estampe de Goltzius. Une proposition rejetée par Otto Hirschmann ; Walter L. Strauss (éd.), Hendrick Goltzius (The Illustrated Bartsch, vol. III), New York, 1982, p. 86. 5Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-1885-A-9287 (gravure au burin ; 222 × 255 mm) ; Müller 2014, op. cit. (note 2), p. 771, fig. 22 ; https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken. 6Sur le sujet des faux pèlerins voir Jos Koldeweij, « Het zijn niet allen slagers die lange messen dragen. Valse pelgrims en hun herkenningstekens », Madoc. Tijdschrift over de Middeleeuwen, VII, 1993, n° 4, p. 227-235. 7Une scène identique est représentée dans La Parabole des aveugles de Pieter van der Heyden, réalisée en 1561 d’après Hans Bol, conservée à Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-1878-A-1754 (gravure au burin ; 218 × 296 mm) ; Müller 2014, op. cit. (note 2), p. 778, fig. 25 ; https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken. 8Marjolein Leesberg, Hendrick Goltzius (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), 4 vol., Ouderkerk aan den IJssel, 2012, vol. I, p. 272-293, nos 163-172, repr. 9Huigen Leeflang et Ger Luijten, Hendrick Goltzius (1558-1617). Tekeningen, prenten en schilderijen, cat. exp., Amsterdam, Rijksmuseum, New York, The Metropolitan Museum of Art, et Ohio, The Toledo Museum of Art, 2003-2004, p. 81-82.
Tirée de l’évangile de Matthieu, la Parabole des aveugles a été de nombreuses fois illustrée par les peintres du XVIe siècle comme une mise en garde adressée aux croyants qui se détournent du droit chemin. Le tableau mondialement célèbre de Pieter Bruegel l’Ancien (1526/30-1569), réalisé en 1568, demeure une de ses plus célèbres représentations1. Il met en scène un groupe de mendiants aveugles marchant dans la campagne flamande, avec une église campée à l’arrière-plan. Pour ne pas tomber à la renverse, chacun d’eux a posé sa main sur l’épaule du vagabond qui le précède ou empoigne fermement son bâton. L’aveugle qui ouvre la marche est déjà tombé dans le fossé et il paraît inévitable que ses compagnons en fassent autant. De même que dans l’estampe de Hendrick Goltzius, la scène illustre presque littéralement la parabole biblique : « Laissez-les, ce sont des aveugles qui conduisent d’autres aveugles ; si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont l’un et l’autre dans un trou » (Mat. 15 : 14). L’interprétation de Bruegel était célèbre et a donné lieu à de nombreuses imitations2. On retrouve ainsi dans une série de douze gravures circulaires, datant à peu près de la même période et portant pour certaines le monogramme du graveur anversois Johannes Wierix (1549-1615/20), certains motifs de Bruegel3. Une des planches représente la Parabole des aveugles et est accompagnée d’un texte encerclant l’image, qui invite le spectateur à suivre prudemment son chemin de vie et à ne se fier à personne d’autre qu’à Dieu. L’estampe de Goltzius reprend son format circulaire et la présence du texte autour de l’image. L’artiste connaissait donc probablement la série de gravures et a souhaité s’en inspirer pour concevoir une série analogue. La Parabole des aveugles ne peut cependant être rattachée à aucune autre feuille dans l’œuvre gravé du peintre4. Un autre emprunt de Goltzius vient d’une estampe de Pieter van der Heyden (1520/40-1572/92) mettant en scène deux pèlerins aveugles, à l’allure un peu suspecte, qui tombent dans un fossé5. Contrairement à la gravure de la série précédemment évoquée et au tableau de Bruegel conservé à Naples, l’estampe représente – comme chez Goltzius – non pas des mendiants, mais des pèlerins aveugles, identifiables à leurs coquilles Saint-Jacques et à leurs bâtons de pèlerin croisés cousus sur leur chapeau. En réalité, ce ne sont pas d’authentiques pénitents mais des imposteurs qui se font passer pour de pieux pèlerins. Les sources du XVIe siècle indiquent qu’ils étaient très nombreux à prendre ainsi les routes sous de fausses identités et qu’il était parfois difficile de les distinguer des vrais pèlerins. Ils utilisaient le pèlerinage non pas pour se rapprocher de Dieu, mais comme prétexte au vagabondage, pour mener une vie dissolue et soutirer l’argent des croyants naïfs6. Une telle existence était réprouvée, comme l’indique le message de la gravure, et ne pouvait que mal se terminer. À l’arrière-plan de son estampe, Goltzius représente le seul comportement digne d’un vrai pèlerin : deux croyants revêtus d’un manteau s’agenouillent devant un autel dressé le long du chemin7. La Parabole des aveugles occupe une place unique dans l’œuvre gravé de Goltzius. Du point de vue stylistique, elle diffère radicalement des autres productions de l’artiste réalisées la même année, notamment sa série des héros romains, dédiée à l’empereur Rodolphe II (r. 1576-1612)8. Dans cette dernière, l’influence de Bartholomeus Spranger (1546-1611), dont Goltzius avait découvert le style élégant et maniériste au début des années 1580, est clairement perceptible9. MR 1Naples, Museo Nazionale Capodimonte, inv. 84.490 (détrempe ; 86 × 156 cm) ; Manfred Sellink, Bruegel. The Complete Paintings, Drawings and Prints, Gand, 2007, n° 165, repr. La parabole est également illustrée à l’arrière-plan de la peinture des Proverbes de Bruegel, datée de 1559, conservée à Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, inv. 1720 (huile sur panneau ; 117,2 × 163,8 cm) ; ibid., n° 76 ; http://www.smb-digital.de/eMuseumPlus. 2Voir sur le sujet Klaus Ertz, Pieter Bruegel der Jüngere (1564-1637/38). Die Gemälde mit kritischem Oeuvrekatalog, 2 vol., Lingen, 1988/2000, vol. I, p. 83-91 ; et Jürgen Müller, « Of Churches, Heretics, and Other Guides of the Blind : The Fall of the Blind Leading the Blind by Pieter Bruegel the Elder and the Esthetics of Subversion », dans Walter S. Melion, James Clifton et Michel Weemans (éd.), Imago Exegetica. Visual Images as Exegetical Instruments 1400-1700 (Intersections. Interdisciplinary Studies in Early Modern Culture, vol. XXXIII), Leyde, 2014, p. 737-790. 3Jürgen Müller, Petra Roettig et Bertram Kaschek, Pieter Bruegel invenit. Das druckgraphische Werk, cat. exp., Hambourg, Hamburger Kunsthalle, 2001, p. 126-131 ; et Nadine M. Orenstein, Pieter Bruegel the Elder (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings and Engravings and Woodcuts, 1450-1700), Ouderkerk aan de IJssel, 2006, p. 166-173, nos A7-A18. 4Rudolf Weigel a suggéré d’établir un lien avec une autre estampe de Goltzius. Une proposition rejetée par Otto Hirschmann ; Walter L. Strauss (éd.), Hendrick Goltzius (The Illustrated Bartsch, vol. III), New York, 1982, p. 86. 5Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-1885-A-9287 (gravure au burin ; 222 × 255 mm) ; Müller 2014, op. cit. (note 2), p. 771, fig. 22 ; https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken. 6Sur le sujet des faux pèlerins voir Jos Koldeweij, « Het zijn niet allen slagers die lange messen dragen. Valse pelgrims en hun herkenningstekens », Madoc. Tijdschrift over de Middeleeuwen, VII, 1993, n° 4, p. 227-235. 7Une scène identique est représentée dans La Parabole des aveugles de Pieter van der Heyden, réalisée en 1561 d’après Hans Bol, conservée à Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-1878-A-1754 (gravure au burin ; 218 × 296 mm) ; Müller 2014, op. cit. (note 2), p. 778, fig. 25 ; https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken. 8Marjolein Leesberg, Hendrick Goltzius (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), 4 vol., Ouderkerk aan den IJssel, 2012, vol. I, p. 272-293, nos 163-172, repr. 9Huigen Leeflang et Ger Luijten, Hendrick Goltzius (1558-1617). Tekeningen, prenten en schilderijen, cat. exp., Amsterdam, Rijksmuseum, New York, The Metropolitan Museum of Art, et Ohio, The Toledo Museum of Art, 2003-2004, p. 81-82.