Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 37. Odilon Redon Bordeaux 1840 – 1916 Paris Village sur la côte de Bretagne, vers 1880 Si Odilon Redon, le « prince du rêve1 », puisa dans son imagination féconde la matière de puissantes compositions symbolistes, son pinceau s’exerça également à l’étude d’après nature. Dans son journal en mai 1868, l’artiste s’interrogeait sur la valeur de ce qu’il appellait « l’étude naïve2 » – étude fragmentaire réalisée pour elle-même et non en préparation d’une œuvre aboutie (par opposition à « l’étude qui fait tableau3 »). Ces études « que l’on fait dans l’oubli de ce qu’on sait avec désir d’approcher le plus docilement de ce qu’on voit4 » ont pris pour Odilon Redon la forme de peintures de plein air. C’est avant tout dans les landes du Médoc mais aussi le long des côtes armoricaines que l’artiste glana les sujets de ses paysages. Redon découvrit la « douce et mélancolique Bretagne5 » pour la première fois en 18716. Jusqu’en 1885, l’artiste fit plusieurs séjours dans la région dont son voyage de noces en 1880. Il en résulta de nombreuses études, dessins et peintures. Ainsi, un bord de mer rocheux dans lequel on peut reconnaître une vue de la côte bretonne7 vient tout récemment (2023) d’enrichir les collections de la Fondation Custodia d’une seconde œuvre d’Odilon Redon8. Son journal nous permet de le suivre à Quimper, Morgat ou dans le Morbihan sans qu’un itinéraire précis de ces différents voyages n’ait pu être établi. Ce Village sur la côte de Bretagne fait partie d’un ensemble d’une dizaine d’esquisses à l’huile représentant des bords de mers bretons9. Certains sites, comme Bénodet et Auray10, ont été identifiés. Toutefois, d’autres œuvres, telles que le paysage exposé ici, restent à localiser. Il pourrait s’agir d’un village du Finistère, probablement le port de Douarnenez ou celui de Tréboul. Redon restitua l’atmosphère brumeuse et le ciel changeant dans des coloris un peu sourds de bruns et de gris-bleu. Une huile sur carton conservée à la National Gallery of Art à Washington11 dépeint le même port par un jour plus clair et à marée basse. La répétition de ce motif illustre la mise en œuvre du conseil reçu de Corot, son aîné, qu’il avait rencontré pour la première fois en 1864 : « Allez tous les ans peindre au même endroit ; copiez le même arbre12 ». Dans les deux œuvres, l’absence de figures laisse planer une certaine mélancolie que Redon évoque de manière récurrente dans son journal, décrivant l’impression que lui procure la région13. Marie-Liesse Choueiry 1Thadée Natanson, « Expositions. Exposition Odilon Redon. Pastels et dessins de K.-X. Roussel », La Revue Blanche, mai 1894, vol. IV, p. 470. 2Odilon Redon, À Soi-même, journal (1867-1915) : notes sur la vie, l’art et les artistes, Paris, 1922, p. 36. 3Ibid. 4Ibid. 5Expression utilisée par Odilon Redon dans une lettre à Edmond Picard le 15 juin 1894 (voir André Mellerio, Odilon Redon, 1913, p. 82 : « J’ai aussi vu la douce et mélancolique Bretagne, que j’aime beaucoup »). 6Sophie Barthélémy, La Nature silencieuse : paysages d’Odilon Redon, cat. exp. Bordeaux (musée des Beaux-Arts), Quimper (musée des Beaux-Arts), 2016-2017, p. 36. 7Huile sur papier, 18,8 × 27 cm, inv. 2023-S.19. 8Notons cependant que plusieurs manuscrits de la main de l’artiste sont également conservés à la Fondation Custodia. 9Alec Wildenstein, Marie-Christine Decroocq et Agnes Lacau St Guily, Odilon Redon. Catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Paris, vol. III, 1996, p. 287-290, nos 1846-1856. 10Ibid., p. 287-288, n° 1846 (Bénodet) et n° 1849 (Auray). 11Village sur la côte de Bretagne, huile sur carton, marouflé sur panneau, 250 × 323 mm ; Washington, National Gallery of Art, inv. 2012.89.7. 12Redon 1922, op. cit. (note 2), p. 36 (mai 1868). 13Ibid., p. 88 (mai 1885) : « Je ne connais jusqu’ici de la Bretagne qu’une brume éternelle, un ciel sombre et changeant, brouillé, remué par des souffles contraires […] ; il fait triste, ici. »
Si Odilon Redon, le « prince du rêve1 », puisa dans son imagination féconde la matière de puissantes compositions symbolistes, son pinceau s’exerça également à l’étude d’après nature. Dans son journal en mai 1868, l’artiste s’interrogeait sur la valeur de ce qu’il appellait « l’étude naïve2 » – étude fragmentaire réalisée pour elle-même et non en préparation d’une œuvre aboutie (par opposition à « l’étude qui fait tableau3 »). Ces études « que l’on fait dans l’oubli de ce qu’on sait avec désir d’approcher le plus docilement de ce qu’on voit4 » ont pris pour Odilon Redon la forme de peintures de plein air. C’est avant tout dans les landes du Médoc mais aussi le long des côtes armoricaines que l’artiste glana les sujets de ses paysages. Redon découvrit la « douce et mélancolique Bretagne5 » pour la première fois en 18716. Jusqu’en 1885, l’artiste fit plusieurs séjours dans la région dont son voyage de noces en 1880. Il en résulta de nombreuses études, dessins et peintures. Ainsi, un bord de mer rocheux dans lequel on peut reconnaître une vue de la côte bretonne7 vient tout récemment (2023) d’enrichir les collections de la Fondation Custodia d’une seconde œuvre d’Odilon Redon8. Son journal nous permet de le suivre à Quimper, Morgat ou dans le Morbihan sans qu’un itinéraire précis de ces différents voyages n’ait pu être établi. Ce Village sur la côte de Bretagne fait partie d’un ensemble d’une dizaine d’esquisses à l’huile représentant des bords de mers bretons9. Certains sites, comme Bénodet et Auray10, ont été identifiés. Toutefois, d’autres œuvres, telles que le paysage exposé ici, restent à localiser. Il pourrait s’agir d’un village du Finistère, probablement le port de Douarnenez ou celui de Tréboul. Redon restitua l’atmosphère brumeuse et le ciel changeant dans des coloris un peu sourds de bruns et de gris-bleu. Une huile sur carton conservée à la National Gallery of Art à Washington11 dépeint le même port par un jour plus clair et à marée basse. La répétition de ce motif illustre la mise en œuvre du conseil reçu de Corot, son aîné, qu’il avait rencontré pour la première fois en 1864 : « Allez tous les ans peindre au même endroit ; copiez le même arbre12 ». Dans les deux œuvres, l’absence de figures laisse planer une certaine mélancolie que Redon évoque de manière récurrente dans son journal, décrivant l’impression que lui procure la région13. Marie-Liesse Choueiry 1Thadée Natanson, « Expositions. Exposition Odilon Redon. Pastels et dessins de K.-X. Roussel », La Revue Blanche, mai 1894, vol. IV, p. 470. 2Odilon Redon, À Soi-même, journal (1867-1915) : notes sur la vie, l’art et les artistes, Paris, 1922, p. 36. 3Ibid. 4Ibid. 5Expression utilisée par Odilon Redon dans une lettre à Edmond Picard le 15 juin 1894 (voir André Mellerio, Odilon Redon, 1913, p. 82 : « J’ai aussi vu la douce et mélancolique Bretagne, que j’aime beaucoup »). 6Sophie Barthélémy, La Nature silencieuse : paysages d’Odilon Redon, cat. exp. Bordeaux (musée des Beaux-Arts), Quimper (musée des Beaux-Arts), 2016-2017, p. 36. 7Huile sur papier, 18,8 × 27 cm, inv. 2023-S.19. 8Notons cependant que plusieurs manuscrits de la main de l’artiste sont également conservés à la Fondation Custodia. 9Alec Wildenstein, Marie-Christine Decroocq et Agnes Lacau St Guily, Odilon Redon. Catalogue raisonné de l’œuvre peint et dessiné, Paris, vol. III, 1996, p. 287-290, nos 1846-1856. 10Ibid., p. 287-288, n° 1846 (Bénodet) et n° 1849 (Auray). 11Village sur la côte de Bretagne, huile sur carton, marouflé sur panneau, 250 × 323 mm ; Washington, National Gallery of Art, inv. 2012.89.7. 12Redon 1922, op. cit. (note 2), p. 36 (mai 1868). 13Ibid., p. 88 (mai 1885) : « Je ne connais jusqu’ici de la Bretagne qu’une brume éternelle, un ciel sombre et changeant, brouillé, remué par des souffles contraires […] ; il fait triste, ici. »