4. Jan Thomas

Ypres 1617 – 1678 Vienne

Scène pastorale avec couples qui dansent

Longtemps attribuée à son illustre compatriote Peter Paul Rubens (1577–1640), cette feuille est aujourd’hui considérée comme un rare dessin autographe du peintre d’histoire et de portrait flamand Jan Thomas1. Exécuté en camaïeu de gris, il servit de dessin préparatoire à une eau-forte gravée en sens inverse, que l’artiste a signée « Ioannes Thomas fecit »2. Un vers humoristique dans la marge de l’estampe explique la scène représentée. Loin d’une rencontre romantique de deux couples dansant sur les airs d’un joueur de cornemuse, nous sommes en présence de deux bergers courtisant leurs partenaires en vue de gagner leurs faveurs. Celui qui tient une fourche lorgne la poitrine partiellement dénudée de la bergère à ses côtés. Celle-ci tourne la tête pour tenter de l’éviter, tout en exhibant sa jambe gauche, jusqu’au-dessus du genou. L’autre berger semble avoir moins de succès. En cherchant à regarder sous la jupe de sa partenaire, il trébuche et manque de tomber.

Cette composition animée montre une influence évidente de Rubens, dans l’atelier duquel Thomas a peut-être suivi une formation ou travaillé comme assistant à la fin des années 1630. Par son style et son sujet, le dessin se rapproche de la célèbre Danse des villageois de Rubens, datant de 1632/1635 et conservée à Madrid3. Un autre tableau de Rubens représentant une scène pastorale similaire, avec un jeune homme agrippant la jupe d’une femme, est à Vienne4. D’autres éléments du dessin, comme le joueur de cornemuse à gauche et la femme montrant sa jambe nue, se retrouvent également dans un tableau de Caen autrefois considéré comme étant de Rubens, mais aujourd’hui attribué à Thomas5.

Seule une poignée de dessins peut être attribuée avec certitude à Thomas. Un autre projet d’estampe, représentant saint Sébastien soigné par sainte Irène, se trouve à Oxford6. Comme dans notre feuille, Thomas esquissa la composition initiale à la pierre noire, puis ajouta la gouache bleu-verdâtre et accentua les contours et les ombres avec la pointe du pinceau à l’encre grise et noire. Cette technique, en particulier l’utilisation de la gouache bleu-verdâtre, rappelle des projets d’estampes réalisées dans l’atelier de Rubens7.

La Scène pastorale avec couples qui dansent faisait autrefois partie de la célèbre collection de Valerius Röver (1686–1739), qui la tenait pour une œuvre autographe de Rubens8. Compte tenu des affinités techniques et stylistiques évoquées plus haut, cette attribution, qui s’est maintenue jusqu’au XXe siècle, est aisément compréhensible.

Marleen Ram

1Janno van Tatenhove, « Jan Thomas van Yperen », Delineavit et Sculpsit, vol. XV, 1995, p. 39-41.

2Un exemplaire de cette rare estampe se trouve dans la collection de la Fondation Custodia, Paris, inv. 2075(36) (eau-forte, 264 × 358 mm) ; voir Ger Luijten, Hollstein’s Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, ca. 1450-1700, vol. XXX, Amsterdam, 1986, p. 89, sous le n° 3, repr. ; l’estampe est cataloguée à tort comme étant d’après Peter Paul Rubens. Cette attribution est basée sur une inscription à l’encre brune sur un exemplaire du premier état à Londres, British Museum, inv. 1897.0615.14.

3Madrid, Museo del Prado, inv. P01691 (huile sur panneau, 73 × 106 cm) ; voir Matías Díaz Padrón, El siglo de Rubens en el Museo del Prado. Catálogo razonado de pintura flamenca del siglo XVII, Barcelone, 1996, vol. II, p. 988-991, n° 1961, repr. Cette peinture est restée dans l’atelier de Rubens jusqu’à son décès en 1640, où Thomas a pu la voir.

4Parc de château, huile sur panneau, 52 × 97 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. 696 ; voir Götz Adriani et al., Die Künstler der Kaiser. Von Dürer bis Tizian, von Rubens bis Velázquez aus dem Kunsthistorischen Museum Wien, cat. exp. Baden-Baden (Museum Frieder Burda), 2009, p. 152-155, repr. La date de création de la peinture est située vers 1632/1635. C’est à cette époque, ou peu après, que le jeune Thomas a dû rejoindre l’atelier de Rubens.

5Caen, Musée des Beaux-Arts, inv. 120 (huile sur panneau, 54,4 × 93,3 cm) ; voir Françoise Debaisieux, Caen, Musée des Beaux-Arts. Peintures des écoles étrangères, Paris, 1994, p. 310-311, n° 171, repr.

6Pointe du pinceau et encre grise, rehauts de gouache bleu-verdâtre, sur un tracé à la pierre noire ; contours incisés pour le transfert, 277 × 388 mm, Oxford, Ashmolean Museum, inv. WA1863.287 ; voir K. T. Parker, Netherlandish, German and Spanish schools (Catalogue of the collection of drawings in the Ashmolean Museum, vol. I), Oxford, 1938, n° 220, repr.

7Par exemple, les projets de Rubens pour le Jardin d’Amour en vue de deux gravures sur bois exécutées par Christoffel Jegher (1596–1625/1653), conservées à New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1958.96.1 et 1958.96.2 (plume et encre brune, rehauts de gouache bleu-verdâtre, sur un tracé à la pierre noire, environ 470 × 705 mm) ; voir Anne-Marie S. Logan et Michiel C. Plomp, Peter Paul Rubens. The Drawings, cat. exp. New York (The Metropolitan Museum of Art), 2005, p. 260-264, nos 93-94.

8Figurant dans le manuscrit de son inventaire Catalogus van mijne verzameling van Tekeningen ’t zedert den jaare 1705 tot heden 31 december 1731 [...], portefeuille 5, fol. 83 (« 6 dansende en spelende beeltjes, in een Lantsschap, van Rubbens, uit de Collectie van Van der Schelling »), valeur estimée 12.10 florins, Amsterdam, Universiteitsbibliotheek, inv. MS II-A 18. Le dessin était conservé dans un portfolio contenant des « dessins, la plupart peints en couleurs monochromes sur papier » (« tekeningen, meeste in ’t graauw geschildert op papier »).

9Selon Hans-Ulrich Beck, les dessins portant un numéro d’inventaire à l’encre rouge proviennent de la collection Valerius Röver, vendue à Goll van Franckenstein en 1761 ; voir Hans-Ulrich Beck, « Anmerkungen zu den Zeichnungssammlungen von Valerius Röver und Goll van Franckenstein », Nederlands kunsthistorisch jaarboek, vol. XXXII, 1981, p. 111-123.