Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 43. Johan Barthold Jongkind Lattrop 1819 – 1891 La Côte-Saint-André Le Quai d’Orsay à Paris, vers 1850-1852 La Fondation Custodia conserve un bel ensemble d’œuvres et de documents concernant le peintre néerlandais Johan Barthold Jongkind mais, jusqu’il y a encore quelques années, ne possédait pas d’esquisse à l’huile de sa main1. Les esquisses peintes en plein air par Jongkind sont plutôt rares : l’artiste semble avoir préféré dessiner sur le motif2. Cette étude du quai d’Orsay, exécutée à l’huile sur papier3, date du premier séjour du jeune peintre à Paris4. Jongkind arriva dans la capitale française en 1846 grâce à une bourse royale pour étudier auprès de l’artiste Eugène Isabey (1803–1886). À partir de 1848, Jongkind commença à réaliser des représentations de la Ville Lumière, notamment des vues panoramiques de la Seine. Il expérimenta alors des compositions plus monumentales, choisissant de préférence un point de vue bas, souvent depuis les berges. Jongkind peignait volontiers plusieurs versions de ces vues. C’est aussi le cas du quai d’Orsay5. Il en fit un premier tableau en 1852, puis une composition plus large en 18546. Cette dernière toile, plus ambitieuse et aux dimensions plus grandes, fut présentée à Bruxelles en 1854 à l’Exposition générale puis en 1855 lors de l’Exposition universelle à Paris7. Pour préparer ces deux tableaux, Jongkind réalisa plusieurs dessins, ainsi que cette esquisse à l’huile8. L’artiste ne s’y intéressa pas tant au fleuve proprement dit qu’à l’activité humaine qui l’anime, comme le montre la place importante accordée à la péniche dont on voit la proue au premier plan et aux deux grues impressionnantes un peu plus loin. L’œuvre conserve toute la spontanéité d’un travail exécuté sur le vif. Jongkind, installé sur le quai, regardant vers le pont Royal, a saisi son motif par des touches denses et brèves. À droite, on aperçoit le palais d’Orsay, tandis que, de l’autre côté de la rive, le pavillon de Flore marque l’angle entre le Louvre et le palais des Tuileries9. Jongkind traça dans un carnet de dessins la partie droite de la vue. Il étudia aussi de façon plus précise les grues dans un dessin indépendant rehaussé au lavis10. Les deux tableaux de 1852 et 1854 combinent divers éléments de ces études préparatoires. Ainsi, les compositions de notre esquisse à l’huile et de la toile de 1852 – qui sont très proches – reprennent les grues telles qu’elles apparaissent sur le dessin au lavis. La composition du tableau de 1854 correspond plutôt au croquis du carnet de dessin11. Les différentes études du quai d’Orsay doivent avoir été réalisées entre 1849 et 1852 mais il reste difficile d’en établir une chronologie exacte12. Rhea Sylvia Blok 1Pour les œuvres de Jongkind conservées à la Fondation Custodia, voir Rhea Sylvia Blok, Jongkind intime. Dessins, estampes et lettres de Jongkind et son entourage dans la Collection Frits Lugt, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2004 ; et Rhea Sylvia Blok, « Acquisitions : Johan Barthold Jongkind. Supplément au catalogue de 2004 », E-news Fondation Custodia, n° 5, juillet 2013, p. 15-17. 2Dans une lettre écrite en novembre 1856 Jongkind explique qu’il réalise des tableaux d’après ses aquarelles (Victorine Hefting, Jongkind d’après sa correspondance, Utrecht, [1969], p. 46, n° 41). D’autres lettres évoquent toutefois que Jongkind a également peint en plein air (ibid., p. 141-142, nos 193 et 194). 3Dans le catalogue raisonné des tableaux de Jongkind publié en 2003, peu d’œuvres sont inventoriées comme « huile sur papier » ou « huile sur carton » : Adolphe Stein, Sylvie Brame et al., Jongkind. Catalogue critique de l’œuvre. Peintures I, Paris, 2003, p. 85, nos 50, 53-54, 151, 230, 273, 278, 306, 346, 570, 638, 651, 842, 889 (notons que cette liste n’est sans doute pas complète : notre esquisse étant décrite comme huile sur toile). 4Entre 1846 et 1855. 5Actuel quai Anatole France. 6Vue du quai d’Orsay, 1852, huile sur toile, 27 × 41 cm, Bagnères-de-Bigorre, musée des Beaux-Arts Salies, don d’Achille Jubinal en 1853, inv. 853-1-169 (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 91, n° 92 ; et Victorine Hefting, Jongkind, sa vie, son œuvre, son époque, Paris, 1975, p. 89, n° 106 ; Vue du Quai d’Orsay, 1854, huile sur toile, 43,8 × 66 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 2001.652 (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 101, n° 130 ; Asher Ethan Miller et Sophie Scully, « The Pont Neuf : A Paris View by Johan Barthold Jongkind Reconsidered », Metropolitan Museum Journal, vol. L, 2015, p. 179-193). 7Exposition générale des beaux-arts, 1854. Catalogue explicatif, cat. exp. Bruxelles, 1854, p. 69, n° 529, Vue du Quai d’Orsay, à Paris ; Exposition universelle de 1855. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie et architecture des artistes vivants étrangers et français, exposés au Palais des Beaux-arts avenue Montaigne, le 15 mai 1855, cat. exp. Paris (Palais des Beaux-Arts, avenue Montaigne), 1855, p. 360, n° 3425, Vue prise du Quai d’Orsay. 8Une esquisse de la composition dans un carnet de dessin : Grue tenant un poids sur une berge devant des immeubles, graphite, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 10890, 43, fol. 21v-22r (Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 77, n° 67) ; un dessin rehaussé au lavis : Machine élévatrice sur un quai, graphite, lavis brun et aquarelle, 220 × 372 mm, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 10977, recto (ibid., p. 90, n° 111) ; Carla Gottlieb signale un troisième dessin, une aquarelle datée 1852, dont la localisation est inconnue : Carla Gottlieb, « Observations on Johan-Barthold Jongkind as a Draughtsman », Master Drawings, vol. V, n° 3, 1967, p. 300, fig. 3. 9La Fondation Custodia conserve un autre tableau, réalisé en 1853 (inv. 6879) ; il représente une vue de l’autre rive vers le pont Royal (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 95, n° 108 ; et Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 95, n° 120). 10Voir note 8. 11Dans d’autres œuvres de cette époque, Jongkind utilisa le même procédé : Gottlieb 1967, op. cit. (note 8), p. 296-303 ; Miller et Scully 2015, op. cit. (note 6), p. 179-193. 12Voir pour différentes propositions de datation : Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 77, n° 67, p. 90, n° 111 et p. 93, n° 117 ; Miller et Scully 2015, op. cit. (note 6), p. 179-193. 13Sano, artiste et collectionneur, acheta des tableaux de Jongkind et soutint l’artiste financièrement. Voir Hefting [1969], op. cit. (note 2), p. 5 ; François Auffret, Johan Barthold Jongkind 1819-1891. Héritier, contemporain & précurseur. Biographie illustrée, Paris, 2004, passim ; et Martine Tissier de Mallerais, « Emmanuel Sano », Bulletin de la Société des Amis de Jongkind (1819-1891), n° 42A, 31 décembre 2011, p. 8-32. Selon son acte de décès, Benoît Emmanuel Sano, né en 1822 à Lillo (Belgique), est mort le 27 avril à Paris dans le deuxième arrondissement (acte de décès établi le 29 avril 1878, archives de Paris, cote V4E 2650, acte 432). 14Nous remercions François Auffret qui nous a signalé (lettre du 13 juin 2012) que notre esquisse à l’huile correspond probablement au tableau du n° 34 : « Quai Dorçai [sic], h. 20 c. L. 36 c. » vendu dans la vente Tableaux modernes composant la collection de M. E. S…[Sano] le 22 janvier 1855 à Paris. Même identification dans l’article de Tissier de Mallerais 2011, op. cit. (note 13), p. 18.
La Fondation Custodia conserve un bel ensemble d’œuvres et de documents concernant le peintre néerlandais Johan Barthold Jongkind mais, jusqu’il y a encore quelques années, ne possédait pas d’esquisse à l’huile de sa main1. Les esquisses peintes en plein air par Jongkind sont plutôt rares : l’artiste semble avoir préféré dessiner sur le motif2. Cette étude du quai d’Orsay, exécutée à l’huile sur papier3, date du premier séjour du jeune peintre à Paris4. Jongkind arriva dans la capitale française en 1846 grâce à une bourse royale pour étudier auprès de l’artiste Eugène Isabey (1803–1886). À partir de 1848, Jongkind commença à réaliser des représentations de la Ville Lumière, notamment des vues panoramiques de la Seine. Il expérimenta alors des compositions plus monumentales, choisissant de préférence un point de vue bas, souvent depuis les berges. Jongkind peignait volontiers plusieurs versions de ces vues. C’est aussi le cas du quai d’Orsay5. Il en fit un premier tableau en 1852, puis une composition plus large en 18546. Cette dernière toile, plus ambitieuse et aux dimensions plus grandes, fut présentée à Bruxelles en 1854 à l’Exposition générale puis en 1855 lors de l’Exposition universelle à Paris7. Pour préparer ces deux tableaux, Jongkind réalisa plusieurs dessins, ainsi que cette esquisse à l’huile8. L’artiste ne s’y intéressa pas tant au fleuve proprement dit qu’à l’activité humaine qui l’anime, comme le montre la place importante accordée à la péniche dont on voit la proue au premier plan et aux deux grues impressionnantes un peu plus loin. L’œuvre conserve toute la spontanéité d’un travail exécuté sur le vif. Jongkind, installé sur le quai, regardant vers le pont Royal, a saisi son motif par des touches denses et brèves. À droite, on aperçoit le palais d’Orsay, tandis que, de l’autre côté de la rive, le pavillon de Flore marque l’angle entre le Louvre et le palais des Tuileries9. Jongkind traça dans un carnet de dessins la partie droite de la vue. Il étudia aussi de façon plus précise les grues dans un dessin indépendant rehaussé au lavis10. Les deux tableaux de 1852 et 1854 combinent divers éléments de ces études préparatoires. Ainsi, les compositions de notre esquisse à l’huile et de la toile de 1852 – qui sont très proches – reprennent les grues telles qu’elles apparaissent sur le dessin au lavis. La composition du tableau de 1854 correspond plutôt au croquis du carnet de dessin11. Les différentes études du quai d’Orsay doivent avoir été réalisées entre 1849 et 1852 mais il reste difficile d’en établir une chronologie exacte12. Rhea Sylvia Blok 1Pour les œuvres de Jongkind conservées à la Fondation Custodia, voir Rhea Sylvia Blok, Jongkind intime. Dessins, estampes et lettres de Jongkind et son entourage dans la Collection Frits Lugt, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2004 ; et Rhea Sylvia Blok, « Acquisitions : Johan Barthold Jongkind. Supplément au catalogue de 2004 », E-news Fondation Custodia, n° 5, juillet 2013, p. 15-17. 2Dans une lettre écrite en novembre 1856 Jongkind explique qu’il réalise des tableaux d’après ses aquarelles (Victorine Hefting, Jongkind d’après sa correspondance, Utrecht, [1969], p. 46, n° 41). D’autres lettres évoquent toutefois que Jongkind a également peint en plein air (ibid., p. 141-142, nos 193 et 194). 3Dans le catalogue raisonné des tableaux de Jongkind publié en 2003, peu d’œuvres sont inventoriées comme « huile sur papier » ou « huile sur carton » : Adolphe Stein, Sylvie Brame et al., Jongkind. Catalogue critique de l’œuvre. Peintures I, Paris, 2003, p. 85, nos 50, 53-54, 151, 230, 273, 278, 306, 346, 570, 638, 651, 842, 889 (notons que cette liste n’est sans doute pas complète : notre esquisse étant décrite comme huile sur toile). 4Entre 1846 et 1855. 5Actuel quai Anatole France. 6Vue du quai d’Orsay, 1852, huile sur toile, 27 × 41 cm, Bagnères-de-Bigorre, musée des Beaux-Arts Salies, don d’Achille Jubinal en 1853, inv. 853-1-169 (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 91, n° 92 ; et Victorine Hefting, Jongkind, sa vie, son œuvre, son époque, Paris, 1975, p. 89, n° 106 ; Vue du Quai d’Orsay, 1854, huile sur toile, 43,8 × 66 cm, New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 2001.652 (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 101, n° 130 ; Asher Ethan Miller et Sophie Scully, « The Pont Neuf : A Paris View by Johan Barthold Jongkind Reconsidered », Metropolitan Museum Journal, vol. L, 2015, p. 179-193). 7Exposition générale des beaux-arts, 1854. Catalogue explicatif, cat. exp. Bruxelles, 1854, p. 69, n° 529, Vue du Quai d’Orsay, à Paris ; Exposition universelle de 1855. Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie et architecture des artistes vivants étrangers et français, exposés au Palais des Beaux-arts avenue Montaigne, le 15 mai 1855, cat. exp. Paris (Palais des Beaux-Arts, avenue Montaigne), 1855, p. 360, n° 3425, Vue prise du Quai d’Orsay. 8Une esquisse de la composition dans un carnet de dessin : Grue tenant un poids sur une berge devant des immeubles, graphite, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 10890, 43, fol. 21v-22r (Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 77, n° 67) ; un dessin rehaussé au lavis : Machine élévatrice sur un quai, graphite, lavis brun et aquarelle, 220 × 372 mm, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 10977, recto (ibid., p. 90, n° 111) ; Carla Gottlieb signale un troisième dessin, une aquarelle datée 1852, dont la localisation est inconnue : Carla Gottlieb, « Observations on Johan-Barthold Jongkind as a Draughtsman », Master Drawings, vol. V, n° 3, 1967, p. 300, fig. 3. 9La Fondation Custodia conserve un autre tableau, réalisé en 1853 (inv. 6879) ; il représente une vue de l’autre rive vers le pont Royal (Stein, Brame et al. 2003, op. cit. (note 3), p. 95, n° 108 ; et Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 95, n° 120). 10Voir note 8. 11Dans d’autres œuvres de cette époque, Jongkind utilisa le même procédé : Gottlieb 1967, op. cit. (note 8), p. 296-303 ; Miller et Scully 2015, op. cit. (note 6), p. 179-193. 12Voir pour différentes propositions de datation : Hefting 1975, op. cit. (note 6), p. 77, n° 67, p. 90, n° 111 et p. 93, n° 117 ; Miller et Scully 2015, op. cit. (note 6), p. 179-193. 13Sano, artiste et collectionneur, acheta des tableaux de Jongkind et soutint l’artiste financièrement. Voir Hefting [1969], op. cit. (note 2), p. 5 ; François Auffret, Johan Barthold Jongkind 1819-1891. Héritier, contemporain & précurseur. Biographie illustrée, Paris, 2004, passim ; et Martine Tissier de Mallerais, « Emmanuel Sano », Bulletin de la Société des Amis de Jongkind (1819-1891), n° 42A, 31 décembre 2011, p. 8-32. Selon son acte de décès, Benoît Emmanuel Sano, né en 1822 à Lillo (Belgique), est mort le 27 avril à Paris dans le deuxième arrondissement (acte de décès établi le 29 avril 1878, archives de Paris, cote V4E 2650, acte 432). 14Nous remercions François Auffret qui nous a signalé (lettre du 13 juin 2012) que notre esquisse à l’huile correspond probablement au tableau du n° 34 : « Quai Dorçai [sic], h. 20 c. L. 36 c. » vendu dans la vente Tableaux modernes composant la collection de M. E. S…[Sano] le 22 janvier 1855 à Paris. Même identification dans l’article de Tissier de Mallerais 2011, op. cit. (note 13), p. 18.