44. Samuel van Hoogstraten

Dordrecht 1627 – 1687 Dordrecht

Autoportrait à la fenêtre, vers 1642

Ce jeune homme aux cheveux longs, qui porte un chapeau et une veste boutonnée, est le peintre, dessinateur et écrivain Samuel van Hoogstraten1. Assis devant une fenêtre ouverte, il semble fixer le spectateur, sa plume d’oie posée sur une feuille de papier devant lui. Ce n’est toutefois pas nous qu’il regarde, mais lui-même dans le miroir. Peu après être entré en apprentissage auprès de Rembrandt van Rijn (1606-1669) en 1641, le jeune artiste a fait cet autoportrait, sans doute comme exercice de dessin dans l’atelier de son maître2. Les contours tracés avec délicatesse mais également une certaine hésitation, et les grandes mains maladroitement dessinées trahissent son peu d’expérience. On suppose que c’est Rembrandt lui-même qui a corrigé, de trois traits puissants de sa plume, le contour du bras et de l’épaule droits du modèle. Si cela est bien le cas, notre feuille offre un exemple rarissime et précoce de la manière dont Rembrandt enseignait le dessin. Nous ne connaissons qu’un très petit nombre de dessins de ses élèves comportant des traits de correction du maître, et la plupart datent du début des années 16503.

Après son apprentissage auprès de Rembrandt, Hoogstraten est retourné à Dordrecht, sa ville natale, où il fait une carrière de peintre d’histoire, de scènes de genre et de portraits. Il a dû emporter le dessin avec lui, puisqu’il s’en est servi pour une peinture, probablement faite à Dordrecht vers 16504. Elle représente l’artiste, légèrement vieilli et coiffé d’un béret, assis à une fenêtre dans un encadrement de pierre avec un volet attaché. Ben Broos a suggéré que Hoogstraten a pu retravailler le dessin en vue du tableau, en ajoutant à la composition le volet ouvert avec sa chaîne5. Il a ensuite simplifié cet élément dans la peinture, en le représentant suspendu à la verticale. La position des mains, surtout la gauche avec l’encrier, est directement reprise du dessin. En outre, il semble que Hoogstraten a mis en œuvre les corrections de Rembrandt. Dans la version peinte, le bras droit est moins allongé et plus près du corps.

Dans ses publications sur l’Autoportrait à la fenêtre, Broos n’a pas décrit l’estampe d’Ignace-Joseph de Claussin (1766-1844), reproduisant la feuille dans le même sens6. Claussin, graveur et collectionneur français de dessins hollandais et flamands, a fait plus de 200 gravures d’après les œuvres de Rembrandt et d’autres artistes. Certaines de celles-ci, dont l’autoportrait de Hoogstraten, qu’il avait acheté à la vente de Dirk Versteegh (1751-1822) en 1823, provenaient de sa propre collection. Une seconde gravure, cette fois inversée par rapport à l’original, probablement aussi produite au XIXe siècle, est apparue récemment sur le marché de l’art7. Elle semble plus proche du dessin que de la gravure de Claussin. Le graveur a ainsi littéralement copié les hachures à la pierre noire, à droite, qui semblent représenter l’ombre de la chaine projetée sur le mur à l’arrière de la composition. Claussin, interprétant librement cette partie du dessin, a gravé une corde attachée à un clou sur le mur, au lieu d’une chaîne.

Ce graveur anonyme du XIXe siècle pourrait bien être quelqu’un de l’entourage de Louis-Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892), graveur lui-même et l’un des derniers propriétaires de l’autoportrait dessiné. Passant sous silence l’attribution du XVIIIe siècle à Hoogstraten sur le dessin, il ou elle a contrefait – non sans bravade – la signature de Rembrandt dans le coin supérieur droit. MR

1Son identité a été confirmée par Ben Broos en se fondant sur deux autoportraits peints par l’artiste à La Haye, Musée Bredius, inv. 56-1946 (huile sur bois  ; 63 × 48 cm)  ; et Vienne, Musée Liechtenstein, inv. GE-107 (huile sur bois  ; 54 × 45 cm)  ; Ben Broos, «  Een onbekend ‘Zelfportret’ van de jonge Samuel van Hoogstraten  », Oud Holland, CXXV, 2012, n° 4, p. 185, fig. 4-5.

2Nous avons également connaissance de deux autoportraits par Nicolaes Maes (1643-1693), Willem Drost (1633-1659), Heyman Dullaert (1636-1684) et Arent de Gelder (1645-1727) au cours de leur apprentissage auprès de Rembrandt  ; ibid., p. 184.

3À ce sujet, voir Peter Schatborn, Bij Rembrandt in de leer. Rembrandt as teacher, cat. exp., Amsterdam, Museum Het Rembrandthuis, 1984, p. 38-43  ; et Holm Bevers, «  Drawing in Rembrandt’s workshop  », dans Holm Bevers (éd.), Drawings by Rembrandt and His Pupils : Telling the Difference, cat. exp., Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2009, p. 1-29.

4Saint-Pétersbourg, Musée de l’Hermitage, inv. ГЭ-788 (huile sur toile  ; 102 × 79 cm)  ; Ben Broos, «  The Young Samuel van Hoogstraten, Corrected by Rembrandt  », dans Thijs Weststeijn (éd.), The Universal Art of Samuel van Hoogstraten (1627-1678) : Painter, Writer, and Courtier, Amsterdam, 2013, p. 88, fig. 29  ; https://www.hermitagemuseum.org/wps/portal/hermitage/explore/artworks.

5Broos 2012, op. cit. (note 1), p. 187.

6Londres, British Museum, inv. 1847,1009.141-50 (gravure au burin  ; 162 × 163 mm)  ; Erik Hinterding et Jaco Rutgers, Rembrandt (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), 7 vol., Ouderkerk aan den IJssel, 2013, Text I, p. 58, sous le n° 40, Copies I, p. 23, repr. La gravure est exécutée sur une grande plaque, et jouxte une copie d’après une estampe de Rembrandt représentant une vieille mendiante portant une gourde.

7Vente, Paris (Binoche et Giquello), 28 juin 2017, n° 17, avec une autre estampe. Je remercie Jaco Rutgers et Bob Haboldt d’avoir porté cette estampe à ma connaissance.

8D’après la recherche d’Hélène Sécherre pour Haboldt & Co  ; Broos 2012, op. cit. (note 1), p. 190, note 6.