Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 47. Andreas Edvard Disen Modum 1845 – 1923 Modum Paysage montagneux, 1883 Originaire de Modum, commune située à quelques kilomètres de Christiania, l’actuelle Oslo, Andreas Edvard Disen fut au début des années 1870, comme ses compatriotes les Norvégiens Hans Dahl (1849–1937) et Eilif Peterssen (1852–1928), l’élève de Hans Gude (1825–1903) à l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe1. Récemment créée2, cette institution cherchait à se différencier des écoles établies à Munich et Berlin qui privilégiaient largement la peinture d’histoire. Hans Gude, formé à Düsseldorf, rassembla autour de lui des élèves internationaux et en particulier norvégiens. Ainsi, suivant la voie ouverte par l’école de Düsseldorf, l’Académie de Karlsruhe se distingua par l’étude du paysage en tant que genre à part entière3. L’enseignement de Gude, lui-même auteur de nombreux paysages4 réalisés en Norvège, se lit dans la toile de la Fondation Custodia. Il s’y déploie un panorama montagneux, thème cher à Andreas Disen comme à son maître. Il s’agit vraisemblablement du Jotunheimen5, massif du sud-ouest de la Norvège, dans lequel Disen effectua ses premiers voyages d’études6. Le spectateur peut y suivre deux voyageurs qui atteignent un sommet, marqué par la pierre blanche qui se dresse à la verticale au centre de la composition. L’arrière-plan de montagnes enneigées est traité dans un camaïeu de gris se mêlant au ciel nuageux. Ce type de composition est habituel pour l’artiste. Le Nasjonalmuseet, à Oslo, conserve un Paysage de montagne7 antérieur de quelques années à notre Paysage et qui lui est comparable. Au musée de Trondheim, un promeneur solitaire arpente un paysage similaire sur une toile datée de 18808. Notre œuvre est datée 1883, au cœur d’une période charnière pour la scène artistique norvégienne. Au début des années 1880, des protestations s’élevèrent contre la Christiania Kunstforening, puissante organisation artistique créée en 1836. Elle disposait alors du monopole d’achat et de diffusion de la peinture en Norvège. En 1881, sa politique d’acquisition fut le cœur d’une polémique mettant directement en cause Disen. En effet, le jury refusa d’acheter une œuvre de Gustav Wentzel (1859–1927), L’atelier du charpentier, déplorant son style jugé trop réaliste9, au profit d’une œuvre de Disen10. En réaction, un groupe d’artistes11 boycotta la Christiania Kunstforening et créa dès 1882, sur le modèle parisien, une exposition d’automne12. L’initiative rencontra tout de suite un grand succès et Disen rallia le mouvement ; il y exposa dès 188413. Les artistes danois sont particulièrement bien représentés dans la collection de la Fondation Custodia. Initié par Carlos van Hasselt14, ce fonds s’est étoffé sous les directorats de Mària van Berge-Gerbaud15 puis de Ger Luijten et s’est étendu aux artistes scandinaves. Des œuvres de Disen et de son compatriote Thomas Fearnley (1802–1842)16 ornent à présent les murs de l’hôtel Turgot. Marie-Liesse Choueiry 1Une photographie montrant Hans Gude et ses élèves norvégiens est conservée à Oslo, Norsk Folkemuseum, inv. NF.27080-001. 2L’Académie de Karlsruhe fut créée en 1854 sous l’impulsion de Frédéric Ier de Bade. Son premier directeur fut le peintre de paysage Johann Wilhelm Schirmer (1807–1863), lui aussi formé à Düsseldorf. 3Sur cette question et sur la création de l’académie de Karlsruhe, on lira avec profit : Nicolai Strøm-Olsen, Hans Gude. En kunstnerreise, Oslo, 2015, p. 135-141. 4À titre de comparaison, citons un Paysage de montagne (1857) de Gude qui peut être rapproché de la toile de la Fondation Custodia : huile sur toile, 106,1 × 79,5 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NG.M.00212 ; Strøm-Olsen 2015, op. cit. (note 3), p. 120, repr. Notons que l’œuvre de Gude n’est pas sans évoquer l’œuvre du père tutélaire de la peinture norvégienne, Johan Christian Dahl (1788–1857) ; voir Magne Malmanger (intr.), One Hundred Years of Norwegian Painting, cat. exp. Oslo (Nasjonalgalleriet), 1980, p. 32. 5Nous remercions Vibeke Waallann Hansen, conservateur au Nasjonalmuseet à Oslo, qui nous a précisé cette information (comm. écrite, 26 janvier 2024). 6Norsk Kunsterleksikon ; https://nkl.snl.no/Andreas_Edvard_Disen. 7Paysage de montagne, 1878, huile sur toile ; 50 × 32 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NG.M.00653. 8Haute montagne, 1880, huile sur toile, 33 × 49,5 cm, Trondheim, Trondheim kunstmuseum, inv. TKM-24-1884. 9Gustav Wentzel, L’atelier du charpentier, 1881, huile sur toile, 69 × 52,8 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NMK.2004.0340. Le jury déplorait son manque de « noblesse ». L’œuvre, dans un style naturaliste, représente un charpentier bossu dans un atelier en désordre. Voir Vibeke Waallann Hansen, Ellen J. Lerberg et Marianne Yvenes (éds.), The National Museum : Highlights. Art from Antiquity to 1945, Oslo, 2014, p. 150-151. 10En dépit de nos recherches, nous ne sommes pas parvenus à identifier cette œuvre. Nous remercions Vibeke Waallann Hansen, conservateur au Nasjonalmuseet à Oslo et Marianne Hylbak, responsable des collections du musée de Drammen pour leur aide dans nos recherches. 11Animé par Frits Thaulow (1847–1906), Christian Krohg (1852–1925) et Erik Werenskiold (1855–1938). 12Sur la création du Salon d’automne d’Oslo, voir Ingrid Lydersen Lystad, Høstutstillingen : elsket og hatet, Skald, 2003. 13Andreas Disen est identifié sur une photographie représentant les artistes exposant dès 1884 ; voir Ingrid Lydersen Lystad, Høstutstillingen : elsket og hatet, Skald, 2003, p. 20. 14Directeur de la Fondation de 1970 à 1994. Ces acquisitions furent encouragées par son amitié avec Erik Fischer, alors directeur de la Kongelige Kobberstiksamling de Copenhague. 15Quatre dessins de Johann Christian Dahl (inv. 1999-T.5 ; inv. 2008-T.6 ; inv. 2009-T.16 ; inv. 2009-T.27) et un portrait de l’artiste par son fils Siegwald Johannes Dahl (inv. 2009-T.17). 16Trois huiles sur papier de Thomas Fearnley sont conservées à la Fondation : inv. 2011-S.9, inv. 2019-S.3 et inv. 2012-S.19.
Originaire de Modum, commune située à quelques kilomètres de Christiania, l’actuelle Oslo, Andreas Edvard Disen fut au début des années 1870, comme ses compatriotes les Norvégiens Hans Dahl (1849–1937) et Eilif Peterssen (1852–1928), l’élève de Hans Gude (1825–1903) à l’Académie des Beaux-Arts de Karlsruhe1. Récemment créée2, cette institution cherchait à se différencier des écoles établies à Munich et Berlin qui privilégiaient largement la peinture d’histoire. Hans Gude, formé à Düsseldorf, rassembla autour de lui des élèves internationaux et en particulier norvégiens. Ainsi, suivant la voie ouverte par l’école de Düsseldorf, l’Académie de Karlsruhe se distingua par l’étude du paysage en tant que genre à part entière3. L’enseignement de Gude, lui-même auteur de nombreux paysages4 réalisés en Norvège, se lit dans la toile de la Fondation Custodia. Il s’y déploie un panorama montagneux, thème cher à Andreas Disen comme à son maître. Il s’agit vraisemblablement du Jotunheimen5, massif du sud-ouest de la Norvège, dans lequel Disen effectua ses premiers voyages d’études6. Le spectateur peut y suivre deux voyageurs qui atteignent un sommet, marqué par la pierre blanche qui se dresse à la verticale au centre de la composition. L’arrière-plan de montagnes enneigées est traité dans un camaïeu de gris se mêlant au ciel nuageux. Ce type de composition est habituel pour l’artiste. Le Nasjonalmuseet, à Oslo, conserve un Paysage de montagne7 antérieur de quelques années à notre Paysage et qui lui est comparable. Au musée de Trondheim, un promeneur solitaire arpente un paysage similaire sur une toile datée de 18808. Notre œuvre est datée 1883, au cœur d’une période charnière pour la scène artistique norvégienne. Au début des années 1880, des protestations s’élevèrent contre la Christiania Kunstforening, puissante organisation artistique créée en 1836. Elle disposait alors du monopole d’achat et de diffusion de la peinture en Norvège. En 1881, sa politique d’acquisition fut le cœur d’une polémique mettant directement en cause Disen. En effet, le jury refusa d’acheter une œuvre de Gustav Wentzel (1859–1927), L’atelier du charpentier, déplorant son style jugé trop réaliste9, au profit d’une œuvre de Disen10. En réaction, un groupe d’artistes11 boycotta la Christiania Kunstforening et créa dès 1882, sur le modèle parisien, une exposition d’automne12. L’initiative rencontra tout de suite un grand succès et Disen rallia le mouvement ; il y exposa dès 188413. Les artistes danois sont particulièrement bien représentés dans la collection de la Fondation Custodia. Initié par Carlos van Hasselt14, ce fonds s’est étoffé sous les directorats de Mària van Berge-Gerbaud15 puis de Ger Luijten et s’est étendu aux artistes scandinaves. Des œuvres de Disen et de son compatriote Thomas Fearnley (1802–1842)16 ornent à présent les murs de l’hôtel Turgot. Marie-Liesse Choueiry 1Une photographie montrant Hans Gude et ses élèves norvégiens est conservée à Oslo, Norsk Folkemuseum, inv. NF.27080-001. 2L’Académie de Karlsruhe fut créée en 1854 sous l’impulsion de Frédéric Ier de Bade. Son premier directeur fut le peintre de paysage Johann Wilhelm Schirmer (1807–1863), lui aussi formé à Düsseldorf. 3Sur cette question et sur la création de l’académie de Karlsruhe, on lira avec profit : Nicolai Strøm-Olsen, Hans Gude. En kunstnerreise, Oslo, 2015, p. 135-141. 4À titre de comparaison, citons un Paysage de montagne (1857) de Gude qui peut être rapproché de la toile de la Fondation Custodia : huile sur toile, 106,1 × 79,5 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NG.M.00212 ; Strøm-Olsen 2015, op. cit. (note 3), p. 120, repr. Notons que l’œuvre de Gude n’est pas sans évoquer l’œuvre du père tutélaire de la peinture norvégienne, Johan Christian Dahl (1788–1857) ; voir Magne Malmanger (intr.), One Hundred Years of Norwegian Painting, cat. exp. Oslo (Nasjonalgalleriet), 1980, p. 32. 5Nous remercions Vibeke Waallann Hansen, conservateur au Nasjonalmuseet à Oslo, qui nous a précisé cette information (comm. écrite, 26 janvier 2024). 6Norsk Kunsterleksikon ; https://nkl.snl.no/Andreas_Edvard_Disen. 7Paysage de montagne, 1878, huile sur toile ; 50 × 32 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NG.M.00653. 8Haute montagne, 1880, huile sur toile, 33 × 49,5 cm, Trondheim, Trondheim kunstmuseum, inv. TKM-24-1884. 9Gustav Wentzel, L’atelier du charpentier, 1881, huile sur toile, 69 × 52,8 cm, Oslo, Nasjonalmuseet, inv. NMK.2004.0340. Le jury déplorait son manque de « noblesse ». L’œuvre, dans un style naturaliste, représente un charpentier bossu dans un atelier en désordre. Voir Vibeke Waallann Hansen, Ellen J. Lerberg et Marianne Yvenes (éds.), The National Museum : Highlights. Art from Antiquity to 1945, Oslo, 2014, p. 150-151. 10En dépit de nos recherches, nous ne sommes pas parvenus à identifier cette œuvre. Nous remercions Vibeke Waallann Hansen, conservateur au Nasjonalmuseet à Oslo et Marianne Hylbak, responsable des collections du musée de Drammen pour leur aide dans nos recherches. 11Animé par Frits Thaulow (1847–1906), Christian Krohg (1852–1925) et Erik Werenskiold (1855–1938). 12Sur la création du Salon d’automne d’Oslo, voir Ingrid Lydersen Lystad, Høstutstillingen : elsket og hatet, Skald, 2003. 13Andreas Disen est identifié sur une photographie représentant les artistes exposant dès 1884 ; voir Ingrid Lydersen Lystad, Høstutstillingen : elsket og hatet, Skald, 2003, p. 20. 14Directeur de la Fondation de 1970 à 1994. Ces acquisitions furent encouragées par son amitié avec Erik Fischer, alors directeur de la Kongelige Kobberstiksamling de Copenhague. 15Quatre dessins de Johann Christian Dahl (inv. 1999-T.5 ; inv. 2008-T.6 ; inv. 2009-T.16 ; inv. 2009-T.27) et un portrait de l’artiste par son fils Siegwald Johannes Dahl (inv. 2009-T.17). 16Trois huiles sur papier de Thomas Fearnley sont conservées à la Fondation : inv. 2011-S.9, inv. 2019-S.3 et inv. 2012-S.19.