53. Melchior Lorck

Flensburg 1526/1527 – après 1583 Copenhague

Portrait d’Albrecht Dürer, 1550

Ce portrait posthume d’Albrecht Dürer (1471–1528), gravé par Melchior Lorck pendant ses années de formation, témoigne de son admiration pour le maître de Nuremberg1. Lorck le réalisa en 1550, alors qu’il travailla brièvement dans cette ville, l’un des plus importants centres pour la gravure et l’édition de livres2.

Lorck s’inspira d’un médaillon de 1520 sculpté par Hans Schwarz (1492–1550)3. Dürer est représenté strictement de profil, affichant ses traits distinctifs, dont un nez dominant et une barbe aux ondulations méticuleusement entretenues, soulignant ainsi la mâchoire carrée. Tout cela contribue à lui donner une expression quelque peu sévère. Les yeux légèrement proéminents mais droits, sous des sourcils arqués, et les vêtements finement détaillés ajoutent à l’effet saisissant de l’effigie. L’élément le plus intriguant de ce portrait est toutefois la crinière volumineuse et bouclée, rappelant son Autoportrait à la fourrure de 15004. L’inscription en latin sur une feuille de papier fixée sous le buste en trompe-l’œil est un éloge de l’artiste et de ses dons artistiques5.

Le portrait de Lorck a été réalisé dans un contexte artistique où la réception de l’art de Dürer commençait à jouer un rôle majeur dans sa ville natale et bien au-delà. Pour le jeune artiste, cet hommage à son illustre prédécesseur aurait également été l’occasion de montrer sa virtuosité technique et d’exprimer ses propres ambitions artistiques6.

Peu d’informations sur les débuts de Lorck nous sont parvenues. Selon ses propres dires, il avait été formé par un orfèvre de Lübeck qui lui apprit l’art de la gravure et de l’eau-forte. Après de brefs séjours à Nuremberg et Augsbourg, Lorck voyagea en Italie et dans les Pays-Bas. En 1555, il se rendit à Constantinople avec la suite du diplomate néerlandais Ogier Ghiselin de Busbecq (1522–1592), ambassadeur du Saint-Empire. Il fixa ses impressions de l’Empire ottoman dans des dessins, probablement dans l’intention de les publier plus tard sous forme d’illustrations dans une étude sur les coutumes turques. Bien que cette « publication turque » soit restée inachevée, les dessins et gravures réalisées d’après ceux-ci constituent une source d’information précieuse sur la société turco-ottomane contemporaine7.

Nora Belmadani

1Erik Fischer, Melchior Lorck, Copenhague, 2009, vol. I, p. 75. L’influence d’Albrecht Dürer (1471–1528) est présente dès les premières œuvres gravées de Lorck, datant des années 1540. De 1546 date une copie en sens inverse du Saint Jérôme au désert (Bartsch n° 59 ; Fischer n° 1546,1). Pour son portrait de Martin Luther (1483–1546), daté 1548, Lorck semble s’être inspiré du célèbre portrait d’Érasme (vers 1466/1449–1536) par Dürer (Bartsch n° 107 ; Fischer n° 1548,1).

2Il est possible que Lorck ait été présent à Nuremberg dès 1549. L’artiste peut y être localisé avec certitude en 1550-1551, sur la base d’inscriptions manuscrites sur quelques gravures et dessins qui mentionnent l’année et le lieu ; voir Fischer 2009, op. cit. (note 1), vol. I, p. 75.

3Dürer avait probablement lui-même commandé le portrait en médaillon à Schwarz ; voir Giulia Bartrum, Albrecht Dürer and his Legacy. The Graphic Work of a Renaissance Artist, cat. exp. Londres (The British Museum), 2002, n° 7. Un spécimen en bronze se trouve à Londres, The British Museum, inv. 1875,1004.11.

4Albrecht Dürer, Autoportrait à vingt-huit ans, portant un manteau avec col en fourrure, 1500, Munich, Alte Pinakothek, inv. 537.

5« Comme celui à qui les déesses apolloniques ont accordé leurs dons, / comme celui que la sage Minerve a fait sortir de son giron. / Tel il était, beau de visage et de cheveux, / il vécut cinq ans multipliés par dix plus six. / Sur l’effigie d’Albrecht Dürer. », d’après la traduction anglaise publiée dans Bartrum 2002, op. cit. (note 3), n° 14.

6Parmi les copies du XVIe siècle mentionnées dans Robert Zijlma, Hollstein’s German Engravings, Etchings and Woodcuts 1400-1700, Amsterdam, 1978, vol. XXII, p. 196, au n° 21 comme d’après l’estampe de Lorck, trois semblent plutôt reproduire le médaillon de Schwarz. Une quatrième, également circulaire, paraît combiner des éléments de ce dernier de la gravure de Lorck.

7Entre 1565 et 1576, 128 gravures sur bois basées sur les dessins de Lorck ont été réalisées. La publication est restée inachevée ; néanmoins, une version abrégée fut publiée à Anvers en 1574. Pour la genèse de la « publication turque », voir Fischer 2009, op. cit. (note 1), vol. I, p. 130-138, vol. III, p. 7-20.