Accueil Catalogues en ligne Art sur papier. Acquisitions récentes 55. Édouard Manet Paris 1832 – 1883 Paris Recueil de lettres à Félix Bracquemond Avant son apparition récente, cette correspondance n’était connue qu’à travers la publication partielle de neuf de ces lettres dans Le Figaro du 29 septembre 1923 (reprise, avec analyse et commentaire, par Jean-Paul Bouillon en 1983). Elle se révéla beaucoup plus importante, comptant quarante-trois lettres et billets de Manet, reliés dans un ordre arbitraire, sans doute à la demande d’un collectionneur. L’intervention de celui-ci doit remonter à 1938, année de la mort du relieur, ou avant. La plupart des missives sont de brefs messages ou des rendez-vous, malheureusement rarement datés, et elles attestent un contact intensif entre les deux artistes pendant de longues années1. Manet et Félix Bracquemond (1833-1914) ont dû faire connaissance autour de 1860, lorsque le premier entrevoyait déjà les avantages que pourrait offrir l’art de l’estampe pour la diffusion de ses œuvres. Dès 1862, Manet fit éditer, avec l’aide de Bracquemond, son recueil intitulé 8 Gravures à l’eau-forte par Édouard Manet2. Le graveur a sans doute stimulé l’intérêt de son confrère pour l’eau-forte, notamment par ses avis experts concernant la morsure et l’impression des planches – un sujet fréquemment abordé dans les lettres3. La technique de l’eau-forte était prônée par Charles Baudelaire, car plus libre que la gravure au burin. Elle connaissait un grand essor auprès des artistes, des amateurs et bientôt du public, grâce aux estampes éditées par la toute nouvelle Société des Aquafortistes. En mai 1862, Bracquemond et Manet figuraient parmi les fondateurs de cette société. Pour le lancement de la première livraison mensuelle (toujours de cinq estampes), la première et la quatrième planche furent réalisées respectivement par Bracquemond et Manet4. L’année suivante, en octobre 1863, Manet livra sa seconde et dernière planche pour la Société, tirée d’après son portrait de la danseuse Lola de Valence5. Parmi les missives contenues dans notre recueil, beaucoup concernent des rendez-vous dans son atelier, dans des cafés fréquentés par les artistes – le café de Bade ou le Guerbois – ou pour des dîners chez les Manet ou chez Madame Manet mère. Trois – peut-être les plus précoces de la série – concernent le portrait en pastel de Manet que Bracquemond exposa au Salon de 18646. Du mois de juillet de la même année date une lettre écrite lors du séjour de Manet à Boulogne, dans laquelle il raconte sa visite du Kearsarge, bateau américain ancré devant la côte, qui sortait de la bataille en pleine mer que Manet venait de représenter dans un tableau7. L’affinité des deux artistes apparaît peut-être de la façon la plus éloquente à travers deux longues lettres écrites lors du séjour de Manet à Arcachon – où il recouvre la santé après les privations du siège de Paris en 1870, en attendant la fin de la Commune –, dans lesquelles il s’épanche au sujet de la situation politique de la France8. Encore en 1880 Manet, souffrant et en cure à Bellevue dans la banlieue parisienne, adressa à Bracquemond deux de ses fameuses lettres aquarellées, œuvres d’art à part entière qui malheureusement ont été séparées de la série depuis longtemps9. Le recueil se termine sur deux lettres de parents de l’artiste : la première du frère de l’artiste, Eugène Manet (1833-1892), demandant en 1876 des conseils sur la céramique pour sa belle-sœur, Yves Pontillon, née Morisot (1838-1893), la seconde de sa veuve, Suzanne Manet (1830-1906), qui félicite Bracquemond pour sa décoration, peut-être la nomination d’Officier de la Légion d’Honneur qu’il reçut en 188910. HB 1Jean-Paul Bouillon prépare une édition critique du recueil nouvellement apparu. 2Marcel Guérin, L’œuvre gravé de Manet, Paris, 1944, nos 7-9, 16-17, 25-27, 32, repr. ; Juliet Wilson-Bareau dans Françoise Cachin, Charles S. Moffett et Michel Melot (éd.), Manet 1832-1883, cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, et New York, The Metropolitan Museum of Art, 1983, cat. nos 45, et 7, 9, 11, 25, 35-37, repr. Pour les estampes de Manet, voir aussi Michel Melot, « Manet et l’estampe », dans ibid., p. 35-39. 3Pour Bracquemond, voir Jean-Paul Bouillon, « Bracquemond, Auguste-Joseph (gen. Félix) », dans Allgemeines Künstlerlexikon. Die bildenden Künstler aller Zeiten und Völker, vol. XIII, Munich et Leipzig 1996, p. 517-519 ; et Jean-Paul Bouillon, « Félix(-Auguste-Joseph) Bracquemond », dans Jane Turner (éd.), The Dictionary of Art, 34 vol., Londres et New York, vol. III, 1996, p. 625-617, tous les deux avec bibliographie ; pour ses rapports avec Manet voir aussi Jean-Paul Bouillon, « Manet vu par Bracquemond », Revue de l’art, XXVII, 1975, p. 37-45. 4Il s’agit de L’Inconnu de Bracquemond (Jean Laran et Jean Adhémar, Bibliothèque nationale, département des Estampes. Inventaire du fonds français après 1800, 14 vol., Paris, 1942-1968, vol. III, p. 367, n° 158 ; Jean-Paul Bouillon, Félix Bracquemond, 1833-1914, graveur et céramiste, cat. exp., Vevey, Cabinet cantonal des estampes, et Gingins, Fondation Neumann, 2004, cat. n° 12, repr.) et de Les Gitans de Manet (Guérin 1944, op. cit. (note 2), n° 21, repr. ; Wilson-Bareau 1983, op. cit. (note 2), cat. n° 48, repr.). 5Guérin 1944, op. cit. (note 2), n° 23, repr. ; Wilson-Bareau 1983, op. cit. (note 2), cat. n° 52, repr. 6Paris, collection particulière (pastel ; environ 60,5 × 46 cm) ; Bouillon 1975, op. cit. (note 3), pl. 1. Pour les lettres, voir Jean-Paul Bouillon, « Les lettres de Manet à Bracquemond », Gazette des beaux-arts, CI, 1983, p. 147-148, nos 1-3 ; Juliet Wilson-Bareau, Manet par lui-même, Paris, 1991, p. 30. 7Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 149, n° 4 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit, (note 6), p. 31. Pour ce tableau, au Philadelphia Museum of Fine Art, John G. Johnson Collection, inv. cat. 1027 (huile sur toile ; 137,8 × 128,9 cm) ; https://www.philamuseum.org/collections/search.html ; Juliet Wilson-Bareau et David C. Degener, Manet and the American Civil War. The Battle of the U.S.S.« Kearsarge » and C.S.S.« Alabama », cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2003, fig. 21. Sa visite lui inspira par la suite un autre tableau, Le Kearsarge à Boulogne, New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1999.442 (huile sur toile ; 81.6 × 100 cm) ; ibid. fig. 30 ; https://www.metmuseum.org/art/collection. 8Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 150-151, nos 9-10 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit. (note 6), p. 160-161 ; Samuel Rodary (éd.), Édouard Manet. Correspondance du siège de Paris et de la Commune, 1870-1871, Paris, 2014, nos 60, 62. 9Vente, Londres (Christie’s), 8 février 2007, nos 515-516 ; Jean Guiffrey, Lettres illustrées d’Édouard Manet, Paris, 1929, p. 7-8, pl. xxi-xxii ; Denis Rouart et Daniel Wildenstein, Édouard Manet, catalogue raisonné, 2 vol., Lausanne et Paris, 1975, vol. II, nos 581-582, repr. ; Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 152-153 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit. (note 6), p. 257, fig. 200. 10Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 153, n° 12. La lettre est pourtant datée d’un 29 mai, tandis que Bracquemond n’obtint sa nomination qu’en octobre de cette année.
Avant son apparition récente, cette correspondance n’était connue qu’à travers la publication partielle de neuf de ces lettres dans Le Figaro du 29 septembre 1923 (reprise, avec analyse et commentaire, par Jean-Paul Bouillon en 1983). Elle se révéla beaucoup plus importante, comptant quarante-trois lettres et billets de Manet, reliés dans un ordre arbitraire, sans doute à la demande d’un collectionneur. L’intervention de celui-ci doit remonter à 1938, année de la mort du relieur, ou avant. La plupart des missives sont de brefs messages ou des rendez-vous, malheureusement rarement datés, et elles attestent un contact intensif entre les deux artistes pendant de longues années1. Manet et Félix Bracquemond (1833-1914) ont dû faire connaissance autour de 1860, lorsque le premier entrevoyait déjà les avantages que pourrait offrir l’art de l’estampe pour la diffusion de ses œuvres. Dès 1862, Manet fit éditer, avec l’aide de Bracquemond, son recueil intitulé 8 Gravures à l’eau-forte par Édouard Manet2. Le graveur a sans doute stimulé l’intérêt de son confrère pour l’eau-forte, notamment par ses avis experts concernant la morsure et l’impression des planches – un sujet fréquemment abordé dans les lettres3. La technique de l’eau-forte était prônée par Charles Baudelaire, car plus libre que la gravure au burin. Elle connaissait un grand essor auprès des artistes, des amateurs et bientôt du public, grâce aux estampes éditées par la toute nouvelle Société des Aquafortistes. En mai 1862, Bracquemond et Manet figuraient parmi les fondateurs de cette société. Pour le lancement de la première livraison mensuelle (toujours de cinq estampes), la première et la quatrième planche furent réalisées respectivement par Bracquemond et Manet4. L’année suivante, en octobre 1863, Manet livra sa seconde et dernière planche pour la Société, tirée d’après son portrait de la danseuse Lola de Valence5. Parmi les missives contenues dans notre recueil, beaucoup concernent des rendez-vous dans son atelier, dans des cafés fréquentés par les artistes – le café de Bade ou le Guerbois – ou pour des dîners chez les Manet ou chez Madame Manet mère. Trois – peut-être les plus précoces de la série – concernent le portrait en pastel de Manet que Bracquemond exposa au Salon de 18646. Du mois de juillet de la même année date une lettre écrite lors du séjour de Manet à Boulogne, dans laquelle il raconte sa visite du Kearsarge, bateau américain ancré devant la côte, qui sortait de la bataille en pleine mer que Manet venait de représenter dans un tableau7. L’affinité des deux artistes apparaît peut-être de la façon la plus éloquente à travers deux longues lettres écrites lors du séjour de Manet à Arcachon – où il recouvre la santé après les privations du siège de Paris en 1870, en attendant la fin de la Commune –, dans lesquelles il s’épanche au sujet de la situation politique de la France8. Encore en 1880 Manet, souffrant et en cure à Bellevue dans la banlieue parisienne, adressa à Bracquemond deux de ses fameuses lettres aquarellées, œuvres d’art à part entière qui malheureusement ont été séparées de la série depuis longtemps9. Le recueil se termine sur deux lettres de parents de l’artiste : la première du frère de l’artiste, Eugène Manet (1833-1892), demandant en 1876 des conseils sur la céramique pour sa belle-sœur, Yves Pontillon, née Morisot (1838-1893), la seconde de sa veuve, Suzanne Manet (1830-1906), qui félicite Bracquemond pour sa décoration, peut-être la nomination d’Officier de la Légion d’Honneur qu’il reçut en 188910. HB 1Jean-Paul Bouillon prépare une édition critique du recueil nouvellement apparu. 2Marcel Guérin, L’œuvre gravé de Manet, Paris, 1944, nos 7-9, 16-17, 25-27, 32, repr. ; Juliet Wilson-Bareau dans Françoise Cachin, Charles S. Moffett et Michel Melot (éd.), Manet 1832-1883, cat. exp., Paris, Galeries nationales du Grand Palais, et New York, The Metropolitan Museum of Art, 1983, cat. nos 45, et 7, 9, 11, 25, 35-37, repr. Pour les estampes de Manet, voir aussi Michel Melot, « Manet et l’estampe », dans ibid., p. 35-39. 3Pour Bracquemond, voir Jean-Paul Bouillon, « Bracquemond, Auguste-Joseph (gen. Félix) », dans Allgemeines Künstlerlexikon. Die bildenden Künstler aller Zeiten und Völker, vol. XIII, Munich et Leipzig 1996, p. 517-519 ; et Jean-Paul Bouillon, « Félix(-Auguste-Joseph) Bracquemond », dans Jane Turner (éd.), The Dictionary of Art, 34 vol., Londres et New York, vol. III, 1996, p. 625-617, tous les deux avec bibliographie ; pour ses rapports avec Manet voir aussi Jean-Paul Bouillon, « Manet vu par Bracquemond », Revue de l’art, XXVII, 1975, p. 37-45. 4Il s’agit de L’Inconnu de Bracquemond (Jean Laran et Jean Adhémar, Bibliothèque nationale, département des Estampes. Inventaire du fonds français après 1800, 14 vol., Paris, 1942-1968, vol. III, p. 367, n° 158 ; Jean-Paul Bouillon, Félix Bracquemond, 1833-1914, graveur et céramiste, cat. exp., Vevey, Cabinet cantonal des estampes, et Gingins, Fondation Neumann, 2004, cat. n° 12, repr.) et de Les Gitans de Manet (Guérin 1944, op. cit. (note 2), n° 21, repr. ; Wilson-Bareau 1983, op. cit. (note 2), cat. n° 48, repr.). 5Guérin 1944, op. cit. (note 2), n° 23, repr. ; Wilson-Bareau 1983, op. cit. (note 2), cat. n° 52, repr. 6Paris, collection particulière (pastel ; environ 60,5 × 46 cm) ; Bouillon 1975, op. cit. (note 3), pl. 1. Pour les lettres, voir Jean-Paul Bouillon, « Les lettres de Manet à Bracquemond », Gazette des beaux-arts, CI, 1983, p. 147-148, nos 1-3 ; Juliet Wilson-Bareau, Manet par lui-même, Paris, 1991, p. 30. 7Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 149, n° 4 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit, (note 6), p. 31. Pour ce tableau, au Philadelphia Museum of Fine Art, John G. Johnson Collection, inv. cat. 1027 (huile sur toile ; 137,8 × 128,9 cm) ; https://www.philamuseum.org/collections/search.html ; Juliet Wilson-Bareau et David C. Degener, Manet and the American Civil War. The Battle of the U.S.S.« Kearsarge » and C.S.S.« Alabama », cat. exp., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2003, fig. 21. Sa visite lui inspira par la suite un autre tableau, Le Kearsarge à Boulogne, New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1999.442 (huile sur toile ; 81.6 × 100 cm) ; ibid. fig. 30 ; https://www.metmuseum.org/art/collection. 8Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 150-151, nos 9-10 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit. (note 6), p. 160-161 ; Samuel Rodary (éd.), Édouard Manet. Correspondance du siège de Paris et de la Commune, 1870-1871, Paris, 2014, nos 60, 62. 9Vente, Londres (Christie’s), 8 février 2007, nos 515-516 ; Jean Guiffrey, Lettres illustrées d’Édouard Manet, Paris, 1929, p. 7-8, pl. xxi-xxii ; Denis Rouart et Daniel Wildenstein, Édouard Manet, catalogue raisonné, 2 vol., Lausanne et Paris, 1975, vol. II, nos 581-582, repr. ; Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 152-153 ; Wilson-Bareau 1991, op. cit. (note 6), p. 257, fig. 200. 10Bouillon 1983, op. cit. (note 6), p. 153, n° 12. La lettre est pourtant datée d’un 29 mai, tandis que Bracquemond n’obtint sa nomination qu’en octobre de cette année.