62. Raphaël Sadeler I (d’après Joos van Winghe)

Anvers 1561 – vers 1632 Munich

La Richesse engendre la folie, 1588

Cette gravure représente des personnifications et leurs attributs symbolisant les mauvais comportements des personnes qui vivent dans l’opulence1. Un roi richement vêtu, gardant son argent dans un grand coffre, symbolise la Richesse. Ses oreilles d’âne, symbole de stupidité, réfèrent au roi Midas : lorsque celui-ci fut autorisé à faire un vœu, il souhaita que tout ce qu’il touchait se transforme en or, l’empêchant alors même de manger2. Par conséquent, la table ne montre que de l’argenterie, pas de plats opulents. C’est aussi la raison pour laquelle la personnification de la Folie, reconnaissable à sa marotte et à son bonnet de bouffon, coiffe le roi d’un même bonnet. Elle a en outre sur sa tête une couronne de papier, comme celle portée par la personne désignée par le sort pour régner sur les autres, en famille, le jour de l’Épiphanie3. La Folie est donc le véritable souverain de l’assemblée. La compagne du roi, Lascivia (la lascivité), est caractérisée par des vêtements somptueux, un petit chien de race, une boîte à bijoux et un luth4. Son mode de vie lui vaut une bourse bien remplie grâce à son impudence, symbolisée par le singe qui lui montre son derrière5. Mais lorsque Lascivité se regarde dans le miroir, elle se voit comme une vieille femme portant elle aussi un bonnet de bouffon et elle se rend compte que les plaisirs terrestres sont vains. Son serviteur à tête de sanglier représente Gula (la gloutonnerie)6. L’autre servante est mordue au bras par un oiseau et symbolise le sens du toucher7.

Le titre de la gravure STVLTITIAM PATIVNTVR OPES La Richesse engendre la folie »), est tiré de la devise d’un emblème de Johannes Sambucus de 1564 critiquant les personnes nouvellement enrichies qui utilisent leur argent pour des choses frivoles8. Cette leçon est également exprimée dans le vers latin du troisième état de l’estampe : la richesse conduit à une vie débridée et à des désirs insatiables ; celui qui croit qu’une vie de luxe rend heureux est un fou.

Joos van Winghe (1542–1603), auteur de la composition d’après laquelle a été gravée cette estampe, dut quitter Anvers après le siège de la ville en 1585 en raison de ses convictions protestantes. En 1588, il acquit la citoyenneté de Francfort-sur-le-Main et commença à collaborer avec son compatriote Raphaël Sadeler I. La même année, ils conçurent d’autres allégories moralisantes, visant à divertir mais aussi à mettre en garde leurs contemporains9.

Ilja M. Veldman

1Bien que la marge inférieure soit vide, notre exemplaire ne constitue pas une épreuve d’essai, car au moins seize autres exemplaires du même état sont connus. Une épreuve d’essai portant uniquement la signature « R. Sadeler fec ; et excud. » se trouve à Barcelone. Le troisième état comporte un vers latin de six lignes et est présent dans au moins neuf collections d’arts graphiques ; Isabelle de Ramaix, The Illustrated Bartsch, vol. LXXI, part I (supplément), New York, 2006, n° 169.

2Ovide, Métamorphoses, livre XI, vers 100-145.

3Anke A. van Wagenberg-ter Hoeven, Het Driekoningenfeest. De uitbeelding van een populair thema in de beeldende kunst van de zeventiende eeuw, Amsterdam, 1997, p. 29-56. Voir la gravure Janvier de Crispijn de Passe I d’après Maarten de Vos : Christiaan Schuckman, Hollstein’s Dutch & Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts 1450-1700, Rotterdam, 1995, vol. XLIV, n° 1442 et ibid., vol. XLVI, p. 217, repr.

4Voir la gravure Lascivia (1592) de Raphaël Sadeler I d’après Maarten de Vos : ibid., vol. XLIV, n° 1220 et vol. XLVI, p. 133, repr.

5Cesare Ripa, trad. par Dirck Pietersz. Pers, Iconologia of uytbeeldinghe des verstands, [1644], introd. Jochen Becker, Soest, 1971, p. 361.

6Voir la gravure Gula de Crispijn de Passe I d’après Maarten de Vos : Schuckman 1995, op. cit. (note 3), n° 1214 et ibid., vol. XLVI, p. 131, repr.

7Pour la tradition dans l’art graphique anversois depuis 1561 de représenter le toucher avec un oiseau mordant le bras de la personnification, voir Carl Nordenfalk, « The Five Senses in Flemish art before 1600 », dans Görel Cavalli-Björkman (dir.), Netherlandish Mannerism. Papers given at a Symposium in Nationalmuseum Stockholm, September 21-22, 1984, Stockholm, 1985, p. 135-154.

8Johannes Sambucus, Emblemata, Anvers, 1564 ; Arthur Henkel, Albrecht Schöne, Emblemata. Handbuch zur Sinnbildkunst des XVI. und XVII. Jahrhunderts, Stuttgart, 1967, cols. 1281-1282.

9Konrad Renger, « Joos van Winghes “Nachtbancket met een mascarade” und verwandte Darstellungen », Jahrbuch der Berliner Museen, vol. XIV, 1972, p. 161-193.