Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 63. Gillis van Breen I (d’après Cornelis IJsbrantsz. Kussens) ? 1560 – 1602/1612 Haarlem Jeune couple jouant de la musique (allégorie du mariage) Parmi les nombreuses estampes dont Ger Luijten a enrichi la collection de la Fondation Custodia, un certain nombre lui étaient particulièrement chères car il en avait présenté les exemplaires du Rijksmuseum dans son Mirror of Everyday Life (« Miroir du quotidien ») dédié aux gravures de genre des Pays-Bas. Pour cette exposition et son catalogue, qui firent date dans l’histoire de l’art, Ger Luijten s’était associé à Eddy de Jongh, grand spécialiste de l’iconographie néerlandaise. C’est ce dernier qui rédigea la notice consacrée au Jeune couple jouant de la musique, œuvre sans doute la plus aboutie du buriniste de Haarlem Gillis van Breen. L’artiste était certainement proche du célèbre Hendrick Goltzius (1558–1617) car ce dernier ne fit pas moins de quatre portraits de lui (trois dessins et une gravure en clair-obscur1). Un document le désigne même comme le superviseur de l’impression des estampes de l’illustre graveur2. Contrairement à nombre des estampes représentant les relations amoureuses dans Mirror of Everyday Life3, ce jeune couple jouant de la musique évoque l’harmonie de la vie conjugale lorsque la femme se conforme à ce que lui dicte son époux, ainsi que l’affirme la lettre de l’estampe composée par Theodoor Schrevelius (1572–1649)4. Le thème traité ici par l’auteur et le graveur leur a peut-être été soufflé par Karel van Mander (1548–1606), le « Vasari néerlandais », lui aussi citoyen de Haarlem et fournisseur de dessins pour des projets d’estampes réalisées par Gillis van Breen. Ce dernier ne pouvait ignorer que Van Mander avait longuement commenté la gravure de Lucas van Leyden (1494–1533) représentant deux époux âgés jouant ensemble de la musique dans le texte qu’il avait consacré à la vie de l’artiste5. Cette œuvre bien antérieure (datée 1524) ne possède pas de texte et Van Mander nota qu’elle « semble inspirée du philosophe Plutarque qui remarque que, dans le mariage, la parole du mari doit dominer, de même que la plus longue corde de l’instrument le plus grand produit le son le plus puissant6 ». Dans leur représentation du couple, Van Breen et l’artiste Cornelis Kussens (?–1618), qui lui en avait fourni le dessin, ne se sont pas tant attachés à illustrer le rapport de domination qu’implique cette conception du mariage inspirée de l’Antiquité aujourd’hui tout à fait dépassée. Ils insistent au contraire sur l’harmonie dans le couple grâce à la subtile description qu’ils donnent des regards amoureux qu’échangent les époux. L’estampe de Van Breen conserve ainsi une grande actualité en nous offrant une image universelle de l’amour partagé. Cécile Tainturier 1Marijn Schapelhouman, « Een nieuw-ontdekt portret van Gillis van Breen, getekend door Hendrick Goltzius », Bulletin van het Rijksmuseum, n° 48, 2000, p. 150-156, passim. 2« kunstdrucker » ; voir Huigen Leeflang et Ger Luijten (dir.), Hendrick Goltzius (1558-1617). Drawings, Prints and Paintings, cat. exp. Amsterdam (Rijksmuseum), New York (The Metropolitan Museum), Toledo (The Toledo Museum of Art), 2003-2004., p. 152-153, n° 47 et fig. 47.2. 3La plupart sont en effet satiriques ou grivoises. 4Le poète et humaniste venait d’être nommé recteur de l’école latine de Haarlem en 1600, date autour de laquelle Van Breen créa sa gravure. Voir Eddy de Jongh dans Eddy de Jongh et Ger Luijten, Mirror of Everyday Life. Genreprints in the Netherlands 1550-1700, cat. exp. Amsterdam (Rijksmuseum), 1997, n° 12, note 7. 5Eddy de Jongh avait déjà relevé l’affinité des sujets entre les estampes de Van Breen et de Lucas van Leyden mais n’en concluait pas pour autant que Van Mander, qui connaissait très bien Goltzius et Van Breen, ait pu suggérer le thème au graveur. Voir ibid., p. 96. 6Karel van Mander, The Lives of the Illustrious Netherlandish and German Painters, éd. de Hessel Miedema, Doornspijk, 1994-1999, vol. I, p. 114.
Parmi les nombreuses estampes dont Ger Luijten a enrichi la collection de la Fondation Custodia, un certain nombre lui étaient particulièrement chères car il en avait présenté les exemplaires du Rijksmuseum dans son Mirror of Everyday Life (« Miroir du quotidien ») dédié aux gravures de genre des Pays-Bas. Pour cette exposition et son catalogue, qui firent date dans l’histoire de l’art, Ger Luijten s’était associé à Eddy de Jongh, grand spécialiste de l’iconographie néerlandaise. C’est ce dernier qui rédigea la notice consacrée au Jeune couple jouant de la musique, œuvre sans doute la plus aboutie du buriniste de Haarlem Gillis van Breen. L’artiste était certainement proche du célèbre Hendrick Goltzius (1558–1617) car ce dernier ne fit pas moins de quatre portraits de lui (trois dessins et une gravure en clair-obscur1). Un document le désigne même comme le superviseur de l’impression des estampes de l’illustre graveur2. Contrairement à nombre des estampes représentant les relations amoureuses dans Mirror of Everyday Life3, ce jeune couple jouant de la musique évoque l’harmonie de la vie conjugale lorsque la femme se conforme à ce que lui dicte son époux, ainsi que l’affirme la lettre de l’estampe composée par Theodoor Schrevelius (1572–1649)4. Le thème traité ici par l’auteur et le graveur leur a peut-être été soufflé par Karel van Mander (1548–1606), le « Vasari néerlandais », lui aussi citoyen de Haarlem et fournisseur de dessins pour des projets d’estampes réalisées par Gillis van Breen. Ce dernier ne pouvait ignorer que Van Mander avait longuement commenté la gravure de Lucas van Leyden (1494–1533) représentant deux époux âgés jouant ensemble de la musique dans le texte qu’il avait consacré à la vie de l’artiste5. Cette œuvre bien antérieure (datée 1524) ne possède pas de texte et Van Mander nota qu’elle « semble inspirée du philosophe Plutarque qui remarque que, dans le mariage, la parole du mari doit dominer, de même que la plus longue corde de l’instrument le plus grand produit le son le plus puissant6 ». Dans leur représentation du couple, Van Breen et l’artiste Cornelis Kussens (?–1618), qui lui en avait fourni le dessin, ne se sont pas tant attachés à illustrer le rapport de domination qu’implique cette conception du mariage inspirée de l’Antiquité aujourd’hui tout à fait dépassée. Ils insistent au contraire sur l’harmonie dans le couple grâce à la subtile description qu’ils donnent des regards amoureux qu’échangent les époux. L’estampe de Van Breen conserve ainsi une grande actualité en nous offrant une image universelle de l’amour partagé. Cécile Tainturier 1Marijn Schapelhouman, « Een nieuw-ontdekt portret van Gillis van Breen, getekend door Hendrick Goltzius », Bulletin van het Rijksmuseum, n° 48, 2000, p. 150-156, passim. 2« kunstdrucker » ; voir Huigen Leeflang et Ger Luijten (dir.), Hendrick Goltzius (1558-1617). Drawings, Prints and Paintings, cat. exp. Amsterdam (Rijksmuseum), New York (The Metropolitan Museum), Toledo (The Toledo Museum of Art), 2003-2004., p. 152-153, n° 47 et fig. 47.2. 3La plupart sont en effet satiriques ou grivoises. 4Le poète et humaniste venait d’être nommé recteur de l’école latine de Haarlem en 1600, date autour de laquelle Van Breen créa sa gravure. Voir Eddy de Jongh dans Eddy de Jongh et Ger Luijten, Mirror of Everyday Life. Genreprints in the Netherlands 1550-1700, cat. exp. Amsterdam (Rijksmuseum), 1997, n° 12, note 7. 5Eddy de Jongh avait déjà relevé l’affinité des sujets entre les estampes de Van Breen et de Lucas van Leyden mais n’en concluait pas pour autant que Van Mander, qui connaissait très bien Goltzius et Van Breen, ait pu suggérer le thème au graveur. Voir ibid., p. 96. 6Karel van Mander, The Lives of the Illustrious Netherlandish and German Painters, éd. de Hessel Miedema, Doornspijk, 1994-1999, vol. I, p. 114.