Accueil Catalogues en ligne Art sur papier. Acquisitions récentes 74. Wallerant Vaillant Lille 1623 – 1677 Amsterdam Memento Mori, vers 1660-1675 Wallerant Vaillant effectue son apprentissage auprès du peintre anversois Erasme Quellin II (1607-1678) en 1639, avant de débuter sa carrière de portraitiste aux Pays-Bas. Ses fréquents déplacements l’amènent à côtoyer l’élite européenne, qu’il portraiture ad vivum, souvent à la pierre noire ou au pastel1. La place donnée aux arts graphiques – et principalement à la gravure – au sein de sa production a longtemps éclipsé son œuvre peint2, avant que la thèse de Nadine Rogeaux ne réévalue la personnalité artistique du Lillois dans tous ses aspects. Vaillant s’initie à la gravure en manière noire auprès du prince Rupert, comte palatin, qu’il rencontre en 16543 Cette technique révolutionnaire n’en était alors qu’à ses débuts4 et devait bientôt acquérir, grâce à l’artiste, ses lettres de noblesse. Rompu aux effets de sfumato et de clair-obscur, qu’il obtient dans ses portraits en fondant à l’estompe la pierre noire et la craie blanche, Vaillant trouve dans ce procédé un vecteur d’interprétation et de diffusion de ses talents graphiques. Il utilise dès lors le dessin comme étape préparatoire à ses gravures en manière noire5. Cette technique de gravure tonale met à sa disposition une grande variété de demi-teintes ainsi que des noirs intenses et vibrants qui confèrent aux objets une matérialité surprenante. La virtuosité de Vaillant s’exprime ici notamment par le jeu subtil d’alternance entre surfaces convexes – la rondeur du crâne, les volumes du chandelier – et concaves – les orbites oculaires, la niche. Les possibilités de modulation de la lumière qu’offre la manière noire permettent au graveur de créer une atmosphère nocturne, évocatrice de l’art d’Adam Elsheimer (1578-1610), des caravagesques d’Utrecht ou de Rembrandt6. Le premier exemple de vanité représentée sous la forme d’une nature-morte est traditionnellement attribué à Jacques de Gheyn le Jeune (1565-1629)7. Cependant, c’est probablement dans l’art de Bartholomäus Bruyn l’Ancien (vers 1493-1553/57) qu’il faut chercher l’origine du motif de la niche cintrée abritant un crâne8. Contrairement au tableau de De Gheyn, qui possède une tonalité édifiante et morale assumée – incarnée par les figures de Démocrite et Héraclite – la composition de Vaillant retient l’attention par son extrême dépouillement, qui incite à la méditation. Le crâne, tourné de trois-quarts, repose sur un livre fermé, dont le bord semble s’avancer hors du champ pictural. Ce jeu visuel, fréquent dans les natures-mortes hollandaises du Siècle d’or – notamment les tables servies – accentue le caractère illusionniste9 de la représentation. Véritable tour de force technique, une mince volute de fumée s’élève de la chandelle tout juste soufflée et se détache sur le fond noir de la niche. Si la nature-morte, d’une manière générale, demeure un sujet assez inhabituel en gravure dans les Pays-Bas du nord aux XVIe et XVIIe siècles, les vanités constituent néanmoins un sous-genre relativement bien représenté. Au sein de la production gravée de Wallerant Vaillant, cependant, ce sujet est un exemple unique10, puisque son corpus est constitué presque exclusivement de portraits, scènes religieuses et mythologiques, scènes de genre, et gravures d’interprétation. MNG 1Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677) : portraitiste à la pierre noire et au pastel », Gazette des Beaux-Arts, CXLIII, 2001, p. 251-265. 2Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677), portraitiste hollandais », Revue du Nord, LXXXIV, 2002, n° 344, p. 25. 3Ibid., note 2. 4Joachim von Sandrart mentionne Ludwig von Siegen comme l’inventeur de cette technique, et le prince Rupert comme son continuateur ; Simon Turner, « Sandrart’s Life of Wallerant Vaillant and the Early History of Mezzotint Printmaking », dans Susanne Meurer (éd.), Die Künstler der "Teutschen Academie" von Joachim von Sandrart, Turnhout, 2015, p. 300 et note 22. La première gravure en manière noire connue de Von Siegen est le portrait d’Amelie Elisabeth von Hessen, daté de 1642. 5Rogeaux 2001, op. cit. (note 1), p. 263. 6Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677). Premier spécialiste de la gravure en manière noire », Nouvelles de l’Estampe, CLXXVII, 2001, p. 25. 7New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1974.1 (huile sur panneau ; 82,6 × 54 cm) ; I. Q. van Regteren Altena, Jacques De Gheyn : Three Generations, 3 vol., La Haye, 1983, vol. I, p. 84–85, 177, note 14, vol. II, p. 15, 38, 130, 142, n° 11, vol. III, pl. 3 Onno ter Kuile, Seventeenth-century North Netherlandish Still Lifes, La Haye, 1985, p. 32-33, 35, fig. 11 ; https://www.metmuseum.org/art/collection/search. 8Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, inv. ГЭ-5197 (huile sur toile ; 37 × 30 cm) ; S. Ackley, Printmaking in the Age of Rembrandt, cat. exp., Boston, Museum of Fine Arts Boston, 1981, p. 274. 9Les recherches de Wallerant Vaillant sur le rendu illusionniste s’expriment aussi en peinture, au travers de ses nombreux trompe-l’œil, notamment le Trompe-l’œil avec lettres et ustensiles d’écriture, 1658, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, inv. Gal.-Nr. 1232 (huile sur papier marouflé sur toile ; 51,5 × 40,5 cm) ; Miriam Milman, Le trompe-l’œil : les illusions de la réalité, Genève, 1992, p. 74 ; https://skd-online-collection.skd.museum. 10Vaillant a exécuté une reprise dans le même sens de ce motif, de dimensions plus réduites (176 × 130 mm) ; F. W. H. Hollstein, Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, ca. 1450-1700, 72 vol., Amsterdam etc., 1949-2010, vol. XXXI, p. 162, n° 158.
Wallerant Vaillant effectue son apprentissage auprès du peintre anversois Erasme Quellin II (1607-1678) en 1639, avant de débuter sa carrière de portraitiste aux Pays-Bas. Ses fréquents déplacements l’amènent à côtoyer l’élite européenne, qu’il portraiture ad vivum, souvent à la pierre noire ou au pastel1. La place donnée aux arts graphiques – et principalement à la gravure – au sein de sa production a longtemps éclipsé son œuvre peint2, avant que la thèse de Nadine Rogeaux ne réévalue la personnalité artistique du Lillois dans tous ses aspects. Vaillant s’initie à la gravure en manière noire auprès du prince Rupert, comte palatin, qu’il rencontre en 16543 Cette technique révolutionnaire n’en était alors qu’à ses débuts4 et devait bientôt acquérir, grâce à l’artiste, ses lettres de noblesse. Rompu aux effets de sfumato et de clair-obscur, qu’il obtient dans ses portraits en fondant à l’estompe la pierre noire et la craie blanche, Vaillant trouve dans ce procédé un vecteur d’interprétation et de diffusion de ses talents graphiques. Il utilise dès lors le dessin comme étape préparatoire à ses gravures en manière noire5. Cette technique de gravure tonale met à sa disposition une grande variété de demi-teintes ainsi que des noirs intenses et vibrants qui confèrent aux objets une matérialité surprenante. La virtuosité de Vaillant s’exprime ici notamment par le jeu subtil d’alternance entre surfaces convexes – la rondeur du crâne, les volumes du chandelier – et concaves – les orbites oculaires, la niche. Les possibilités de modulation de la lumière qu’offre la manière noire permettent au graveur de créer une atmosphère nocturne, évocatrice de l’art d’Adam Elsheimer (1578-1610), des caravagesques d’Utrecht ou de Rembrandt6. Le premier exemple de vanité représentée sous la forme d’une nature-morte est traditionnellement attribué à Jacques de Gheyn le Jeune (1565-1629)7. Cependant, c’est probablement dans l’art de Bartholomäus Bruyn l’Ancien (vers 1493-1553/57) qu’il faut chercher l’origine du motif de la niche cintrée abritant un crâne8. Contrairement au tableau de De Gheyn, qui possède une tonalité édifiante et morale assumée – incarnée par les figures de Démocrite et Héraclite – la composition de Vaillant retient l’attention par son extrême dépouillement, qui incite à la méditation. Le crâne, tourné de trois-quarts, repose sur un livre fermé, dont le bord semble s’avancer hors du champ pictural. Ce jeu visuel, fréquent dans les natures-mortes hollandaises du Siècle d’or – notamment les tables servies – accentue le caractère illusionniste9 de la représentation. Véritable tour de force technique, une mince volute de fumée s’élève de la chandelle tout juste soufflée et se détache sur le fond noir de la niche. Si la nature-morte, d’une manière générale, demeure un sujet assez inhabituel en gravure dans les Pays-Bas du nord aux XVIe et XVIIe siècles, les vanités constituent néanmoins un sous-genre relativement bien représenté. Au sein de la production gravée de Wallerant Vaillant, cependant, ce sujet est un exemple unique10, puisque son corpus est constitué presque exclusivement de portraits, scènes religieuses et mythologiques, scènes de genre, et gravures d’interprétation. MNG 1Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677) : portraitiste à la pierre noire et au pastel », Gazette des Beaux-Arts, CXLIII, 2001, p. 251-265. 2Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677), portraitiste hollandais », Revue du Nord, LXXXIV, 2002, n° 344, p. 25. 3Ibid., note 2. 4Joachim von Sandrart mentionne Ludwig von Siegen comme l’inventeur de cette technique, et le prince Rupert comme son continuateur ; Simon Turner, « Sandrart’s Life of Wallerant Vaillant and the Early History of Mezzotint Printmaking », dans Susanne Meurer (éd.), Die Künstler der "Teutschen Academie" von Joachim von Sandrart, Turnhout, 2015, p. 300 et note 22. La première gravure en manière noire connue de Von Siegen est le portrait d’Amelie Elisabeth von Hessen, daté de 1642. 5Rogeaux 2001, op. cit. (note 1), p. 263. 6Nadine Rogeaux, « Wallerant Vaillant (1623-1677). Premier spécialiste de la gravure en manière noire », Nouvelles de l’Estampe, CLXXVII, 2001, p. 25. 7New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 1974.1 (huile sur panneau ; 82,6 × 54 cm) ; I. Q. van Regteren Altena, Jacques De Gheyn : Three Generations, 3 vol., La Haye, 1983, vol. I, p. 84–85, 177, note 14, vol. II, p. 15, 38, 130, 142, n° 11, vol. III, pl. 3 Onno ter Kuile, Seventeenth-century North Netherlandish Still Lifes, La Haye, 1985, p. 32-33, 35, fig. 11 ; https://www.metmuseum.org/art/collection/search. 8Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, inv. ГЭ-5197 (huile sur toile ; 37 × 30 cm) ; S. Ackley, Printmaking in the Age of Rembrandt, cat. exp., Boston, Museum of Fine Arts Boston, 1981, p. 274. 9Les recherches de Wallerant Vaillant sur le rendu illusionniste s’expriment aussi en peinture, au travers de ses nombreux trompe-l’œil, notamment le Trompe-l’œil avec lettres et ustensiles d’écriture, 1658, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister, inv. Gal.-Nr. 1232 (huile sur papier marouflé sur toile ; 51,5 × 40,5 cm) ; Miriam Milman, Le trompe-l’œil : les illusions de la réalité, Genève, 1992, p. 74 ; https://skd-online-collection.skd.museum. 10Vaillant a exécuté une reprise dans le même sens de ce motif, de dimensions plus réduites (176 × 130 mm) ; F. W. H. Hollstein, Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, ca. 1450-1700, 72 vol., Amsterdam etc., 1949-2010, vol. XXXI, p. 162, n° 158.