76. Maria Katharina Prestel (d’après Jacopo Ligozzi)

Nuremberg 1747 – 1794 Londres

Le Triomphe de la Vérité sur la Jalousie, 1781

Dans le sillage des chiaroscuri italiens du XVIe siècle imitant les dessins au lavis, le développement au XVIIIe siècle de nouvelles techniques de gravure et d’impression en couleurs, telles que la manière de crayon et l’aquatinte, eut un impact sans précédent sur la diffusion de dessins de maîtres conservés alors en mains privées. Le couple Prestel – Johann Theophilus (1739–1808) et Maria Katharina – se spécialisa tout particulièrement dans la reproduction à l’aquatinte de suites de dessins provenant de cabinets particuliers, montées en albums luxueux1.

Notre estampe, magistrale interprétation d’un dessin de Jacopo Ligozzi (1547–1626)2, figure dans le troisième recueil exécuté par les Prestel, dit le «  Kleines Kabinett  », sous le numéro 24. Il fut longtemps difficile de départager les estampes de Maria Katharina de celles de Johan Theophilus. Néanmoins, l’auteur du récent catalogue raisonné de l’œuvre de Maria Katharina Prestel lui a restitué de nombreuses estampes qui sont signées du nom de Johann Theophilus dans les trois recueils auxquels ils ont collaboré, dont notre gravure3. Formée par son mari à l’art délicat de l’aquatinte, Maria Katharina a ainsi contribué de manière significative aux ambitieuses entreprises éditoriales initiées par ce dernier.

Le procédé mis en œuvre par l’artiste pour restituer toute la subtilité du dessin de Ligozzi est un véritable tour de force technique. Maria Katharina Prestel eut ainsi recours à deux plaques, tirées successivement sur une même feuille. Sur la première, elle grava le trait à l’eau-forte et posa l’aquatinte pour l’impression des tons imitant le lavis, avant de l’encrer en brun. Sur la seconde, elle incisa les hachures destinées à recevoir les rehauts d’or, appliqua sur sa plaque une préparation fixative à l’ocre et à l’huile et la passa sous presse4. Enfin, elle appliqua sur le tirage ainsi obtenu de la feuille d’or, adhérant sélectivement aux lignes imprimées au moyen de cette base. La parfaite correspondance des plaques, ainsi que la qualité d’impression des lignes rehaussées d’or, s’observent avec une constance remarquable sur les tirages conservés de l’estampe5. Ces indices démontrent la totale maîtrise par l’artiste d’un procédé complexe qu’elle est parvenue à appliquer à la création d’un multiple.

Cette œuvre est une addition majeure au très riche fonds d’estampes en couleurs – principalement des gravures sur bois en chiaroscuri – que possède la Fondation Custodia, et dont Frits Lugt, fasciné par la virtuosité de cette technique, avait entamé très tôt la collection.

Marie-Noëlle Grison

1Dessins des meilleurs peintres d’Italie, d’Allemagne, et des Pays-Bas, du cabinet de Monsieur Paul de Praun à Nuremberg. Gravés d’après les originaux de même grandeur par Jean Théophile Prestel peintre et membre de l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, Nuremberg, 1780 ; Dessins des meilleurs peintres des Païs-Bas, d’Allemagne et d’Italie du cabinet de Monsieur Gérard Joachim Schmidt à Hamburg, Vienne, 1779-1782 et Dessins des meilleurs Peintres d’Italie, d’Allemagne, et des Pays-Bas, Tirés de divers célèbres cabinets, Francfort-sur-le-Main, 1782-1785. Cette initiative trouvait un précédent célèbre dans le Recueil Crozat (1729-1742) ; Claudia Schwaighofer, Von der Kennerschaft zur Wissenschaft. Reproduktionsgraphische Mappenwerke nach Zeichnungen in Europa, 1726-1857, Berlin et Munich, 2009, p. 263-268.

2L’exemplaire de l’album conservé au Rijksmuseum d’Amsterdam (inv. GF 381 B 18) présente, au verso de l’estampe, une mention gravée sur une bande de papier collée en plein indiquant la provenance du dessin – « E. Museo Prauniano » – et l’auteur de l’estampe – « M. Cath. Prestel sc. Norimb. 1781 ». Le dessin se trouvait donc toujours à cette époque dans la collection laissée par le collectionneur nurembergeois Paulus Praun II (1548–1616), dont les Prestel avaient déjà publié une partie du cabinet dans leur première suite gravée (voir note 1). Il fait aujourd’hui partie des collections de l’Albertina de Vienne, inv. 1658 (plume et encre brune, lavis brun, rehauts d’or, 301 × 230 mm ; Veronika Birke et Janine Kertész, Die italienischen Zeichnungen der Albertina, Vienne, vol. II, 1994, p. 879.

3Claudia Schwaighofer, Das Druckgraphische Werk der Maria Catharina Prestel, mémoire de Master, Ludwig-Maximilians-Universität, 3 vols., Munich, 2003, vol. I, p. 74-76, vol. II, n° 17. Pour une discussion sur l’attribution des œuvres aux époux Prestel, voir Bärbel Kovalevski (dir.), Zwischen Ideal und Wirklichkeit  : Künstlerinnen der Goethe-Zeit zwischen 1750 und 1850, cat. exp. Gotha (Schloßmuseum), 1999, p. 289 ; et Claudia Schwaighofer, «  “Eine tüchtige, ihrem Gatten helfende Frau” ? Die Grafikerin Maria Katharina Prestel  », dans Ursula Kern (dir.), Blickwechsel  : Frankfurter Frauenzimmer um 1800, cat. exp. Francfort-sur-le-Main (Historisches Museum), 2007, p. 31-39.

4Le Rijksmuseum d’Amsterdam a fait mener, en 1994, une analyse chimique de la composition de ces rehauts d’or, par le Centraal Laboratorium voor Onderzoek van Voorwerpen van Kunst en Wetenschap. L’étude a permis de conclure que l’artiste avait utilisé sur ce tirage une feuille d’or d’une épaisseur d’environ 3 μ, appliquée sur une fine couche de peinture à base d’ocre et d’huile. Cette technique était bien connue des graveurs au moins depuis le XVIe siècle, puisqu’elle fut mise en œuvre notamment par Lucas Cranach (vers 1472-1553) dans sa gravure sur bois Saint Georges et le dragon de 1507 ; Susan Dackerman, Painted Prints  : The Revelation of Color in Northern Renaissance & Baroque Engravings, Etchings and Woodcuts, Baltimore, 2002, p. 69-71.

5Citons encore les exemplaires conservés à Londres, The British Museum, inv. 1841,0612.52 et 1850,1014.537 .