78. Louis Jean Desprez

Auxerre 1743 – 1804 Stockholm

Indulgences plénières ou Mission sicilienne, 1798

Cette mise en scène par Desprez d’une parodie de procession de Vendredi Saint, avec la statue d’un saint portée dans les rues, est impressionnante : un escalier monumental flanqué de stations de chemin de Croix conduit à une église visible au milieu, sur un fond de rochers. À gauche, un aqueduc mène vers des constructions sur une montagne, et à droite des rochers avec maisons et pins ferment la composition. Sur la place, mais aussi sur l’escalier, se déroulent des processions de moines et de groupes de paysans italiens accompagnés de leurs troupeaux. Partout, on découvre des scènes grotesques et licencieuses, auxquelles des paysans armés de bâtons essayent de s’attaquer, comme à droite, où ils grimpent un escalier et un toit pour atteindre un couple allongé sur un matelas de paille.

Selon la doctrine catholique, le péché est effacé par la confession, mais ce sacrement n’enlève pas la peine temporelle due au péché, purgée sur Terre par des actes de foi et de charité. Elle peut être atténuée voire effacée par l’indulgence partielle ou plénière. La pancarte accrochée à la colonne au centre de la composition porte justement les mots « indulgence / plénière ». Voltaire avait consacré un article à l’histoire et à la critique de cette pratique dans ses Questions sur l’Encyclopédie (Genève, 1770-1772).

Desprez donna à cette composition un second titre, « Mission sicilienne », inscrit au graphite sur l’exemplaire qu’il avait offert à Carl Frederik Fredenheim (1748–1803) en 1798, et qui se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque Royale de Stockholm1. Ce titre s’explique sans doute par le fait que la composition de cette planche est basée sur une esquisse non utilisée pour le Voyage pittoresque ou description des royaumes de Naples et de Sicile, publié entre 1781 et 1786 par Jean-Claude-Richard de Saint-Non (1727–1791)2. La comparaison entre l’esquisse faite sur place en Sicile et la version agrandie et transformée, gravée à l’eau-forte, est très intéressante : le talent de Desprez comme concepteur de décor de théâtre y trouve son illustration par l’ajout de « coulisses » des deux côtés de la scène principale. Ainsi, l’effet de l’espace est augmenté et contribue à découvrir d’innombrables scènes, chacune plus amusante que la précédente.

Il existe une impression de cette composition regravée et rehaussée de couleur à l’aquatinte par Johan Fredrik Martin (1755–1816)3, mais l’eau-forte au trait fut plus souvent rehaussée à l’aquarelle par Desprez lui-même, comme c’est le cas dans notre exemplaire4.

Peter Fuhring

1Stockholm, Bibliothèque Royale, inv. D III, p. 46 ; Nils G. Wollin, Gravures originales de Desprez ou exécutées d’après ses dessins, Malmö, 1933, p. 120, n° 40, pl. 73. À part le titre, Desprez y ajouta : « Gravée par l’auteur ».

2Bâtiment de monastère avec procession de moines, plume et encre brune, sanguine, 232 × 363 mm, Stockholm, Nationalmuseum, inv. NMH 51/1874 ; Wollin 1933, op. cit. (note 1), p. 120, n° 40 ; Per Bjurström, « Louis Jean Desprez and his Sicilian Recollections », dans Villads Villadsen (dir.), European Drawings from Six Centuries. Festschrift to Erik Fischer, Copenhague, 1990, p. 70, fig. 11 (avec légende erronée) ; Magnus Olausson et Ulf Cederlöf (dir.), Louis Jean Desprez. Tecknare, Teaterkonstnär, Arkitekt, cat. exp. Stockholm (Nationalmuseum), 1992, p. 142-144, repr.

3Stockholm, Nationalmuseum. Dans cette version, la planche est signée dans la marge inférieure à gauche : « L.J. Desprez », et à droite « J.F. Martin fe ». Voir Jules Renouvier, Histoire de l’art pendant la Révolution considérée principalement dans les estampes, Paris, 1863, p. 63 ; Wollin 1933, op. cit. (note 1), p. 120, no 40, pl. 73 (au trait) ; p. 131-132, no 2, pl.74 (rehaussé à l’aquatinte par Martin).

4Il n’est pourtant pas évident de comprendre qui a apposé les couleurs sur les eaux-fortes de Desprez, et seulement dans de cas rares, il signa à la plume l’eau-forte rehaussée simplement comme « despres ».