79. Harald Slott-Møller

Copenhague 1864 – 1937 Copenhague

Interiør (Femme se coiffant), 1889

Ce dessin, finement exécuté au graphite, laisse entrevoir une jeune femme en train de se coiffer. Les voilages devant la fenêtre filtrent une lumière claire mais douce qui souligne sa figure et les objets posés devant elle sur une table.

L’inscription sur l’ancien montage, ainsi que le cachet de la Kunstforeningen au verso, nous indiquent que le dessin est lié aux loteries organisées par cette association artistique danoise1. Une fois par an, des tableaux achetés auprès des artistes furent offerts aux membres tirés au sort. L’association demandait également aux artistes de dessiner une copie de leur œuvre afin de la conserver à titre d’archive. Ces feuilles, annotées en bas ou sur le montage, portent la date de la loterie et le nom du gagnant.

Dans le cas de notre dessin, l’inscription nous apprend que le peintre Peder Severin Krøyer (1851–1909) sélectionna le tableau d’Harald Slott-Møller lors du tirage au sort du 23 février 18902. La liste des œuvres de cette loterie, publiée dans les comptes de l’association, donne le titre du tableau : Interiør Intérieur »)3.

L’histoire est également rapportée dans la correspondance entre les épouses des deux peintres, Agnes Slott-Møller (1862–1937) et Marie Krøyer (1867–1940). Celles-ci, elles-mêmes artistes, furent très proches, comme en témoignent leurs échanges épistolaires4. Le 27 janvier 1890, Agnes écrivit à Marie : « Puis, je voudrais vous informer que vous avez gagné à l’association artistique, mais peut-être le savez-vous déjà. Je voudrais juste vous recommander de choisir le tableau d’Harald, s’il n’est pas encore pris, car je serais très contente de savoir qu’il sera à vous5. » Un peu plus tard, le 9 mars 1890, Agnes lui signala que ce sont bien eux, Marie et Peder, qui ont gagné le tableau6. Peder Severin Krøyer conserva l’œuvre toute sa vie et c’est seulement après sa mort qu’elle fut mise en vente7. Sa localisation actuelle nous est inconnue.

Le dessin, seul témoignage de cette œuvre pour l’instant, n’est pas une simple copie mais une feuille achevée, d’une grande fraîcheur et d’une grande finesse. Nous ignorons qui est la femme représentée, mais l’intimité de la scène laisse supposer qu’il pourrait s’agir d’Agnes Slott-Møller. Même si ses bras cachent son visage, une certaine ressemblance est en effet visible8. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le dessin est proche d’un portrait de Marie Krøyer, peint par son mari lors de leur voyage de noces en septembre 1889, et qui porte le même titre, Interiør9. Krøyer avait-il pu voir le tableau de Slott-Møller et s’en inspirer10 ?

Rhea Sylvia Blok

1Sur la Kunstforeningen, voir l’édition en ligne de Frits Lugt, Les Marques de Collections de Dessins et d’Estampes, sous L.988c.

2Sur Harald Slott-Møller, voir Kirk Varnedoe, Northern Light. Realism and Symbolism in Scandinavian Painting 1880-1910, cat. exp. Washington (Corcoran Gallery of Art), New York (The Brooklyn Museum), Minnesota (The Minneapolis Institute of Arts), 1982-1983, p. 212-213 ; Bodil Busk Laursen, Agnes og Harald Slott-Møller. Mellem kunst og idealer, cat. exp. Copenhague (Kunstforeningen), 1988 ; Birgit Jenvold, « Harald Slott-Møller », dans Weilbach Dansk Kunstnerleksikon, 4e éd., 1994 ; Claudine Stensgaard Nielsen, « (Georg) Harald Slott-Møller », dans Jane Turner (dir.), The Dictionary of Art, New York, 1996, vol. 28, p. 847-848.

3Beretnung om Kunstforeningens Virksomhed i 1889, « bilag 60. Valg den 23de Februar 1890 », p. 6, n° 15, avec la mention du prix auquel l’association l’avait achetée, soit 800 couronnes danoises. Le tableau avait été proposé pour 1000 couronnes à l’exposition annuelle de l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague à Charlottenborg, au printemps 1889 ; Illustreret Katalog over Kunstudstillingen ved Charlottenborg, Copenhague, 1889, n° 277 ; et Fortegnelse over de ved det kongelige Akademi for de skjønne Kunster offentligt udstillede Kunstvaerker, Copenhague, 1889, n° 277, mais a dû rester invendu.

4Correspondance publiée dans Lise Svanholm, Agnes og Marie. Breve mellem Agnes Slott-Møller og Marie Krøyer 1885-1937, Copenhague, 1991.

5Ibid., p. 65.

6Ibid., p. 71.

7Vente, Copenhague (Winkel et Magnussen), 5-7 décembre 1910, n° 518. Je remercie Jan Gorm Madsen pour son aide précieuse qui m’a permis de retracer l’historique du dessin et du tableau.

8Voir le portrait qu’a fait Harald Slott-Møller de sa future femme Agnes Rambusch en 1887, Min hustru, huile sur toile, 191 × 104 cm, Toreby Lolland, Fuglsang Kunstmuseum, inv. 283 (Bodil Busk Laursen, Agnes og Harald Slott-Møller. Mellem kunst og idealer, cat. exp. Copenhague (Kunstforeningen), 1988, n° 23) ; ou encore les photographies d’Agnes reproduites dans Svanholm 1991, op. cit. (note 4) ; et dans Elisabeth Fabritius, P.S. Krøyers Fotografier / P.S. Krøyer’s Photographs, cat. exp. Copenhague (Den Hirschsprungske Samling), 1990, p. 4, fig. 40.

9Huile sur panneau, 35 × 25 cm, Copenhague, Den Hirschsprungske Samling, inv. 3086 (Marianne Saabye (dir.), Krøyer. An International Perspective, cat. exp. Copenhague (Den Hirschsprungske Samling), Skagen (Skagens Museum), 2011-2012, p. 264, n° 89). Le couple se maria le 23 juillet 1889. Le tableau fut exécuté lors de leur séjour à Stenbjerg.

10Le tableau de Slott-Møller date d’avant le printemps 1889, époque où il fut exposé à Charlottenborg (voir note 3). Krøyer, alors à l’étranger, fut de retour au Danemark à la fin du mois de juillet ; ibid., p. 331. Il est possible qu’il l’ait vu durant ce court laps de temps.