82. Anonyme (Allemagne, XVIe siècle)

Enfant regardant par la fenêtre

Une part significative des estampes vendues sur le marché aux XVIe et XVIIe siècles étaient destinées à être accrochées au mur1. Encadrées ou simplement marouflées sur un support en bois ou en textile, elles offraient une alternative bon marché aux tableaux. Cette estampe, exécutée par un graveur dont le nom nous reste inconnu, aurait pu être exécutée dans ce but2. L’effet en trompe-l’œil, renforcé par la perspective en raccourci, est plus saisissant encore quand la gravure est accrochée. L’enfant – une fillette, semble-t-il – sort la tête de l’encadrement de fenêtre et paraît sur le point de lever les yeux en direction du spectateur.

Le trompe-l’œil est un genre très apprécié depuis l’Antiquité. De tout temps, des artistes ont essayé de tromper les yeux du spectateur en imitant le plus fidèlement possible la nature de telle sorte qu’il s’illusionne pendant une fraction de seconde et prenne l’image pour la réalité. Les compositions en trompe-l’œil mettant en scène des personnages regardant par la fenêtre se trouvent surtout dans la peinture néerlandaise du XVIIe siècle. Des peintres aussi renommés que Gerrit van Honthorst, Jan Steen, Bartholomeus van der Helst et Rembrandt en ont peint3. Notre estampe est d’une facture très comparable à la Tête de vieil homme barbu regardant vers le bas de Samuel van Hoogstraten (1627-1678) de 16534. La manière dont le peintre y met à profit tout le plan de l’image, mais aussi le type de fenêtre décorée de petits carreaux ronds, présentent notamment de nombreuses similitudes.

L’Enfant regardant par la fenêtre doit toutefois avoir été gravé un demi-siècle plus tôt car le filigrane du papier apparaît également dans un exemplaire du Theatrum Terrae Sanctae et Biblicarum Historiarum (Cologne, 1593) rédigé par le prêtre et théologien de Delft, Christian Kruik van Adrichem (1533-1585)5. Il est possible que l’auteur de l’estampe soit né en Allemagne ou qu’il s’agisse d’un graveur néerlandais qui, pour des raisons religieuses, a émigré vers Cologne, alors réputée pour sa tolérance. Selon le catalogue établi par Helmut H. Rumbler, notre feuille peut être rapprochée d’une estampe de Matthias Quad von Kinkelbach (1557-1613), un graveur qui travaillait dans cette ville depuis 15876. Gravée d’après un projet de Hendrick Goltzius (1558-1617), elle représente un bouffon riant, tenant dans sa main du fil et une aiguille7. Bien que son style diffère de celui notre estampe, elle présente un certain nombre d’analogies frappantes, notamment un rendu quelque peu disproportionné de la tête et des mains aux ongles plats.

On note par ailleurs une ressemblance entre le visage rond et les longs cheveux bouclés de la fillette et une figure dans un dessin de Jacques de Gheyn le Jeune (1556-1629) conservé à Amsterdam8. Les deux compositions appellent l’attention du spectateur sur la précarité de la vie. Comme dans le dessein de De Gheyn, l’enfant de notre estampe serre une rose dans sa main, symbole de la vanité. Les perles autour de son cou et de ses poignets renvoient elles aussi à la coquetterie et à la vacuité des activités humaines. MR

1Sur le sujet voir Jan van der Waals, Prenten in de Gouden Eeuw. Van kunst tot kastpapier, cat. exp., Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen, 2006, p. 22-49.

2L’exceptionnel état de conservation du papier semble indiquer que la feuille n’a jamais été accrochée à un mur. Néanmoins, les épreuves de cette estampe étant rares, on peut supposer que ce type de gravures étaient bien accrochées mais qu’elles n’étaient pas faites pour le rester longtemps dans les maisons humides de l’époque. Selon Ger Luijten, il existe deux épreuves connues, l’une conservée à Baden-Württemberg, dans la collection Waldburg-Wolfegg, l’autre à Bruxelles, à la Bibliothèque Royale de Belgique.

3Sybille Ebert-Schifferer, Deceptions and Illusions. Five Centuries of Trompe L’œil Painting, cat. exp., Washington, National Gallery of Art, 2002-2003, p. 64

4Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. 378 (huile sur toile ; 111 × 86,5 cm) ; ibid., p. 85, fig. 8.

5Edward Heawood, Watermarks. Mainly of the 17th and 18th Centuries, Hilversum, 1950, n° 1448.

6Fenster in die Welt der Graphik, Francfort-sur-le-Main, Kunsthandlung Helmut H. Rumbler, 2013, p. 12, n° 6.

7Marjolein Leesberg, Hendrick Goltzius (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), 4 vol., Ouderkerk aan den IJssel, 2012, vol. IV, p. 151-153, n° 725, repr.

8Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-1884-A-8192 (plume et encre brune ; 169 × 129 mm) ; I.Q. van Regteren Altena, Jacques de Gheyn : Three Generations, 3 vol., La Haye, 1983, vol. II, n° 205.