Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 82. Charles Milcendeau Soullans 1872 – 1919 Soullans Portrait d’une jeune paysanne, 1907 Charles Milcendeau évolua pour l’essentiel de sa carrière entre Paris – où il fut d’abord l’élève de Jules Lefebvre (1836–1911) puis principalement de Gustave Moreau (1826–1898) – et le village de Soullans, en Vendée, où il naquit, où il aima dessiner et peindre, inlassablement, et où il mourut. C’est en gardant cette attache filiale au Marais vendéen qu’il trouva son originalité, qu’il sut étonner son maître, ses amis peintres ainsi que certains des plus fins critiques d’art de l’époque, avec ses compositions aux figures puissantes et aux regards troublants, dans lesquelles la proximité émouvante entre l’auteur et ses sujets se ressent immédiatement1. L’étude de l’œuvre de Charles Milcendeau est enrichie par les écrits d’un certain Alain Jammes d’Ayzac (1883–1950), qui fut son ami, mécène et collectionneur. Proche de l’artiste, cet écrivain était capable d’éclairer chaque œuvre d’un commentaire, d’une citation, d’un souvenir2. Ce dessin de 1907, portrait d’une jeune paysanne, rappelle sensiblement une figure évoquée par d’Ayzac, alors qu’il était le voisin de Milcendeau : « Philomène ! Philo, comme nous l’appelions tous, le joli modèle ; la petite servante maraîchine à aspect de gitane, dont les grands yeux noirs sertissaient leurs velours dans un ovale couleur d’abricot bien mûr.3 » C’est peut-être elle, ici, avec ce visage calme et ce regard qui se détourne par timidité face à un artiste qui aimait certainement dessiner tout le monde autour de lui, c’est-à-dire retenir la présence, le souffle, l’esprit de chacun de ses modèles. Il semble que c’est dans ces moments, ces entre-deux, que Charles Milcendeau atteint au plus près l’émotion qui traverse ses œuvres. L’historique de la provenance de ce dessin commence dans le cercle intime de Milcendeau, comme en témoigne la dédicace manuscrite qui se trouve sur le montage d’origine : l’artiste l’offrit au docteur Boulanger, certainement pour le remercier de ses soins et peut-être également parce qu’il connaissait le modèle. Plus tard, Édouard Sarradin (1869–1957), critique d’art et conservateur de musées, ami de Charles Milcendeau dès ses années de formation à Paris, l’acheta pour sa collection particulière, pour que les œuvres de cet artiste injustement méconnu puissent être préservées et appréciées comme il se doit. Les aléas du marché de l’art ont fait voyager cet émouvant portrait jusqu’à Londres, pour rejoindre de nouveau Paris. Ger Luijten fit entrer cet artiste dans les collections de la Fondation Custodia avec ce dessin et quatre autres, choisis au fil des années, tous empreints de cette sensibilité inestimable4. Antoine Cortes 1En 1898, pour sa première exposition individuelle dans la galerie Durand-Ruel, le critique d’art Roger Marx (1859–1913), auteur de la préface du catalogue, avait encouragé Milcendeau à montrer un ensemble de 45 dessins, dont 25 rehaussés de pastel. Gustave Geffroy (1855–1926), autre grand critique, remarqua son talent, ainsi qu’Arsène Alexandre (1859–1937). Léonce Bénédite (1859–1925), alors conservateur du musée du Luxembourg, décida de l’acquisition de plusieurs œuvres par l’État, aujourd’hui dans les collections du musée d’Orsay. 2En janvier 2022, la vente aux enchères d’une partie de la collection Alain Jammes d’Ayzac a permis de mettre en valeur, à nouveau, la beauté et la puissance des dessins de Charles Milcendeau (vente « Collection Alain Jammes d’Ayzac, un mécène vendéen », Nantes (Ivoire-Nantes, Couton-Veyrac-Jamault) 18-19 janvier 2022). 3Alain Jammes d’Ayzac, Charles Milcendeau : le maraîchin, Nantes et Paris, 1946 (rééd. 2005), p. 141. Un dessin servant de comparatif avec le nôtre est publié entre les pages 144 et 145 (collection particulière, dépôt au musée Charles Milcendeau, Soullans). 4Précisément : inv. 2017-T.19, 2017-T.20, 2023-T.106 et 2023-T.107.
Charles Milcendeau évolua pour l’essentiel de sa carrière entre Paris – où il fut d’abord l’élève de Jules Lefebvre (1836–1911) puis principalement de Gustave Moreau (1826–1898) – et le village de Soullans, en Vendée, où il naquit, où il aima dessiner et peindre, inlassablement, et où il mourut. C’est en gardant cette attache filiale au Marais vendéen qu’il trouva son originalité, qu’il sut étonner son maître, ses amis peintres ainsi que certains des plus fins critiques d’art de l’époque, avec ses compositions aux figures puissantes et aux regards troublants, dans lesquelles la proximité émouvante entre l’auteur et ses sujets se ressent immédiatement1. L’étude de l’œuvre de Charles Milcendeau est enrichie par les écrits d’un certain Alain Jammes d’Ayzac (1883–1950), qui fut son ami, mécène et collectionneur. Proche de l’artiste, cet écrivain était capable d’éclairer chaque œuvre d’un commentaire, d’une citation, d’un souvenir2. Ce dessin de 1907, portrait d’une jeune paysanne, rappelle sensiblement une figure évoquée par d’Ayzac, alors qu’il était le voisin de Milcendeau : « Philomène ! Philo, comme nous l’appelions tous, le joli modèle ; la petite servante maraîchine à aspect de gitane, dont les grands yeux noirs sertissaient leurs velours dans un ovale couleur d’abricot bien mûr.3 » C’est peut-être elle, ici, avec ce visage calme et ce regard qui se détourne par timidité face à un artiste qui aimait certainement dessiner tout le monde autour de lui, c’est-à-dire retenir la présence, le souffle, l’esprit de chacun de ses modèles. Il semble que c’est dans ces moments, ces entre-deux, que Charles Milcendeau atteint au plus près l’émotion qui traverse ses œuvres. L’historique de la provenance de ce dessin commence dans le cercle intime de Milcendeau, comme en témoigne la dédicace manuscrite qui se trouve sur le montage d’origine : l’artiste l’offrit au docteur Boulanger, certainement pour le remercier de ses soins et peut-être également parce qu’il connaissait le modèle. Plus tard, Édouard Sarradin (1869–1957), critique d’art et conservateur de musées, ami de Charles Milcendeau dès ses années de formation à Paris, l’acheta pour sa collection particulière, pour que les œuvres de cet artiste injustement méconnu puissent être préservées et appréciées comme il se doit. Les aléas du marché de l’art ont fait voyager cet émouvant portrait jusqu’à Londres, pour rejoindre de nouveau Paris. Ger Luijten fit entrer cet artiste dans les collections de la Fondation Custodia avec ce dessin et quatre autres, choisis au fil des années, tous empreints de cette sensibilité inestimable4. Antoine Cortes 1En 1898, pour sa première exposition individuelle dans la galerie Durand-Ruel, le critique d’art Roger Marx (1859–1913), auteur de la préface du catalogue, avait encouragé Milcendeau à montrer un ensemble de 45 dessins, dont 25 rehaussés de pastel. Gustave Geffroy (1855–1926), autre grand critique, remarqua son talent, ainsi qu’Arsène Alexandre (1859–1937). Léonce Bénédite (1859–1925), alors conservateur du musée du Luxembourg, décida de l’acquisition de plusieurs œuvres par l’État, aujourd’hui dans les collections du musée d’Orsay. 2En janvier 2022, la vente aux enchères d’une partie de la collection Alain Jammes d’Ayzac a permis de mettre en valeur, à nouveau, la beauté et la puissance des dessins de Charles Milcendeau (vente « Collection Alain Jammes d’Ayzac, un mécène vendéen », Nantes (Ivoire-Nantes, Couton-Veyrac-Jamault) 18-19 janvier 2022). 3Alain Jammes d’Ayzac, Charles Milcendeau : le maraîchin, Nantes et Paris, 1946 (rééd. 2005), p. 141. Un dessin servant de comparatif avec le nôtre est publié entre les pages 144 et 145 (collection particulière, dépôt au musée Charles Milcendeau, Soullans). 4Précisément : inv. 2017-T.19, 2017-T.20, 2023-T.106 et 2023-T.107.