Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 83. Léon Bonvin Vaugirard 1834 – 1866 Meudon Autoportrait, 1866 Léon Bonvin ne connut pas la même notoriété que son demi-frère, François (1817–1887), qui était un peintre réaliste estimé au XIXe siècle. Sur sa vie, de rares sources et témoignages nous sont parvenus, et la mémoire de sa carrière et de son œuvre s’est progressivement effacée1. Déjà marqué par cet artiste lors de l’exposition qui lui fut consacrée par Gabriel Weisberg en 19802, Ger Luijten avait salué les acquisitions successives faites pour la Fondation Custodia par sa prédécesseure, Mària van Berge-Gerbaud, de deux dessins de Léon Bonvin, en 2006 et en 20093. Lors de son propre directorat, il chercha à rassembler des œuvres de l’artiste, parmi lesquelles ce remarquable Autoportrait4, et initia le projet d’une exposition accompagnée d’un catalogue raisonné qui virent le jour en 2022. Forcé de consacrer ses journées au travail dans le cabaret fondé par son père à Vaugirard – une commune rurale limitrophe de la capitale –, Léon Bonvin peignit loin du regard du milieu artistique et culturel parisien. Après ses premiers dessins noirs, il se livra à la représentation, à l’aquarelle, de natures mortes de cuisine, de bouquets de fleurs champêtres simplement disposés dans un verre, de vues de la plaine de Vaugirard fourmillant de détails et d’herbes folles5. Ses œuvres sont marquées par une grande humilité et une vision sensible de son environnement immédiat où il puisait toute son inspiration. La sincérité presque naïve avec laquelle Léon Bonvin représenta la réalité de son quotidien conduisit à une expression unique dans l’art du XIXe siècle. Si les figures sont rares dans l’œuvre de Léon Bonvin, plus rares encore sont les portraits6. Particulièrement aboutie, cette aquarelle à la palette presque monochrome renvoie l’effigie d’un jeune homme de 31 ans, soigneusement vêtu, au regard direct et grave. C’est l’image que Bonvin souhaita laisser de lui-même, une dizaine de jours seulement avant qu’il ne mette fin à ses jours, dans la forêt de Meudon7. Témoignage précieux et émouvant, l’œuvre est dédicacée à son épouse, Constance Félicité8. Les raisons qui poussèrent Léon Bonvin à cet acte tragique étaient sans doute multiples et restent floues. Il était « accablé par toutes sortes de chagrins » résumait Paul Lefort9. Léon laissait derrière lui sa femme et trois enfants en bas âge. François Bonvin fit appel à la communauté artistique pour soutenir une vente de charité, dont les profits permirent de leur venir en aide. Cette vente eut lieu le 24 mai 1866 et rassembla des peintres de renom, touchés par le sort de Léon Bonvin10. Maud Guichané 1Gabriel P. Weisberg, « Notoriété et réception critique de Léon Bonvin », dans Maud Guichané et Gabriel P. Weisberg (dir.), Léon Bonvin (1834-1866). Une poésie du réel, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2022-2023, p. 49-63. 2Gabriel P. Weisberg et William R. Johnston, The Drawings and Water Colors of Léon Bonvin, cat. exp. Cleveland (The Cleveland Museum of Art), Baltimore (The Walters Art Gallery), 1980-1981. 3La Plaine de Vaugirard, 1856, pierre noire et estompe, 175 × 266 mm et Route dans la plaine de Vaugirard, 1863, plume et encre brune, aquarelle, 212 × 162 mm, respectivement inv. 2008-T.8 et 2009-T5 ; Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), n°s 18 et 45. Voir la préface de Ger Luijten dans ibid., p. 7. 4Sous son directorat, la Fondation Custodia acquit cinq dessins de Léon Bonvin, un ensemble de documents et de photographies de la famille, dont deux portraits en daguerréotype de Léon Bonvin et de son épouse (inv. 2019-T.214 et 215) et la boîte d’aquarelle de l’artiste (inv. 2019-T.213). Grâce à ces acquisitions, la Fondation Custodia conserve aujourd’hui le troisième fonds d’œuvres de Léon Bonvin au monde, après le Walters Art Museum à Baltimore, et le musée d’Orsay à Paris. 5Sur la biographie de l’artiste et sa production, voir Gabriel P. Weisberg, « Vie et carrière de Léon Bonvin », dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), p. 11-39 ; ainsi que le catalogue raisonné de ses œuvres. 6Il réalisa notamment à ses débuts, en 1856, un portrait de son père, pierre noire, 224 × 170 mm, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 1937. 7Acte de décès de Léon Bonvin, le 3 février 1866, Meudon, Archives municipales, Registre 1E221, acte n° 19 ; transcrit dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), Annexe III, p. 272-273. 8Constance Félicité Gaudon, avec qui il se maria le 6 septembre 1860. Voir l’acte de mariage, Paris, Archives départementales, Registre V4E 1812, acte n° 320 ; transcrit dans ibid., Annexe II, p. 270-271. 9Paul Lefort, « Les Artistes contemporains : Philippe Rousseau et François Bonvin », La Gazette des Beaux-Arts, 1888, vol. XXXVII, 2e période, 367e livraison, p. 145. 10Vente au profit des orphelins de Léon Bonvin, Paris (Hôtel Drouot, Boussaton), 23 mai 1866 ; transcription du catalogue de vente dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), Annexe V, p. 278-283.
Léon Bonvin ne connut pas la même notoriété que son demi-frère, François (1817–1887), qui était un peintre réaliste estimé au XIXe siècle. Sur sa vie, de rares sources et témoignages nous sont parvenus, et la mémoire de sa carrière et de son œuvre s’est progressivement effacée1. Déjà marqué par cet artiste lors de l’exposition qui lui fut consacrée par Gabriel Weisberg en 19802, Ger Luijten avait salué les acquisitions successives faites pour la Fondation Custodia par sa prédécesseure, Mària van Berge-Gerbaud, de deux dessins de Léon Bonvin, en 2006 et en 20093. Lors de son propre directorat, il chercha à rassembler des œuvres de l’artiste, parmi lesquelles ce remarquable Autoportrait4, et initia le projet d’une exposition accompagnée d’un catalogue raisonné qui virent le jour en 2022. Forcé de consacrer ses journées au travail dans le cabaret fondé par son père à Vaugirard – une commune rurale limitrophe de la capitale –, Léon Bonvin peignit loin du regard du milieu artistique et culturel parisien. Après ses premiers dessins noirs, il se livra à la représentation, à l’aquarelle, de natures mortes de cuisine, de bouquets de fleurs champêtres simplement disposés dans un verre, de vues de la plaine de Vaugirard fourmillant de détails et d’herbes folles5. Ses œuvres sont marquées par une grande humilité et une vision sensible de son environnement immédiat où il puisait toute son inspiration. La sincérité presque naïve avec laquelle Léon Bonvin représenta la réalité de son quotidien conduisit à une expression unique dans l’art du XIXe siècle. Si les figures sont rares dans l’œuvre de Léon Bonvin, plus rares encore sont les portraits6. Particulièrement aboutie, cette aquarelle à la palette presque monochrome renvoie l’effigie d’un jeune homme de 31 ans, soigneusement vêtu, au regard direct et grave. C’est l’image que Bonvin souhaita laisser de lui-même, une dizaine de jours seulement avant qu’il ne mette fin à ses jours, dans la forêt de Meudon7. Témoignage précieux et émouvant, l’œuvre est dédicacée à son épouse, Constance Félicité8. Les raisons qui poussèrent Léon Bonvin à cet acte tragique étaient sans doute multiples et restent floues. Il était « accablé par toutes sortes de chagrins » résumait Paul Lefort9. Léon laissait derrière lui sa femme et trois enfants en bas âge. François Bonvin fit appel à la communauté artistique pour soutenir une vente de charité, dont les profits permirent de leur venir en aide. Cette vente eut lieu le 24 mai 1866 et rassembla des peintres de renom, touchés par le sort de Léon Bonvin10. Maud Guichané 1Gabriel P. Weisberg, « Notoriété et réception critique de Léon Bonvin », dans Maud Guichané et Gabriel P. Weisberg (dir.), Léon Bonvin (1834-1866). Une poésie du réel, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2022-2023, p. 49-63. 2Gabriel P. Weisberg et William R. Johnston, The Drawings and Water Colors of Léon Bonvin, cat. exp. Cleveland (The Cleveland Museum of Art), Baltimore (The Walters Art Gallery), 1980-1981. 3La Plaine de Vaugirard, 1856, pierre noire et estompe, 175 × 266 mm et Route dans la plaine de Vaugirard, 1863, plume et encre brune, aquarelle, 212 × 162 mm, respectivement inv. 2008-T.8 et 2009-T5 ; Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), n°s 18 et 45. Voir la préface de Ger Luijten dans ibid., p. 7. 4Sous son directorat, la Fondation Custodia acquit cinq dessins de Léon Bonvin, un ensemble de documents et de photographies de la famille, dont deux portraits en daguerréotype de Léon Bonvin et de son épouse (inv. 2019-T.214 et 215) et la boîte d’aquarelle de l’artiste (inv. 2019-T.213). Grâce à ces acquisitions, la Fondation Custodia conserve aujourd’hui le troisième fonds d’œuvres de Léon Bonvin au monde, après le Walters Art Museum à Baltimore, et le musée d’Orsay à Paris. 5Sur la biographie de l’artiste et sa production, voir Gabriel P. Weisberg, « Vie et carrière de Léon Bonvin », dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), p. 11-39 ; ainsi que le catalogue raisonné de ses œuvres. 6Il réalisa notamment à ses débuts, en 1856, un portrait de son père, pierre noire, 224 × 170 mm, Paris, musée d’Orsay, inv. RF 1937. 7Acte de décès de Léon Bonvin, le 3 février 1866, Meudon, Archives municipales, Registre 1E221, acte n° 19 ; transcrit dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), Annexe III, p. 272-273. 8Constance Félicité Gaudon, avec qui il se maria le 6 septembre 1860. Voir l’acte de mariage, Paris, Archives départementales, Registre V4E 1812, acte n° 320 ; transcrit dans ibid., Annexe II, p. 270-271. 9Paul Lefort, « Les Artistes contemporains : Philippe Rousseau et François Bonvin », La Gazette des Beaux-Arts, 1888, vol. XXXVII, 2e période, 367e livraison, p. 145. 10Vente au profit des orphelins de Léon Bonvin, Paris (Hôtel Drouot, Boussaton), 23 mai 1866 ; transcription du catalogue de vente dans Guichané et Weisberg 2022-2023, op. cit. (note 1), Annexe V, p. 278-283.