84. Rosa Bonheur

Bordeaux 1822 – 1899 Thomery, Seine-et-Marne

Les Marécages

En 1859, grâce au succès resplendissant de sa peinture animalière, qui voyageait alors incessamment entre la France, l’Angleterre et les États-Unis, Rosa Bonheur fit l’acquisition du château de By, en Seine-et-Marne, où elle installa un atelier à la hauteur de ses ambitions. Elle put alors développer pleinement sa réflexion sur la peinture et explorer librement son art, sa passion pour les animaux ainsi que la nature environnante. Cette aquarelle non datée fut certainement exécutée aux abords de son atelier, dans les paysages qui entourent la forêt de Fontainebleau.

« Des études, j’en ai fait de toutes les espèces […]. Ce sont de vrais instruments de travail. Si je les avais lâchés pour quelques pièces d’or, je me serais condamnée à croupir dans l’oisiveté lorsque l’hiver de ma vie eut commencé.1 »

Aucun animal ne parcourt ces marécages que Rosa Bonheur fait apparaître, ici, à l’aquarelle, sur le motif. Ce paysage est empreint d’une calme sérénité malgré une palette réduite à des couleurs sombres et cependant essentielles pour évoquer pareil lieu : le noir de la boue, le vert des jeunes plantes qui tentent de croître, les bruyères aux teintes de brun, de rouge, au fil du pinceau, et les vases bleues. La réserve du papier, dans la partie supérieure, fait ressentir le ciel comme un vide qui irradie, un silence presque magnétique.

« Pour mes aquarelles […] je prépare d’abord l’effet en grisaille. Quand les valeurs sont à leur place et tous les détails bien terminés, je place les tons clairs, le ton local, etc2. »

Il semble que l’artiste ait fait venir le paysage jusqu’à elle, c’est-à-dire qu’elle ait commencé par fixer l’horizon des marécages, à hauteur du regard, pour ensuite ponctuer sa feuille de touches d’aquarelle qui deviennent de plus en plus légères, de moins en moins détaillées à mesure qu’elles se rapprochent3. Les mouvements du pinceau, au premier plan sur la droite, viennent compléter cette harmonie d’ensemble, frôlant avec l’indécis, l’abstraction, dans la liberté immédiate de l’aquarelle4.

Antoine Cortes

1La citation est complétée par cette pensée : « Chaque artiste doit consacrer une grande partie de son existence, non seulement à exercer sa main, mais à recueillir des documents sur toutes les choses qu’il voit. Ce sont les éléments de ses créations futures. En vous rappelant les sensations que vous avez éprouvées d’une façon très vive et très variée, quoique peut-être superficiellement indiquée, vous trouverez parfois dans vos esquisses de vraies inspirations. », Rosa Bonheur, Souvenirs de ma vie, Paris, 2022, p. 393-394.

2Ibid., p. 391.

3« Si l’on veut se faire une idée des beautés de la nature, il importe cependant d’étudier assez minutieusement les lointains et les deuxièmes plans. Ce n’est qu’ensuite qu’il convient d’estomper les détails en les enveloppant de leur atmosphère. C’était la méthode de Wouvermans, de Hobbema, Metsu, Van Ostade, Terburg et Berghem. J’ai tâché de la suivre. », ibid., p. 228.

4Le Raclin Murphy Museum of Art de l’University of Notre Dame, anciennement Snite Museum (Indiana, États-Unis), conserve une huile sur toile de Rosa Bonheur qui évoque un paysage semblable, aussi troublant et hors du temps que cette œuvre sur papier : Une mare boueuse, 28 × 43 cm, inv. 2009.045.053.