93. Anthonie Sallaert

Bruxelles 1594 – 1650 Bruxelles

Compagnie jouant de la musique, vers 1630-1640

À la lueur des bougies, une jeune et joyeuse compagnie s’adonne au plaisir de la musique. Son entrain est accentué par la touche virtuose d’Anthonie Sallaert, qui fit danser sa main sur le panneau et se montra par ailleurs un observateur très sensible. En quelques traits, il saisit les jeux de physionomie et les gesticulations des personnages échauffés : la femme au centre sur la droite, la bouche grande ouverte et les yeux levés au ciel, semble atteindre les notes les plus hautes, tandis que son voisin, sourcils froncés et bras levé, chante à pleins poumons.

Par un jeu ingénieux d’effets de clair-obscur et un vigoureux repoussoir, l’artiste réussit à mettre au point une composition cohérente et intime dans une palette restreinte de tons gris. L’enduit beige clair du panneau joue un rôle important pour donner un ton moyen. En y posant quelques touches de gris et rehauts de blanc, Sallaert fit par exemple par faire apparaître la robe de la femme au clavicorde, ainsi que le luth de son voisin.

Cette dextérité technique montre l’habileté de Sallaert à peindre des grisailles, forme d’expression qu’il préférait pour préparer des compositions pour des projets de tapisserie, des peintures et des estampes1. On ignore dans quel objectif l’artiste peignit cette Compagnie jouant de la musique, qui ne peut être rattachée à aucune autre de ses compositions. En revanche, on trouve parfois chez lui de petites troupes de musiciens dans des scènes à l’arrière-plan, tel le chœur angélique représenté dans une Allégorie de la vie chrétienne conservée à Hazebrouck2.

Dans l’œuvre de Sallaert, qui comprend principalement des thèmes allégoriques, historiques et religieux, une scène de genre comme celle-ci constitue une exception3. Même dans l’art flamand de son temps, ce sujet profane est relativement rare : alors que les divertissements de la « jeunesse dorée » étaient couramment représentés dans les Provinces-Unies des années 1630, les sujets purement mondains sans connotation moralisatrice sont peu fréquents dans les Pays-Bas méridionaux4.

Un dernier aspect remarquable de la composition de Sallaert est l’étendue et la diversité de l’arsenal d’instruments de musique représentés. Le xylophone, un instrument rarement illustré dans les arts visuels, fait une apparition presque exotique, dans cet ensemble5. Il faut enfin ajouter que peu de contemporains de Sallaert surent donner à des moments d’allégresse musicale une réalité aussi vivante et convaincante.

Saskia van Altena

1L’artiste choisit contre toute attente le panneau plutôt que le papier qui lui était plus habituel.

2Anthonie Sallaert, Allégorie de la vie chrétienne, Hazebrouck, musée des Augustins, inv. 95.1. Quelques musiciens apparaissent également dans une esquisse à l’huile représentant une scène de la vie de Catherine conservée à Alsemberg et dans une représentation allégorique de la collection Georges de Lastic à Paris.

3Les publications les plus importantes sur Sallaert : Marie van der Vennet, «  Le peintre bruxellois Anthonis Sallaert  », Bulletin des musées royaux des beaux-arts de Belgique, vols. 1-3, 1974-1980, p. 171-197  ; Janno van Tatenhove, «  Some Drawings and Monotypes by Anthonis Sallaert (c. 1590-1650)  », Art in Denmark (Leids Kunsthistorisch Jaarboek), Delft, 1983, p. 243-260  ; Jacques Foucart, «  Alexandre et Diogène. Une grisaille d’Anthonie Sallarts  », Bulletin des amis du musée de Rennes, vol. IV, 1980, p. 8-16. Nous ne connaissons que deux autres œuvres de l’artiste aux thèmes profanes : Le Baptême d’un enfant (vente, Londres (Bonhams Knightsbridge), 28 octobre 2009, n° 59) et La Toilette (Clermont-Ferrand, musée d’art Roger-Quilliot, inv. 2608).

4Elmer Kolfin, The Young Gentry at Play. Northern Netherlandish Scenes of Merry Companies 1610-1645, Leyde, 2005, p. 57-58. Bien que l’on trouve de nombreuses scènes de genre présentant des «  joyeuses compagnies  » dans les gravures et peintures des Pays-Bas méridionaux au cours de la période 1610-1650, elles contiennent toujours une référence biblique ou un élément allégorique. Parmi les maîtres flamands qui peignirent de telles compagnies, citons Hiëronymus Janssen (1623–1693), Willem van Herp (1614–1677), David Ryckaert III (1612–1661) et Joos van Craesbeeck (vers 1605/1606–vers 1660/1661).

5Une rare exception est le panneau Compagnie de musiciens jouant dans une auberge du monogrammiste H. C., dans lequel quelques musiciens sont placés autour d’un xylophoniste. Le panneau a été vendu à Vienne (Dorotheum), le 16 juin 2011.