Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 95. Jan Weenix Amsterdam 1641 – 1719 Amsterdam Esquisse d’un paon et de trophées de chasse, vers 1708 La nature morte de gibier était très en vogue à la fin du XVIIe siècle parmi les riches bourgeois qui pouvaient ainsi faire étalage du butin de leur prestigieux passe-temps. Que les animaux aient été tués ou non pendant une même partie de chasse, les tableaux se devaient d’illustrer la variété du gibier abattu par le chasseur : lièvres, hérons, faisans et canards pendent la tête en bas dans un décor arcadien1. Les tableaux de chasse de l’Amstellodamois Jan Weenix étaient singulièrement prisés. D’abord spécialiste de vues italiennes pour la plupart imaginaires, à l’instar de son père et maître Jan Baptist Weenix (1621–1659), il se consacra exclusivement, à partir des années 1670-1680, à la peinture de portrait et surtout aux natures mortes de chasse2. Les détails, le rendu exceptionnel des tissus et l’extrême précision avec laquelle Weenix reproduisait les plumes et les fourrures lui valurent de très nombreuses commandes et distinguaient son travail de celui de ses confrères. Dans cette esquisse à l’huile, ce n’est pas le rendu minutieux et sensible des matières qui retient l’attention, mais au contraire la facture libre et spontanée. Des coups de pinceau jaunes et d’un blanc quasi transparent ou des points noirs rapidement posés, c’est tout ce dont Weenix eut besoin pour mettre en place sa composition. Cette expressivité donne à l’esquisse une remarquable modernité ; un étonnement dont Ger Luijten fut également saisi : « J’ignorais qu’il était possible de traiter si librement la peinture dans une nature morte du XVIIe siècle et l’esquisse m’a fait penser à une œuvre de Manet3 ». Weenix réalisa cette esquisse comme une étude préparatoire pour le tableau Un paon et des trophées de chasse (1708) de la collection du musée Calouste Gulbenkian à Lisbonne4, qui reprend assez fidèlement la composition de l’esquisse. Le paon, avec son imposante queue reposant sur la branche en haut à gauche, et le cygne mort, suspendu par les pattes à l’urne en terre cuite, une aile repliée, sont reproduits à l’identique. Mais l’interaction entre le petit chien et l’oiseau en bas à gauche a été supprimée. Ce face-à-face quelque peu agressif n’était peut-être pas du goût du commanditaire. Le fait que Weenix préparait soigneusement ses tableaux ressort du nombre considérable de dessins de composition de sa main qui nous sont parvenus. Certains furent exécutés uniquement à la sanguine ou à la pierre noire, d’autres élaborés à l’aquarelle5. Une préparation comme celle-ci, à l’huile, est beaucoup plus rare ; on ne connaît que deux autres exemplaires6. Il est possible que ce genre d’esquisses à l’huile aient été destinées à être montrées à un commanditaire7. Maud van Suylen 1Sur la représentation, réaliste ou non, des scènes de chasse, vue sous l’angle de nos connaissances de l’histoire de la pratique de la chasse, voir Emilie den Tonkelaar, « Jachttaferelen en wildstillevens uit de zeventiende eeuw opnieuw bekeken », dans Charles Dumas, Rudi Ekkart et Carla van de Puttelaar (éds.), Connoisseurship. Essays in Honour of Fred G. Meijer, Leyde, 2020, p. 323-333. 2Anke A. van Wagenberg-Ter Hoeven, Weenix, Father and Son. A Story of Versatility, Success and Bankruptcy in Seventeenth-Century Holland, vol. II, Jan Weenix. The Paintings. Master of the Dutch Hunting Still Life, Zwolle, 2018, p. 31-35. 3Ger Luijten, « Acquisitions : le XVIIe siècle à l’honneur », E-News Fondation Custodia, n° 12, septembre 2019. 4Jan Weenix, Un paon et des trophées de chasse, 1708, huile sur toile, 200 × 195 cm, inv. 454 ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), n° 153. 5Par exemple, Trophées de chasse, avec un lièvre mort et un chien de garde, Leyde, Bibliothèque universitaire, inv. PK-T-AW-887 ; Chiens et chasseur auprès d’un renard tué, Hambourg, Hamburger Kunsthalle, inv. 22045 ; Gibier mort, un singe, un chien, et des oiseaux, Rijksmuseum, Amsterdam, inv. RP-T-1898-A-3518. 6Jan Weenix, Trophées de chasse dans un paysage de parc, huile sur toile, 20 × 27 cm, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum, acquis en 1983 ; Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), p. 47, fig. 49, p. 224, repr., p. 268 ; utilisé pour des tableaux à Leipzig, Museum der bildendenden Künste, inv. G 1617 (daté de 1697), et Munich, Alte Pinakothek, inv. 541 (daté de 1708) ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), nos 123 et 155. Et Trophée de chasse au lièvre, perdraux gris et coq de bruyère, huile sur toile, 21 × 21 cm, vente, Rouen (Normandy Auction), 9 mars 2024, n° 85) ; utilisé pour le tableau à Paris, musée du Louvre, inv. 1937 (daté de 1696) ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, ibid., n° 121. 7Ger Luijten, « Recent acquisitions (2012-20) at the Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris », The Burlington Magazine, vol. CLXIII, février 2021, p. 201.
La nature morte de gibier était très en vogue à la fin du XVIIe siècle parmi les riches bourgeois qui pouvaient ainsi faire étalage du butin de leur prestigieux passe-temps. Que les animaux aient été tués ou non pendant une même partie de chasse, les tableaux se devaient d’illustrer la variété du gibier abattu par le chasseur : lièvres, hérons, faisans et canards pendent la tête en bas dans un décor arcadien1. Les tableaux de chasse de l’Amstellodamois Jan Weenix étaient singulièrement prisés. D’abord spécialiste de vues italiennes pour la plupart imaginaires, à l’instar de son père et maître Jan Baptist Weenix (1621–1659), il se consacra exclusivement, à partir des années 1670-1680, à la peinture de portrait et surtout aux natures mortes de chasse2. Les détails, le rendu exceptionnel des tissus et l’extrême précision avec laquelle Weenix reproduisait les plumes et les fourrures lui valurent de très nombreuses commandes et distinguaient son travail de celui de ses confrères. Dans cette esquisse à l’huile, ce n’est pas le rendu minutieux et sensible des matières qui retient l’attention, mais au contraire la facture libre et spontanée. Des coups de pinceau jaunes et d’un blanc quasi transparent ou des points noirs rapidement posés, c’est tout ce dont Weenix eut besoin pour mettre en place sa composition. Cette expressivité donne à l’esquisse une remarquable modernité ; un étonnement dont Ger Luijten fut également saisi : « J’ignorais qu’il était possible de traiter si librement la peinture dans une nature morte du XVIIe siècle et l’esquisse m’a fait penser à une œuvre de Manet3 ». Weenix réalisa cette esquisse comme une étude préparatoire pour le tableau Un paon et des trophées de chasse (1708) de la collection du musée Calouste Gulbenkian à Lisbonne4, qui reprend assez fidèlement la composition de l’esquisse. Le paon, avec son imposante queue reposant sur la branche en haut à gauche, et le cygne mort, suspendu par les pattes à l’urne en terre cuite, une aile repliée, sont reproduits à l’identique. Mais l’interaction entre le petit chien et l’oiseau en bas à gauche a été supprimée. Ce face-à-face quelque peu agressif n’était peut-être pas du goût du commanditaire. Le fait que Weenix préparait soigneusement ses tableaux ressort du nombre considérable de dessins de composition de sa main qui nous sont parvenus. Certains furent exécutés uniquement à la sanguine ou à la pierre noire, d’autres élaborés à l’aquarelle5. Une préparation comme celle-ci, à l’huile, est beaucoup plus rare ; on ne connaît que deux autres exemplaires6. Il est possible que ce genre d’esquisses à l’huile aient été destinées à être montrées à un commanditaire7. Maud van Suylen 1Sur la représentation, réaliste ou non, des scènes de chasse, vue sous l’angle de nos connaissances de l’histoire de la pratique de la chasse, voir Emilie den Tonkelaar, « Jachttaferelen en wildstillevens uit de zeventiende eeuw opnieuw bekeken », dans Charles Dumas, Rudi Ekkart et Carla van de Puttelaar (éds.), Connoisseurship. Essays in Honour of Fred G. Meijer, Leyde, 2020, p. 323-333. 2Anke A. van Wagenberg-Ter Hoeven, Weenix, Father and Son. A Story of Versatility, Success and Bankruptcy in Seventeenth-Century Holland, vol. II, Jan Weenix. The Paintings. Master of the Dutch Hunting Still Life, Zwolle, 2018, p. 31-35. 3Ger Luijten, « Acquisitions : le XVIIe siècle à l’honneur », E-News Fondation Custodia, n° 12, septembre 2019. 4Jan Weenix, Un paon et des trophées de chasse, 1708, huile sur toile, 200 × 195 cm, inv. 454 ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), n° 153. 5Par exemple, Trophées de chasse, avec un lièvre mort et un chien de garde, Leyde, Bibliothèque universitaire, inv. PK-T-AW-887 ; Chiens et chasseur auprès d’un renard tué, Hambourg, Hamburger Kunsthalle, inv. 22045 ; Gibier mort, un singe, un chien, et des oiseaux, Rijksmuseum, Amsterdam, inv. RP-T-1898-A-3518. 6Jan Weenix, Trophées de chasse dans un paysage de parc, huile sur toile, 20 × 27 cm, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum, acquis en 1983 ; Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), p. 47, fig. 49, p. 224, repr., p. 268 ; utilisé pour des tableaux à Leipzig, Museum der bildendenden Künste, inv. G 1617 (daté de 1697), et Munich, Alte Pinakothek, inv. 541 (daté de 1708) ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, op. cit. (note 2), nos 123 et 155. Et Trophée de chasse au lièvre, perdraux gris et coq de bruyère, huile sur toile, 21 × 21 cm, vente, Rouen (Normandy Auction), 9 mars 2024, n° 85) ; utilisé pour le tableau à Paris, musée du Louvre, inv. 1937 (daté de 1696) ; Van Wagenberg-Ter Hoeven 2018, ibid., n° 121. 7Ger Luijten, « Recent acquisitions (2012-20) at the Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris », The Burlington Magazine, vol. CLXIII, février 2021, p. 201.