96. Jacob van Loo

L’Écluse 1614 – Paris 1670

Diane et ses compagnes découvrant la grossesse de Callisto

Originaire de L’Écluse, dans les Flandres zélandaises, Jacob van Loo se forma à Amsterdam et s’y établit avec succès. Il y résida jusqu’en 1661, date à laquelle, sous le joug d’une condamnation à mort1, il quitta brutalement les Provinces-Unies pour Paris. À Amsterdam, sa capacité à s’exprimer dans plusieurs genres picturaux – peinture d’histoire, scène de genre et portrait – fit de lui un artiste de renom2. Il retrouva ce prestige peu après son installation à Paris au sein de l’Académie Royale de sculpture et de peinture3. L’huile sur toile de la Fondation Custodia est datée par David Mandrella des années 1650, au cœur de la période de maturité de l’artiste, encore amstellodamois.

Parmi les peintures d’histoire, aucun thème mythologique n’a été aussi souvent représenté par Jacob van Loo que ceux mettant en scène la déesse Diane4. Deux célèbres toiles Diane et ses nymphes, respectivement conservées à Berlin5 et Brunswick6, explorent avec brio cette iconographie. La première est datée de 1648.

Ici, on reconnait l’épisode bien connu de Diane découvrant la grossesse de Callisto, relaté par Ovide dans ses Métamorphoses (2, 401-495). Alors que Diane et ses compagnes s’apprêtent à se baigner, la nymphe Callisto refuse de se dévêtir afin de dissimuler sa grossesse, fruit de ses amours interdits avec Jupiter : « comme elle hésite, on lui ôte son vêtement, ce qui révèle son corps nu et met sa faute en évidence. Interdite, elle cherche de ses mains à cacher son ventre7 ».

Van Loo adopte dans la toile de la Fondation Custodia la même composition, avec quelques variantes, que le tableau conservé au musée d’Alès8, vraisemblablement réalisé au début des années 16509. Elle prend sa source dans l’une des six toiles mythologiques monumentales peintes par Titien (1488–1576) pour Philippe II d’Espagne (r. 1556–1598)10. Cette œuvre fut gravée en 156611, avec variantes et en contrepartie, par le Hollandais Cornelis Cort (1533–vers 1578), entré l’année précédente dans l’atelier vénitien de Titien. Cette estampe, reprise ensuite par Hendrick Goltzius (1558–1617) dans son projet inachevé des Métamorphoses12, a œuvré à la diffusion de la composition et aurait pu servir de modèle à Van Loo13. Elle s’en distingue néanmoins par le naturel harmonieux des attitudes qui témoigne de l’intérêt de Van Loo pour l’étude d’après le modèle14. Van Loo y ajoute également un spectaculaire amoncellement de tissus chamarrés au premier plan sur la droite, magistrale démonstration de ses talents de coloriste. Enfin, le paysage sylvestre qui occupe la partie supérieure de la composition renvoie à l’arrière-plan d’une toile de l’artiste conservée à Copenhague, Diane et ses Nymphes15.

Marie-Liesse Choueiry

1Au cours d’une dispute qui dégénéra, Jacob van Loo blessa mortellement un marchand de vin, Hendrick Breda, et fut condamné à mort par contumace le 7 juillet 1661. Il semble être établi que la victime était un homme particulièrement violent et provocateur, la sévérité de la condamnation reste donc difficile à expliquer ; David Mandrella, Jacob van Loo 1614-1670, Paris, 2011, p. 33-34.

2Le poète Jan Vos (1610 ?–1667) cite Jacob van Loo parmi les quinze artistes les plus importants d’Amsterdam dans son poème Zeege der Schilderkunst en 1654 ; ibid., p. 32.

3L’artiste fut agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture dès le 26 septembre 1661 et reçu le 6 janvier 1663 comme peintre de portraits.

4Outre les œuvres citées plus bas, mentionnons les numéros suivants du catalogue raisonné dressé par David Mandrella en 2011 qui déclinent cette même iconographie : P.55, P.67, P.68, P.142, P.143, PM.14, PM.29, PM.31, PM.46, PM.53, PM.54, PM.55, PM.56, PM.63, PM.65, PM.70, PM.82, PM.87, PM.106, PM.111, PM.149, PM.167, PM.206, PM.209 et PM.217.

5Diane et ses nymphes, huile sur toile, 136,8 × 170,6 cm, Berlin, Gemäldegalerie, inv. 765A ; Mandrella 2011, op. cit. (note 1), p. 130-131, n° P.15.

6Diane et ses nymphes, huile sur toile, 162,5 × 199 cm, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum, inv. 274 ; Mandrella 2011, op. cit. (note 1), p. 142-143, n° P.36.

7Ovide, Métamorphoses, 2, 460.

8Diane et ses compagnes découvrant la grossesse de Callisto, huile sur toile, 108,5 × 169,5 cm, Alès, musée du Colombier, inv. 891.1.4 ; Mandrella 2011, op. cit. (note 1), p. 132-133, n° P.19.

9Pour les variantes entre les deux œuvres, on notera que sur le tableau conservé à Alès, la fontaine est surmontée d’une statue de Cupidon, le cours d’eau qui sépare les deux groupes chez Titien a été supprimé, tout comme la présence des chiens, alors qu’ils apparaissent bien dans l’œuvre de la Fondation Custodia. Par ailleurs, on peut noter dans celle d’Alès un intérêt pour les figures elles-mêmes alors que l’harmonie d’ensemble est privilégiée dans notre toile.

10Partie d’un ensemble de six peintures monumentales mythologiques réalisé entre 1551 et 1562, l’œuvre a été acquise conjointement par la National Gallery et par les National Galleries of Scotland : Diane et Callisto, huile sur toile, 187 × 204,5 cm, Londres, National Gallery, inv. NG6616. Une seconde version postérieure de quelques années est aujourd’hui conservée à Vienne : Diane et Callisto, huile sur toile, 183 × 200 cm, Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. 71.

11J. C. J. Bierens de Haan, L’œuvre gravé de Cornelis Cort. Graveur hollandais 1533-1578, La Haye, 1948, p. 159-161, n° 157. Voir Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-BI-6372 ; Manfred Sellink, Cornelis Cort (The New Hollstein Dutch & Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), Rotterdam, 2000, vol. III, p. 75, n° 189-1(3). Voir également Londres, The British Museum, inv. X,1.78 ; ibid., p. 75, n° 189-2(3).

12Eric Jan Sluijter, « The Discovery of Callisto’s Pregnancy », dans Eric Jan Sluijter, Seductress of Sight. Studies in Dutch Art of the Golden Age, Zwolle, 2000, p. 61-69.

13Proche également d’une estampe de Crispijn de Passe I (1564–1637) : Jan Verbeek et Ilja M. Veldman, Hollstein’s Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, ca. 1450-1750, Amsterdam, 1974, vol. XVI, p. 75, nos 269-271.

14Un document de 1648 atteste que Jacob van Loo, Govert Flinck (1615–1660), Ferdinand Bol (1616–1680) et Jacob Backer (1608–1651) peignirent un modèle du nom de Catharina Jansz qui reçut un paiement (Eric Jan Sluijter, Rembrandt and the Female Nude, Amsterdam, 2006, p. 323). Une étude de nue dessinée par Flinck dont la position est très similaire à notre Diane se retrouve sur une feuille conservée à Harvard, provenant de la collection de Maida et George Abrams (Cambridge, Fogg Art Museum, Harvard University, inv. 2019.301 ; William W. Robinson, Drawings from the Age of Bruegel, Rubens and Rembrandt. Highlights from the Collection of the Harvard Art Museums, Cambridge, Mass., 2016, n° 36). De même, la feuille de Govert Flinck conservée au Rijksmuseum, Reclining Nude, renvoie à la nymphe qui se voit au premier plan de la toile de la Fondation Custodia (Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-T-1982-76) ; Alexa McCarthy, « The Role of Blue Paper in Early Modern Artistic Practice », The Northern Early Modern Network, 2020, fig. 2).

15Diane et ses Nymphes, huile sur toile, 99,5 × 135,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst, inv. 1876 ; Mandrella 2011, op. cit. (note 1), p. 158-159, n° P.67.

16Selon une annotation qui se lit en marge du catalogue de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, collection Jacques Doucet, VP 1790/1.