Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 97. Jan de Braij Haarlem vers 1626/1627 – 1697 Haarlem Portrait de Lambert Schatter, 1662 et Portrait d’Eva van Beresteyn, 1662 En mars 2012, Ger Luijten fit une acquisition qui aurait sans doute plu à Frits Lugt : deux étonnants petits portraits en pendant signés du peintre haarlémois Jan de Braij et datés de 1662. Alors que Lugt avait rassemblé un bel ensemble de neuf dessins de cet artiste, il n’avait acquis aucune de ses peintures1. Les pendants s’intègrent parfaitement dans la sélection soignée faite par Lugt de tableaux d’autres maîtres de Haarlem2. Mais surtout, l’œil doué de Ger Luijten a immédiatement reconnu leur qualité incontestable. Dans son style idiosyncrasique, il écrivit peu après l’arrivée des portraits à Paris « qu’il était maintenant impensable de vivre sans eux3 ». Ces tableaux ont été vendus en 2011 comme des portraits de Jacob van Vaerle (1640–1708) et de sa sœur Elizabeth van Vaerle (1643–1662)4. L’identification reposait sur deux étiquettes anciennes collées au verso des panneaux, de la main de l’historien de l’art et ancien propriétaire des œuvres, Adriaan van der Willigen (1766–1841)5. Cependant, deux copies dessinées au XVIIIe siècle par Cornelis van Noorde (1731–1795) identifient les personnages comme étant le patricien de Haarlem Lambert Schatter (1640–1669) et son épouse Eva van Beresteyn (1643–1665)6. Cette identification est généralement acceptée7. Les positions héraldiques suggèrent qu’il s’agit d’un couple et non d’un frère et d’une sœur, et la bague ornée d’un diamant de la femme indique qu’elle est mariée8. En outre, Lambert Schatter et Eva van Beresteyn se sont mariés le 24 septembre 1662, année où ces portraits ont été exécutés – probablement pour commémorer leurs noces. Comme l’indiquent les inscriptions, ils avaient 22 et 19 ans lorsque De Braij a peint leurs portraits9. En ces chaudes journées de 1662 – Van Beresteyn tient un éventail – les époux avaient la vie devant eux10. Sept ans plus tard, tous deux seraient morts. Elle périt le 16 janvier 1665 après avoir donné naissance à leur troisième enfant, dont aucun ne survécut. Il mourut quatre ans plus tard, le 8 septembre 166911. Jan de Braij était le fils du célèbre peintre d’histoire Salomon de Bray (1597–1664) et le frère du graveur et relieur Dirck de Bray (vers 1635–1694)12. À l’époque où il réalisa ces portraits, Jan était devenu le principal portraitiste de Haarlem13. Ces portraits illustrent particulièrement bien son talent dans ce domaine. Non seulement a-t-il rendu de manière convaincante les différentes textures des vêtements, comme le tissu de laine noir, les cols en lin blanc et le scintillement des boucles d’oreilles en perles, mais il a surtout saisi l’état d’esprit de ses modèles avec une grande délicatesse. L’expression de Lambert est à la fois confiante et désarmante ; celle d’Eva fière et gênée. Cette complexité les rend accessibles, quelque peu vulnérables et complètement humains. Ilona van Tuinen 1Le grand tableau de De Braij, Portrait de femme (inv. 1978-S.2), qui orne les murs de l’hôtel Turgot, n’est entré dans la collection qu’en 1978 par don, huit ans après la mort de Lugt. Voir Quentin Buvelot dans Quentin Buvelot et Hans Buijs, avec une introduction d’Ella Reitsma, A Choice Collection : Seventeenth-Century Dutch Paintings from the Frits Lugt Collection, cat. exp. La Haye (Mauritshuis), 2002, n° 8. Pour une liste des dessins de De Braij achetés par Lugt, voir ibid., p. 200, note 24. 2Tels que Gerrit Berckheyde (1638–1698), Jacob van Ruisdael (1628–1682), Isaak van Nickelen (1632–1703) et Pieter Saenredam (1597–1665). Ils constituent également un excellent complément au groupe de portraits en pendants de Dirck van der Lisse (1607–1669) et de Karel Slabbaert (1619–1654) réunis par Lugt ; Ger Luijten, « “Observations depuis le paradis”. La Fondation Custodia 1970-2020 », Septentrion. Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas, n° 2, 2020, p. 43. Sur ces derniers, voir Quentin Buvelot dans Buvelot et Buijs 2002, op. cit. (note 1), nos 19-20 (inv. 7179 A-B) et nos 30-31 (inv. 7667 A-B). 3[Ger Luijten], « Acquisitions : deux portraits de Jan de Bray », E-News Fondation Custodia, n° 1, juin 2012. Dès leur arrivée, les peintures ont été incluses hors catalogue dans l’exposition Un univers intime (Paris, Fondation Custodia, 2012). 4Vente, Paris (Christie’s), 21 juin 2011, n° 1. L’identification a été retenue dans le catalogue du marchand Johnny Van Haeften, Dutch and Flemish Old Master Paintings, Londres, décembre 2011, n° 5 et dans Pieter Biesboer, « Twee portretjes door Jan de Bray », Haerlem Jaarboek 2011, 2012, p. 64-75. 5Sur l’identification de l’écriture, voir Biesboer 2012, op. cit. (note 4), p. 72. 6Haarlem, Noord-Hollands Archief, inv. 49855 et 49856, voir Jeroen Giltaij, Jan de Braij (1626/1627-1697). Schilder en architect, Zwolle, 2017, p. 118, fig. 33a-b. Cette identification repose vraisemblablement sur des inscriptions anciennes sur les montages originaux, qui ont été perdus. Les dessins avaient déjà été relevés par Ernst Wilhelm Moes, Iconographia Batava. Beredeneerde lijst van geschilderde en gebeeldhouwde portretten van Noord Nederlanders in vorige eeuwen, Amsterdam, 1905, vol. II, n° 6865 ; et Joachim Wolfgang von Moltke, « Jan de Bray », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 1938-1939, p. 472, n° 64 et p. 483, n° 176. Un second dessin de Cornelis van Noorde d’après le même portrait de femme est conservé à Haarlem, Teylers Museum, inv. V 28 ; voir Renske E. Jellema, Herhaling of vertaling ? Natekeningen uit de achttiende en negentiende eeuw, cat. exp. Haarlem (Teylers Museum), 1987, p. 39, n° 26. 7À l’exception de Biesboer 2012, op. cit. (note 4), qui a donné plus de poids aux annotations de Van der Willigen, bien qu’il ait publié les dessins de Cornelis van Noorde comme représentant Lambert Schatter et Eva van Beresteyn, voir p. 69. 8Giltaij 2017, op. cit. (note 6), p. 118, note 4, créditant Marieke de Winkel pour l’observation sur la bague. 9Leur année de naissance correspond à l’âge indiqué sur le tableau, ce qui n’est toutefois pas un argument concluant pour leur identification, étant donné que Jacob et Elizabeth van Vaerle avaient exactement le même âge. 10Voir Ger Luijten, « Recent acquisitions (2012-20) at the Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris », The Burlington Magazine, vol. CLXIII, février 2021, p. 203, pour l’observation de l’éventail par rapport à la saison estivale. Si c’était bien l’été, les portraits auraient été réalisés juste avant leur mariage, au début de l’automne. 11Voir M. Thierry de Bye Dólleman, « Het geslacht Schatter te Haarlem 1450-1700 », Jaarboek van het Centraal Bureau voor Genealogie 1961, 1961, p. 23-56, pour des informations biographiques sur les modèles. 12Pour une excellente biographie de Jan de Braij, voir Irene van Thiel-Stroman dans Neeltje Köhler (dir.), Painting in Haarlem 1500-1850 : The Collection of the Frans Hals Museum, Gand et Haarlem, 2006, p. 116-119. 13Après la mort de Johannes Verspronk (1600–1662) et le départ de la guilde du vieillissant Frans Hals (1582–1666) en 1661 ; Giltaij 2017, op. cit. (note 6), p. 35.
En mars 2012, Ger Luijten fit une acquisition qui aurait sans doute plu à Frits Lugt : deux étonnants petits portraits en pendant signés du peintre haarlémois Jan de Braij et datés de 1662. Alors que Lugt avait rassemblé un bel ensemble de neuf dessins de cet artiste, il n’avait acquis aucune de ses peintures1. Les pendants s’intègrent parfaitement dans la sélection soignée faite par Lugt de tableaux d’autres maîtres de Haarlem2. Mais surtout, l’œil doué de Ger Luijten a immédiatement reconnu leur qualité incontestable. Dans son style idiosyncrasique, il écrivit peu après l’arrivée des portraits à Paris « qu’il était maintenant impensable de vivre sans eux3 ». Ces tableaux ont été vendus en 2011 comme des portraits de Jacob van Vaerle (1640–1708) et de sa sœur Elizabeth van Vaerle (1643–1662)4. L’identification reposait sur deux étiquettes anciennes collées au verso des panneaux, de la main de l’historien de l’art et ancien propriétaire des œuvres, Adriaan van der Willigen (1766–1841)5. Cependant, deux copies dessinées au XVIIIe siècle par Cornelis van Noorde (1731–1795) identifient les personnages comme étant le patricien de Haarlem Lambert Schatter (1640–1669) et son épouse Eva van Beresteyn (1643–1665)6. Cette identification est généralement acceptée7. Les positions héraldiques suggèrent qu’il s’agit d’un couple et non d’un frère et d’une sœur, et la bague ornée d’un diamant de la femme indique qu’elle est mariée8. En outre, Lambert Schatter et Eva van Beresteyn se sont mariés le 24 septembre 1662, année où ces portraits ont été exécutés – probablement pour commémorer leurs noces. Comme l’indiquent les inscriptions, ils avaient 22 et 19 ans lorsque De Braij a peint leurs portraits9. En ces chaudes journées de 1662 – Van Beresteyn tient un éventail – les époux avaient la vie devant eux10. Sept ans plus tard, tous deux seraient morts. Elle périt le 16 janvier 1665 après avoir donné naissance à leur troisième enfant, dont aucun ne survécut. Il mourut quatre ans plus tard, le 8 septembre 166911. Jan de Braij était le fils du célèbre peintre d’histoire Salomon de Bray (1597–1664) et le frère du graveur et relieur Dirck de Bray (vers 1635–1694)12. À l’époque où il réalisa ces portraits, Jan était devenu le principal portraitiste de Haarlem13. Ces portraits illustrent particulièrement bien son talent dans ce domaine. Non seulement a-t-il rendu de manière convaincante les différentes textures des vêtements, comme le tissu de laine noir, les cols en lin blanc et le scintillement des boucles d’oreilles en perles, mais il a surtout saisi l’état d’esprit de ses modèles avec une grande délicatesse. L’expression de Lambert est à la fois confiante et désarmante ; celle d’Eva fière et gênée. Cette complexité les rend accessibles, quelque peu vulnérables et complètement humains. Ilona van Tuinen 1Le grand tableau de De Braij, Portrait de femme (inv. 1978-S.2), qui orne les murs de l’hôtel Turgot, n’est entré dans la collection qu’en 1978 par don, huit ans après la mort de Lugt. Voir Quentin Buvelot dans Quentin Buvelot et Hans Buijs, avec une introduction d’Ella Reitsma, A Choice Collection : Seventeenth-Century Dutch Paintings from the Frits Lugt Collection, cat. exp. La Haye (Mauritshuis), 2002, n° 8. Pour une liste des dessins de De Braij achetés par Lugt, voir ibid., p. 200, note 24. 2Tels que Gerrit Berckheyde (1638–1698), Jacob van Ruisdael (1628–1682), Isaak van Nickelen (1632–1703) et Pieter Saenredam (1597–1665). Ils constituent également un excellent complément au groupe de portraits en pendants de Dirck van der Lisse (1607–1669) et de Karel Slabbaert (1619–1654) réunis par Lugt ; Ger Luijten, « “Observations depuis le paradis”. La Fondation Custodia 1970-2020 », Septentrion. Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas, n° 2, 2020, p. 43. Sur ces derniers, voir Quentin Buvelot dans Buvelot et Buijs 2002, op. cit. (note 1), nos 19-20 (inv. 7179 A-B) et nos 30-31 (inv. 7667 A-B). 3[Ger Luijten], « Acquisitions : deux portraits de Jan de Bray », E-News Fondation Custodia, n° 1, juin 2012. Dès leur arrivée, les peintures ont été incluses hors catalogue dans l’exposition Un univers intime (Paris, Fondation Custodia, 2012). 4Vente, Paris (Christie’s), 21 juin 2011, n° 1. L’identification a été retenue dans le catalogue du marchand Johnny Van Haeften, Dutch and Flemish Old Master Paintings, Londres, décembre 2011, n° 5 et dans Pieter Biesboer, « Twee portretjes door Jan de Bray », Haerlem Jaarboek 2011, 2012, p. 64-75. 5Sur l’identification de l’écriture, voir Biesboer 2012, op. cit. (note 4), p. 72. 6Haarlem, Noord-Hollands Archief, inv. 49855 et 49856, voir Jeroen Giltaij, Jan de Braij (1626/1627-1697). Schilder en architect, Zwolle, 2017, p. 118, fig. 33a-b. Cette identification repose vraisemblablement sur des inscriptions anciennes sur les montages originaux, qui ont été perdus. Les dessins avaient déjà été relevés par Ernst Wilhelm Moes, Iconographia Batava. Beredeneerde lijst van geschilderde en gebeeldhouwde portretten van Noord Nederlanders in vorige eeuwen, Amsterdam, 1905, vol. II, n° 6865 ; et Joachim Wolfgang von Moltke, « Jan de Bray », Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft, 1938-1939, p. 472, n° 64 et p. 483, n° 176. Un second dessin de Cornelis van Noorde d’après le même portrait de femme est conservé à Haarlem, Teylers Museum, inv. V 28 ; voir Renske E. Jellema, Herhaling of vertaling ? Natekeningen uit de achttiende en negentiende eeuw, cat. exp. Haarlem (Teylers Museum), 1987, p. 39, n° 26. 7À l’exception de Biesboer 2012, op. cit. (note 4), qui a donné plus de poids aux annotations de Van der Willigen, bien qu’il ait publié les dessins de Cornelis van Noorde comme représentant Lambert Schatter et Eva van Beresteyn, voir p. 69. 8Giltaij 2017, op. cit. (note 6), p. 118, note 4, créditant Marieke de Winkel pour l’observation sur la bague. 9Leur année de naissance correspond à l’âge indiqué sur le tableau, ce qui n’est toutefois pas un argument concluant pour leur identification, étant donné que Jacob et Elizabeth van Vaerle avaient exactement le même âge. 10Voir Ger Luijten, « Recent acquisitions (2012-20) at the Fondation Custodia, Frits Lugt Collection, Paris », The Burlington Magazine, vol. CLXIII, février 2021, p. 203, pour l’observation de l’éventail par rapport à la saison estivale. Si c’était bien l’été, les portraits auraient été réalisés juste avant leur mariage, au début de l’automne. 11Voir M. Thierry de Bye Dólleman, « Het geslacht Schatter te Haarlem 1450-1700 », Jaarboek van het Centraal Bureau voor Genealogie 1961, 1961, p. 23-56, pour des informations biographiques sur les modèles. 12Pour une excellente biographie de Jan de Braij, voir Irene van Thiel-Stroman dans Neeltje Köhler (dir.), Painting in Haarlem 1500-1850 : The Collection of the Frans Hals Museum, Gand et Haarlem, 2006, p. 116-119. 13Après la mort de Johannes Verspronk (1600–1662) et le départ de la guilde du vieillissant Frans Hals (1582–1666) en 1661 ; Giltaij 2017, op. cit. (note 6), p. 35.